Identité(s) et universalité

Premier préliminaire = l’actualité de la question ; par exemple : 1- Programmation de l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2- Création d’un ministère « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement », attribué à Brice Hortefeux, 3- démission à cause de la formulation : « il n’est pas dans le rôle d’un Etat démocratique de définir l’identité » (Annexe2), 4- relance continuelle de la question de l’identité dans les périodes pré-electorales. 

Deuxième préliminaire : la récurrence de questions qui ultimement renvoient à cette distinction « Identité et universalité » et la constance de la pauvreté des débats, quand le réflexe remplace la réflexion, quand rien n’est fait pour que le débat ait vraiment lieu :

  • « Réflexe républicain » de mai 2002 (au second tour, deux idées de l’identité française – identité « républicaniste » et identité « nationaliste » – qui toutes deux passent peut-être à côté d’une identité moderne de la France).
  • Question du foulard islamique à l’école et la laïcité qui surgit comme « pilier de l’identité française ».
  • Caricature de certains débats lors du referendum sur le TCE : comme si tous les « nonnistes » étaient des souverainistes alors que certains « nonnistes » ont exprimé un non « pro-européen », que certains « ouistes » y ont vu une occasion de faire prévaloir une Europe ultra-libérale économiquement sur une Europe plus souveraine politiquement : s’affrontaient ici non seulement des questions d’identité – française et/ou européenne – mais de savoir quelle « universalité » – française ou européenne – pouvait orienter la vie sensée d’un citoyen d’un Etat membre d’une telle Europe.

D’autant que :

Paradoxe 1 : certains continuent de s’extasier devant le « génie de l’identité française » (un « peuple plein d’esprit » selon Kant dans Le conflit des facultés – 1798) alors qu’il y a crise générale du « modèle républicain » et que ce modèle est en même temps assez mythique (mais se raconter des histoires, c’est aussi se faire historiquement une identité narrative).

  • Xavier Darcos : « notre patriotisme se confond avec un universalisme… La France rayonne par une sorte d’universalité ». Le même, ou son successeur, n’hésite pourtant pas à invoquer les autres pays de l’Europe quand il s’agit d’expliquer aux français qu’il faut abandonner le syndrome narcissique du dernier petit village gaulois de résistance et qu’il faut faire comme tous les autres (argument particulièrement utilisé quand il s’agit de remettre en cause de fondamentales libertés).
  • Le « génie de la France » ne tient-il pas plutôt d’un « Mythe national » (Suzanne Citron, éd. De l’Atelier, 2008) ? Comment ne pas admettre que le catéchisme laïque de la République, proclamé par Michelet, écrit par Ernest Lavisse, sort particulièrement écorné quand on constate que la France au XXème , c’est peut-être d’abord la grande tuerie de 1914-1918, le pétainisme complice de la solution finale, la torture légalisée en Algérie.
  • LCI, Le Monde des Idées : Benjamin Stora, Immigrances : la fixation sur les immigrations post-coloniales et les difficultés de leur intégration (/assimilation) depuis 30 ans évitent (en particulier à la gauche qui ne comprend pas ces « nouvelles » immigrations) de poser le véritable problème qui est la crise générale de l’intégration en France, c-à-d la crise du modèle républicain qui a fonctionné depuis plus d’un siècle, crise qui est celle des outils de la socialisation et de l’intégration sociale : l’école, la justice, l’armée, la politique (partis et syndicats), le travail…
  • Pierre Nora, lors d’une Bibliothèque Médicis (sur la chaîne Public Sénat), rappelait qu’il y a une histoire des identités de la France : identités royale (féodalité), monarchique (Louis XIV), révolutionnaire (la France comme « esprit du monde » – Hegel), républicaine (la iiième république) et aujourd’hui démocratique (la France au sein de l’Europe).

Paradoxe 2 : (par opposition à la pauvreté du débat public), il faut constater une richesse des discussions philosophiques, richesse dont il faut essayer de rendre compte.

  • En Allemagne : Jürgen Habermas qui dans une compréhension très-trop universaliste de l’identité du citoyen conçoit un « patriotisme constitutionnel ».
  • Dans le monde anglo-saxon (GB, USA et Canada) : libéraux, communautariens, libertariens.
  • En Belgique : Philippe Van Parijs.
  • En France : par exemple, toute une école dans la lignée de Raymond Aron ; sa fille évidemment, Dominique Schnapper, membre du Conseil constitutionnel, et qui donne une très riche interview dans Le Monde de l’éducation  d’avril 2007 (qui a publié Qu’est-ce que l’intégration ?), et puis les aroniens de droite (Luc Ferry) ou de gauche (Alain Renaut, Sylvie Mesure…).

Troisième préliminaire : 4 problématisations philosophiques.

