Ce qui est subi, ce n’est pas la décroissance, c’est la croissance

Alors qu’à sa naissance la décroissance s’est d’emblée installée comme « casseur de pub », il n’empêche que pendant longtemps, trop longtemps, ce sont des slogans qui ont tenu lieu de corpus idéologique.

Les plus connus sont « moins de biens, plus de liens », « une croissance infinie dans un monde fini est impossible ». Dans le même style, tous les décroissants ont un jour défendue la « décroissance choisie » contre la « décroissance subie ».

Mais que pourrait bien être une « décroissance subie » ? Ou plutôt, quand on qualifie la décroissance de « subie », à quelle « décroissance » fait-on référence ?

C’est là que la distinction entre la décroissance comme décrue économique (basée sur une réduction des ressources énergétiques et matérielles) et la décroissance comme décolonisation de l’imaginaire (basée sur l’émancipation du régime de croissance) trouve tout son enjeu politique : car au premier sens de décrue, la décroissance risque de glisser le long de la pente de la dépolitisation sous la forme de l’argument de la nécessité. La décroissance serait « inévitable » ou « inéluctable » parce que les limites de la nature finiraient par contraindre, de gré ou de force, les politiques.

Si l’on réussit à intégrer que les limites extérieures de la nature sont en réalité des constructions sociales alors on doit pouvoir remonter la pente de la dépolitisation. Je relis Giorgos Kallis : « Je pense effectivement qu’il n’existe pas de limites extérieures… La limite relève d’un choix, et c’est le type de monde que nous souhaitons créer et transmettre à nos enfants qui doit nous permettre de la définir. Nous n’avons rien à gagner à attribuer ce choix à la nature… La défense de l’autolimitation n’a rien à gagner au fait de postuler l’existence de limites extérieures. »

Si les « limites extérieures de la nature » ne sont pas « subies mais « choisies », est-ce que cela veut dire que nous ne subissons plus aucune limite ? Pas du tout, nous continuons bien de subir l’absence d’autolimitation des désirs de croissance.

Autrement dit, ce n’est pas la décroissance qui serait un jour inévitablement subie, mais c’est la croissance qui est aujourd’hui subie.

Il serait donc souhaitable – à condition de valider qu’il ne peut y avoir a) de décroissance que politique et b) de politique que choisie – que la décroissance gagne en maturité politique et cesse de (se) raconter qu’elle serait inévitable.

Il ne peut y avoir de décroissance – celle qui donne la priorité idéologique à la décolonisation des imaginaires sur la décrue des productions et des consommations – que « choisie ». Une décroissance « subie » est ainsi un oxymore et la croissance « subie » un pléonasme.

Car ce qu’il faut éviter à tout prix, ce serait de se retrouver dans un régime de croissance sans croissance ; « on ne peut rien imaginer de pire ».

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