En amont de la société, il y a déjà la société

Ca y est c’est parti : faut-il s’étonner que le principal sujet de discussion de la future campagne présidentielle soit d’ores et déjà celui de la sécurité ? Car, le meilleur moyen de tronquer sinon d’escamoter le véritable débat sur la violence sociale n’est-il pas a/ de faire déjà du débat politique un spectacle de la violence et b/ de violenter la question de la violence sociale par la fausse solution de la sécurité ?   Pourquoi la sécurité ne peut-elle être qu’une fausse, mauvaise et laide réponse à la question de la violence sociale ?

  • Parce que la victoire idéologique du libéralisme a consisté aussi à déplacer les débats : de la question des inégalités à celle des identités.
  • Parce que la soi-disant réponse sécuritaire est en réalité une réponse irresponsable pour une simple et bonne raison : elle n’est qu’une réponse curative.

  Le tragique d’une telle réponse n’est pas qu’elle soit toujours une réponse provisoire – car si a/ les interdépendances font société et si b/ il n’y a pas d’origine individuelle de la violence sociale mais toujours une origine relationnelle, alors c/ dans toute vie sociale il y aura à traiter de la violence.

Non le tragique de la réponse sécuritaire vient du fait qu’elle ne peut être qu’une réponse « en aval ». Autrement dit, c’est la réponse sécuritaire qui devient la principale cause de diffusion de la violence ; voilà ce que signifie la « violence policière » : non pas tant les violences causées par tel ou tel policier qu’une organisation sécuritaire de la police qui entretient et propage la violence.

Pour un décroissant, comment ne pas voir la similitude de cet effet « boule de neige » avec les fables de la technique, de la croissance, de l’inflation juridique ?

  • Le problème de la technique, ce n’est pas qu’elle serait incapable de résoudre (tous) les problèmes qu’elle rencontre ; non, il ne faut pas nier l’incroyable capacité de la technique à apporter des solutions techniques aux problèmes techniques. Le problème de la technique, c’est que ce sont ces solutions qui provoquent imparablement de nouveaux problèmes qui seront résolus techniquement, ce qui provoquera… et boule de neige… On n’arrête pas le progrès, et c’est bien le problème.
  • Le problème de la croissance c’est que seule la croissance pourrait permettre de sortir des problèmes créés par la croissance. Intrinsèquement, la croissance joue un double rôle idéologique : d’être à la fois le fondement et l’objectif, d’où croître pour croître. Et c’est ainsi que la croissance devient une fuite en avant, une fuite en aval permanente. Et voilà comment Patrick Artus sort un livre pour sauver le capitalisme, La dernière chance du capitalisme, c’est encore et toujours le… capitalisme.
  • C’est René Girard qui, dans ses thèses sur les origines de la violence sociale, montre que si les temps anciens privilégiaient la réponse préventive de la religion, les temps modernes basculent au contraire du côté du droit comme réponse curative : et voilà comment aujourd’hui, le moindre fait divers suscite aussitôt une nouvelle loi répressive dont le seul effet semble de venir immédiatement fragiliser la précédente.

On l’aura compris, toutes ces fuites en aval sont en réalité des mécanismes inflationnistes où le premier effet d’un échec est de provoquer une réponse qui sera la cause de l’échec suivant.

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Pas de surprise, la décroissance envisage les choses en les regardant à contre-courant : sans nier aucunement qu’il existe de la violence sociale, regarder non pas en aval mais en amont (et si l’animal totem des décroissants devenait le saumon ?).
Dans les 3 domaines évoqués, chacun peut remarquer que les solutions en aval sont toujours des solutions individualisées :

  • Manque d’énergie ? Surtout ne pas remettre en cause la production nucléaire ou les incitations permanentes à ajouter de nouvelles sources d’énergie aux précédentes, non simplement ne pas oublier d’éteindre les veilleuses de ses appareils électriques. Surtout ne pas suggérer de ne pas les avoir préalablement achetées.
  • Manque de croissance ? Surtout ne pas remettre en cause une société de surconsommation mais inciter à transformer toute épargne individuelle en investissement dans la mégamachine consumériste. L’inénarrable Nicolas Bouzou proposait ainsi récemment d’encourager les seniors à inviter au restaurant leurs enfants et petits-enfants, geste civique de soutien à la marchandisation de la convivialité ; sans vergogne.
  • Manque de sécurité ? C’est qu’il existerait des individus intrinsèquement méchants et le problème de la violence sera résolu quand ils seront définitivement enfermés. Perpétuité pour les crimes contre les policiers, tonne aujourd’hui le RN.

  Les solutions en aval sont des solutions individuelles (pas forcément individualistes car elles peuvent proposer des « formules » en apparences communautaires, comme les « communautés terribles » de l’entre-soi et autres archipélisations des relations humaines).

Or en amont de la société, il y a déjà la société. Car la vie sociale précède la vie individuelle.

Cela signifie politiquement que les membres d’une société doivent vouloir prendre comme objectif politique de protéger précisément cette vie sociale.

L’un des conditions de ce volontarisme politique c’est la capacité à se détacher non pas de la réalité mais d’une conception monolithique de la réalité, celle qui réduit la réalité à un ensemble de faits : contre cette factualité – sinon facticité – la décroissance doit prendre conscience qu’elle doit accorder toute sa reconnaissance (dans les 3 sens : admettre l’existence, retrouver un préalable, remercier) à la contrefactualité.

  • Et si les activités étaient organisées autrement, comment défendre une indivision sociale des activités ?
  • Et si le capitalisme était une réussite, et si aucun effondrement ne menaçait, pourquoi serions-nous quand même (p)artisan de la décroissance ?

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