1-     Une conceptualisation abstraite : ne faut-il pas commencer par s’étonner qu’il puisse y avoir un problème entre identité et universalité puisque les deux sont des sous-catégories d’une même catégorie plus vaste qui est justement celle du « Même » ? Dire que les lois de nature sont des lois universelles, c’est dire par exemple que tous les corps chutent en suivant la même loi ; et être identique, c’est une certaine façon d’être le même : si nous avons une « identité de points de vue », c’est que nous avons la même opinion, ou la même idée (« identique » vient du latin idem, eadem, idem qui signifie le même, la même). Il y a donc des façons différentes d’être le même : l’universel est identique pour tout le monde alors que l’identité n’est pas universelle. Ainsi la raison, qui est la capacité à réfléchir du point de vue de l’universel, est le propre de l’homme ; mais chacun peut revendiquer une identité particulière (« à chacun son identité »).

Leçon : s’il y a plusieurs « mêmes », alors ils ne sont pas de l’ordre de l’être mais du devenir ; c’est évident pour l’identité – qu’elle soit celle d’un individu ou celle d’une nation – qu’elle doit se construire (l’identité française n’est pas plus une essence que l’identité personnelle serait prédéterminée – au sens fort qui est celui du déterminisme – génétiquement : les deux sont des « processus »). C’est moins évident pour l’universalité mais c’est tout aussi vrai : par exemple les droits de l’homme. Non seulement, il existe des générations de droits de l’homme, mais le droit de l’homme n’a pas toujours existé, « ce droit est né à un moment de l’histoire » (Eric Weil, Essais et conférences, p.195), à un moment et en un lieu particulier : en France, en juillet-août 1789.

Identité et universalité sont des figures historiques du Même.

2-     Deuxième axe de problématisation : réunir l’identité et l’universalité sous la figure du même, c’est pouvoir se souvenir que pour Platon, la « dyade » fondamentale oppose le Même à l’Autre. L’identité et l’universalité se posent en s’opposant à l’Autre. L’autre de l’identité, c’est la différence ; et l’autre de l’universel, c’est le particulier. Ni l’identité ni l’universalité ne pourrait se maintenir en refusant radicalement la différence et la particularité : l’identité doit donc faire une place à la différence, aux différences ET l’universel doit faire une place à la particularité, aux particularités (puisqu’elles sont toujours singulières, donc plurielles). Mais comment faire cette place : quand est-ce que je respecte l’autre, quand je vois en lui le même que moi ou quand je vois en lui un autre que moi ? Quand je respecte le même en nous ou l’autre en lui ?

C’est ainsi qu’il est souvent bien difficile d’être tolérant, car il faut à la fois éviter un universalisme abstrait qui privilégierait l’inclusion dans l’uniformité et un différentialisme réducteur qui n’apporterait qu’exclusion dans le rejet. J’y reviendrai.

3-     Troisième axe de problématisation : des identités multiples : Si « l’identité n’est pas universelle », c’est qu’elle est « particulière » et non pas « unique » (sinon nous retrouverions l’universel) donc : il y a des identités. De l’individu (ipse ou idem) à la Nation en passant par les communautés d’appartenance.

  • Première distinction : identité nationale et identité individuelle ou personnelle (chez John Locke, Essai sur l’entendement humain, II, xxvii). C’est avec l’Etat ou la Nation qu’un Tout acquiert une identité. Ainsi Hérodote (Histoires, VIII, 144), régulièrement cité par J. de Romilly définit les grecs par opposition au perses. Difficulté supplémentaire : pour les français, l’identité française, c’est l’universalité (Cf. Darcos ou « la France, pays des droits de l’homme »).
  • Deuxièmes distinctions : des identités individuelles. D’abord John Locke : identités matérielle, du vivant (en tant que corps), de la personne (en tant que conscience). Ipse et Idem : travaux de Paul Ricœur sur l’identité narrative (dans une lignée qui vient de Bergson par Sartre : l’existence précède l’essence quand le temps du sujet est la durée créatrice). Il ne faudrait pas oublier Freud et sa seconde topique…
  • Troisièmes distinctions : des identités collectives telles que peuple, nation, patrie, Etat… Par exemple : J.-J. Rousseau à la fin de son chapitre I, vi du Contrat social : « Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants : “ Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ”.

A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité (4), et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. A l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en particulier Citoyens comme participants à l’autorité souveraine, et Sujets comme soumis aux lois de l’Etat. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l’un pour l’autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision ».

  • Quatrièmes distinctions : des identités à articuler. (a) Comment articuler l’identité particulière d’un individu avec l’universalité de son identité nationale ? Sans même réduire cette question à la particularité française (puisque l’identité de la France, c’est l’universalité), cette question se pose dans tout Etat qui, par la priorité – républicaine – accordée à l’intérêt général sur les intérêts particuliers, donne en fait la priorité à l’universalité (= unité nationale) sur l’identité (individuelle) : ainsi Hegel, Principes de la philosophie du droit : « le plus haut devoir des individus est d’être membre de l’Etat » ( §258) ; « L’individu qui est sujet par de tels devoirs, trouve dans leur accomplissement en tant que citoyen… la conscience et la fierté d’être membre de ce tout (§261).

