Ce que parler ne veut plus rien dire

Le monde d’après va-t-il consacrer la victoire définitive de l’individualisme généralisé, en particulier dans ce champ si essentiel pour notre humanité qu’est la discussion, ou plus largement le dialogue ?

Même si parler c’est toujours parler de quelque chose à quelqu’un d’autre, « dialoguer » c’est un peu plus que « parler ». Car l’objectif d’un dialogue c’est de viser une entente possible.

Et voilà ce qui m’intéresse particulièrement avec le dialogue, et qui me permet de le relier avec la décroissance que je défends, celle de la vie sociale : c’est qu’un dialogue n’est possible qu’à la condition de reposer sur un « terrain d’entente » préalable (un vocabulaire commun, des règles de grammaire et d’argumentation… mais aussi un contexte commun, un paradigme partagé.).

De même qu’il ne peut y avoir de préservation et d’entretien de la vie sociale que si la société choisit collectivement de s’organiser pour faire et reconnaître dans cette continuité de la vie sociale à la fois sa condition et son objectif, il ne peut y avoir de dialogue que si chaque participant joue le jeu de ne jamais saper les conditions du dialogue. C’est ce cercle vertueux – et volontaire – entre condition et objectif qui garantit la continuité autant du dialogue que de la vie sociale.

L’entretien de la vie sociale et du dialogue passe par… l’entretien.

Mais cet entretien n’est-il pas en train d’être sapé par la réduction de tout dialogue à la simple expression d’opinions juxtaposées ? Au point de ne plus produire aucune entente mais seulement des dialogues de sourds ?

Il y a plus de 300 ans, le philosophe Kant repérait 3 « maximes » du sens commun, autrement dit 3 conditions pour maximiser, réussir, une discussion, pour dégager des significations communes. Penser par soi-même, penser en se mettant à la place de tout autre, penser en accord avec soi-même. Il définissait ainsi les exigences d’une « pensée libre de préjugés », d’une « pensée élargie » et d’une « pensée conséquente ». Qu’il opposait à la passivité et la superstition, à l’étroitesse d’esprit (esprit borné), à l’incohérence et à la contradiction.

Dans ces trois derniers traits, ne peut-on pas reconnaître ce que j’appellerais le « régime pandémique du non-débat », la victoire de la surdité et de l’absurdité, la défaite de l’entente, coincé dans le face à face, caricatural et tragique, d’un pouvoir libéral-autoritaire et d’une auto-déclarée résistance bien peu émancipatoire mais réellement libertarienne. Dans cet étau des individualismes, que peut-il rester de l’espoir commun d’une démocratie, et aujourd’hui, d’une démocratie sanitaire ?

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