C’est de coordination systémique dont la décroissance a besoin

Bien sûr que nous préférons quand les propositions décroissantes sont désirables et faisables. Mais est-ce suffisant pour qu’elles soient acceptables ? Comment vont-elles devenir désirables pour ceux qui aujourd’hui pensent le contraire, comment vont-elles devenir faisables démocratiquement, c’est-à-dire sans les « faire faire » de façon autoritaire à ceux qui ne les trouvent pas désirables ? Comment va-t-on faire nombre avec ceux qui ne sont pas décroissants ?

Certainement à cause de ma formation philosophique et d’un goût particulier pour Henri Bergson – l’idée en particulier qu’une philosophie est le déploiement d’une intuition – je fais aujourd’hui, narcissiquement peut-être, un pont entre ma toute première intervention publique à propos de la décroissance (en février 2009, dans les Cévennes) et la dernière (ce 11 mai, en « zoom » avec Montréal).

Quelle est cette intuition, politique ? En 2009 : que les « alternatives concrètes », si elles ne s’articulent pas avec les autres propositions décroissantes, si elles s’auto-satisfont de se juxtaposer (au nom d’une tolérance mal comprise et qui n’est en fait qu’une concession à la tyrannie de l’horizontalité), si elles restent « séparées », ne seront alors que des « alternatives abstraites », et que donc leurs chemins ne mèneront nulle part (ce que j’appelle maintenant des « impolitiques », comme destin tragique des « utopistes »).

Et aujourd’hui ? Un plaidoyer en faveur d’une « cartographie systémique » des propositions décroissantes. Avec un double objectif : identifier chaque proposition, permettre à chacune de se situer dans un panorama qui la dépasse.

  • Une identité relationnelle, conflictuelle, contextuelle, contrefactuelle… bref, ouverte, élargie.
  • Identification qui passerait formellement par des « coordonnées » (temporelles, territoriales, institutionnelles, comportementales), qui permettraient à chaque proposition de s’inscrire dans une trajectoire dont la perspective serait bien la post-croissance et mais  avec la décroissance comme trajet.

A mon sens, seule une telle cartographie permettrait de préparer les transformations écologiques et sociales dont nous avons besoin pour retrouver une vie sensée, en renvoyant dos à dos tant le scénario irénique de l’essaimage que celui de l’effondrement. Sans se raconter qu’on va prévoir ou provoquer l’avenir. Mais au moins s’y préparer.

  • Saint-Jean du Gard : il ne suffit pas de faire « autrement », d’être « une alternative » pour préparer, il faut encore articuler ← oui, mais comment ?
  • Colloque Polémos : la cartographie systémique montre des articulations et des trajectoires possibles, et surtout fait jouer la vertu du conflit, de la controverse à l’intérieur même de nos projets..
  • Vignerons engagés : c’est en resituant les propositions – là le développement durable, là un monde sans croissance, là le trajet de la décroissance – que la cartographie systémique coupe l’herbe sous le pied à la critique d’intolérance ; et facilite l’acceptabilité politique du projet qui porte la décroissance = celui du retour d’une vie sensée.

3 commentaires

  1. Michel, je ne suis pas convaincu que « le monde qui accompagne le nucléaire » soit nécessairement très différent que celui qui accompagne les énergies renouvelables. Ce n’est pas pour rien que la quasi-totalité des cellules PV sont fabriquées en Chine. Il faut beaucoup de technologies, de matières premières, de métallurgie, de capitaux pour en faire. Et tant qu’on ne sait pas stocker massivement l’électricité, il faudra aussi, en « accompagnement », le monde des énergies fossiles (voir les mines de lignite à ciel ouvert agrandies par les écologistes allemands….)

    Il n’y a que les comparaisons qui comptent. Et il me semble que des « décroissants pro-nucléaires » comme Jancovici partagent tout autant, sinon plus, les fondamentaux du « noyau » que d’autres décroissants ou supposés tels.

    C’est particulièrement vrai pour premier point « repasser sous les plafonds de l’insoutenablité écologique ». Pour les « décroissants pro-nucléaires », l’urgence climatique est vraiment une urgence, pas un slogan ou quelque chose qui peut attendre je ne sais quel progrès technique ou sociétal.

  2. Bonjour Michel,

    Tu as parfaitement raison.
    Il y aura toutefois une difficulté de taille à la « cartographie systémique » que tu appelles de tes voeux : la question de l’énergie nucléaire, qui n’est pour beaucoup non débattable. On voit bien combien le discours sur la décroissance de Jean-Marc Jancovici – qui est entendu par des millions de personnes – peut hérisser une frange importante des militants.

    Derriere cette question, il y en a une autre, qui est celle du découplage Energie/PIB. Pour qui estime que ce découplage n’est pas possible, et sachant que les énergies fossiles vont rapidement être en déplétions, alors le nucléaire est bien le « parachute ventral » dont parle JMJ, et rendrait un peu plus « acceptable » les propositions décroissants (et souvent récessives) que tu mentionnes.

    1. Author

      Bonjour Thierry, et merci pour ce « problème soulevé.

      • Cette cartographie systémique propose une façon de ranger les propositions sur des trajectoires (plutôt que des axes) mais ne dit pas comment trier les propositions qui seront ainsi repérées et situées
      • C’est pourquoi je propose depuis longtemps une autre « procédure » pour le faire : celle du noyau et des rayons
      • On met dans le noyau les « fondamentaux » de la décroissance et dans les rayons les propositions
      • l’intérêt de cette visualisation, c’est que des rayons peuvent être diamétralement opposés

      Quant à moi, je mettrais le nucléaire sur un rayon ; il y aurait donc un rayon diamétralement opposé.
      Évidemment, pour que le nucléaire soit sur un rayon, il faudrait que les « décroissants pro-nucléaires » partagent les fondamentaux du « noyau ».

      1. Et je ne cache pas que c’est là que je place des réticences : car l’argumentaire pro-nucléaire (même en « parachute ventral ») me semble mettre en abstraction beaucoup du « contexte » – le monde – qui accompagne le nucléaire.
      2. Je rajoute une seconde réticence : je suis prêt à mettre le DD (et donc l’ESS) comme proposition dans une cartographie décroissance. Pourquoi ? Comme je l’explique dans mon intervention chez les Vignerons engagés, c’est parce que si je suis prêt à reconnaître que la décroissance n’a pas encore de présent (« la transition n’a pas commencé » comme le dit l’Atelier paysan), je dis aussi que le DD n’a pas d’avenir (c’est un point de départ faisable, ce n’est pas un point d’arrivée désirable) → le problème avec le nucléaire, c’est qu’il a un avenir, celui d’un commun négatif, voire d’une technologie zombie.

      Bref, il y a discussion.

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