Pour se libérer de l’emprise du travail

Il y a 1 an, dès le début du confinement, les tribunes sur le monde d’après se sont multipliées, on allait voir ce qu’on allait voir. Et qu’est-ce qu’on voit aujourd’hui ? Le retour du monde d’avant, mais en pire : toujours l’appel à la croissance comme solution, toujours plus de surveillance banalisée, de numérisation de la vie ordinaire, de liberté réduite à celle de consommer (même la culture n’y échappe pas !).

A l’occasion des violences adolescentes, jamais n’est mis en avant qu’elles sont en miroir du monde qui prétend s’en offusquer : brutalisation potentielle du moindre incident, virtualisation des effets, archipélisation des comportements individuels, scénarisation du quotidien. On est au-delà d’une télé-réalité qui deviendrait réalité : nous allons toujours plus loin dans la société du spectacle, dans une réalité de plus en plus vécue sur le mode du spectateur, et non de l’acteur.

C’est le monde de la croissance qui porte et nourrit toutes ces dérives sociocidaires : par l’emprise (totalitaire) que l’économie exerce sur tous les pans de la vie sociale, parce que la réduction de toute entité à sa seule valeur marchande est un processus – violent – d’abstraction, donc de virtualisation 1.

Alors on pourrait penser que le temps de la décroissance est venu. C’est-à-dire le (bon) moment pour s’organiser collectivement afin de repasser démocratiquement sous les plafonds des insoutenabilités sociales et écologiques.

Mais il n’en est rien. Même les critiques du système semblent préférer les sauve-qui-peut individualistes (justifiés de plus en plus par une mise en contexte effondriste) quand ils continuent de vouloir changer le monde ; à moins qu’ils ne se replient sur les antiennes d’une gauche de plus en plus réduite (quelquefois même recolorée de quelques touches d’objection de croissance).

Que faire ? Chercher ma communauté ou la fonder en me racontant que mes conduites y seront tellement exemplaires qu’elles finiront par essaimer et que, quand la masse critique sera atteinte, arrivera la grande bifurcation ?

Je ne m’y résous pas. Je ne me résous pas à rester dans une « décroissance » réduite au plus petit dénominateur commun du « mot-obus » ; mot-obus dont le seul effet réel est l’atomisation et la nébulisation de nos idées et propositions ; car c’est ainsi que les décroissants deviennent les principaux fournisseurs de la décroissance-bashing.

Alors je défends l’idée que la décroissance est le meilleur nom d’une critique globale de « la croissance et son monde » et que c’est d’abord de « théorie » intellectuelle dont nous avons besoin : pour repenser un à un tous les axes (de résonance) d’un monde préférable.

Dans cet esprit, je soumets à votre lecture une réflexion sur la place que le travail doit cesser d’occuper (au sens d’une armée d’occupation et pas seulement au sens d’activité). En un siècle, la part que le travail occupe dans une vie humaine (hors temps de sommeil) est certes passée de 70 % à environ 14-16 % mais la logique de la « division » a envahi l’ensemble de nos vies : même nos loisirs, même notre sommeil doivent être optimisés ! Alors pour plus d’efficacité, nous devrions confier nos « temps libres » à l’emprise de ces professionnels de l’intime que sont les « coachs ».

C’est précisément les voies de l’inefficacité et de la déprofessionnalisation que doit suivre ce que je propose d’appeler une « indivision sociale » des activités.

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Les notes et références
  1. Il n’y a pas que le travail qui soit « abstrait » : dans le capitalisme actuel, toutes les activités sont menacées d’abstraction, sont susceptibles d’être marchandisées.[]

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