Rendre visible la décroissance : questions politiques de méthodes
Version réécrite des considérations de méthode qui peuvent faciliter la lecture du livre de la MCD, La décroissance et ses déclinaisons, pour sortir des clichés …
DécroissanceS – Le blog de Michel Lepesant
C’est de théorie et d'histoire, c'est-à-dire d’un corpus idéologique animé non pas par l'intransigeance mais par la cohérence logique et chronologique, dont manque terriblement la politique. Dans une société dominée depuis longtemps par la résignation ou l'adaptation, avec quelques intermèdes de stupéfaction, où toutes les forces de la domination veulent la poursuite de la croissance et de son spectacle, il devrait être évident que ce que nous devons accomplir aujourd'hui est la critique radicale de tout ce qui existe, comme si tout était pour le pire dans le pire des mondes possibles.
Version réécrite des considérations de méthode qui peuvent faciliter la lecture du livre de la MCD, La décroissance et ses déclinaisons, pour sortir des clichés …
Quand on voit à quel point le 20ème siècle a pu être un siècle de barbarie et d’atrocités, appuyées sinon démultipliées ô combien par une puissance technologique qui a acquis un tel potentiel apocalyptique, il est difficile de rester dans une conviction pleine de confiance que les progrès du rationnel et de l’instrumental soient à tout coup un progrès moral et civil.
Ce que le 20ème siècle vient immanquablement d’abolir c’est précisément cette confiance qui reliait toutes les espèces de progrès, le « plus » avec le « mieux ».
Or c’est précisément cette confiance qui constituait la colonne vertébrale du mythe du progrès.
L’ESS, à l’instar de beaucoup d’autres « alternatives », restera un intermédiaire tronqué tant qu’elle ne se mettra pas en perspective du cadre de la décroissance, si elle veut sortir de l’emprise de l’économie sur la société et sur la nature.
Ce n’est pas à cause des dégâts de la croissance que je suis pour la décroissance, c’est parce que je suis pour la décroissance que les dégâts de la croissance me semblent évidents à constater. L’évidence de la décroissance est une construction idéologique qui repose sur des préférences morales.
La réalité n’est pas plus unique que la pensée : parce que la réalité n’est pas seulement constituée de « faits », la réalité n’est pas seulement « factuelle », elle peut être contrefactuelle, et c’est, entre autres, l’affaire de la volonté.
En accordant de la considération à la contrefactualité, la décroissance peut espérer une extension de son domaine de cohérence.
La sortie du monde de la croissance devra rompre avec cette logique sociocidaire de division sans frein du travail pour passer tout au contraire à une indivision sociale des activités. De la division à l’indivision, du travail à l’activité, d’une société encastrée dans l’économie à une société qui remet l’économie « à sa place ».
Présenter la croissance comme un « monde » : laisser donc fortement entendre que la décroissance n’est pas qu’une critique économique de la croissance économique.
N’est-ce pas en redonnant priorité à la sphère de la reproduction sociale sur celle de la production économique (bref, en remettant l’économie à sa place) que féministes et décroissants peuvent voir dans l’objectif d’une vie sociale libérée des fables de l’individualisme de quoi fournir une réponse à la question essentielle pour toute vie humainement vécue : qu’est-ce qu’une vie bonne ?
Que le Commun apparaisse comme le cadre commun à l’intérieur duquel les libertés vont pouvoir s’exercer semble un premier acquis pour les décroissants. Mais que le (principe du) Commun ne soit pas seulement la base de la vie sociale mais un objectif politique – celui de la Volonté générale – semble plus difficile à reconnaître, et pourtant là est le « socialisme » des décroissants.
Pour être féministe, donc anticapitaliste, donc décroissant, il faut être socialiste. Pourquoi ? Parce que féminisme et décroissance poursuivent le même objectif : la reproduction de la vie sociale, c’est-à-dire la priorité accordée à la vie sociale sur la vie individuelle.