Mais est-ce si simple ? D’un côté, un homme dont l’identité serait radicalement séparée (= « abstraite ») de l’universalité ne serait pas un citoyen mais un individu : c’est pourquoi les Droits de l’Homme sont ceux de l’homme et du citoyen ; mais d’un autre côté, l’agrégation des individus forment une société et ce tout-là est bien différent de l’Etat. En démocratie, cette société à des droits afin de la protéger de l’universalité de l’Etat (ce sont là toutes les problématiques du libéralisme et du socialisme, du libéralisme et du républicanisme).

Transition pour compliquer ces problèmes d’articulation entre identité et universalité : quelles différences entre le cosmopolite (le « citoyen du monde » qui refuse tout passeport) et l’apatride (à qui nul n’accorde plus un passeport) ? Le cosmopolite veut court-circuiter l’Etat pour n’être membre que d’un Etat mondial ; l’apatride est celui à qui on refuse l’appartenance à un Etat, c-à-d à une universalité médiane. Il est peut-être beau de se revendiquer « citoyen du monde » mais il est malheureusement beaucoup plus facile de se retrouver apatride (le migrant qui arrive sans passeport, volontairement ou involontairement).

Qu’est-ce que cela nous apprend ? Qu’entre l’universalité et l’identité, il existe des paliers intermédiaires et que chaque palier pose un nouveau problème d’articulation. Et donc il existe (b) des identités intermédiaires : des groupes (géographiques…), des associations (politiques, sportives, culturelles…), des communautés (culturelles, religieuses…) : à partir de la prise en considération de ces intermédiaires qui vont constituer, construire, fabriquer et les identités individuelles et l’identité nationale, on comprend que le problème de l’articulation s’appelle d’habitude le problème de l’intégration.

4-     Quatrième axe de problématisation (qui permet de faire un premier point ou récapitulatif) : on s’est aperçu que cette question des rapports entre identité et universalité recoupe, surplombe, retrouve toute une série d’autres rapports conceptuels, montrant ainsi que cette distinction entre identité et universalité est une matrice à penser particulièrement riche :

–        Identité nationale et identité nationaliste, identité nationale et identité française.

–        Le Même et l’Autre, l’identité et la différence, le particulier et l’universel, l’essence et le processus.

–        L’individu, le citoyen, le membre (ou l’adhérent) d’une communauté.

–        Quand priorité est donnée à l’universel : c’est l’assimilation (qui implique l’abandon et la disparition des traits culturels d’origine) ; mais quand sont prises en compte des identités, est-ce cela que l’on appelle « intégration » (celle des migrants, celle des associés sociaux ou celle des citoyens) ? Mais s’il n’existe que des identités particulières alors la vie publique ne risque-t-elle pas d’être désintégrée ?

–        La République et la démocratie, l’Etat, la Société et les communautés.

–        Beaucoup de mots en « isme » : nationalisme, patriotisme, différentialisme, individualisme, communautarisme, universalisme, particularisme, libéralisme, socialisme, républicanisme…

–        Et nous aurions pu voir : (a) ce que le citoyen défend au nom du respect de son identité, c’est sa liberté alors que le point de vue de l’universel sera plutôt mis en avant pour défendre et réaliser l’égalité, égalité malgré les différences de chacun (les gens ne sont pas identiques). (b) La faculté de l’universel, c’est la raison ; a contrario, par une opposition facile, l’identité tombe du côté des passions, des intérêts privés et particuliers : l’universel pour tous mais à chacun son identité ?

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A/ Identité, universalité et sens de l’histoire

Reprendre le premier axe de problématisation = repartir de l’idée que « Identité et universalité sont des figures historiques du Même ».

Evidemment, ce qui est ici en ligne de mire c’est l’idée émise par Samuel Huntington d’un « choc des civilisations » qui aurait aujourd’hui remplacé le conflit entre blocs idéologiques, c’est l’idée d’un Occident menacé par l’Islam et la Chine, d’un Occident menacé de déclin.

Idée de départ : à partir des travaux de Raymond Aron sur les philosophies de l’histoire (de sa thèse de 1938 aux articles de 1984 dans la revue Le Débat), on peut opposer une philosophie de l’histoire – celle de Karl Marx – qui réduit l’identité à l’universalité à une philosophie de l’histoire – celle d’Oswald Spengler – qui dénie toute universalité pour n’exalter que des identités particulières.

Et puis, quand je me suis demandé comment définir avec précision ce qu’étaient l’identité et l’universalité d’un point de vue historique (du point de vue de la philosophie de l’histoire et non pas d’un point de vue historiographique), je me suis aperçu que si l’universel est le point de vue du Monde, de l’Histoire, du sens de l’histoire du Monde ; et si l’identité ici est l’identité des civilisations, des peuples et des nations, alors je retrouvais là des concepts mis en place par F. Hegel – Esprit du monde (Weltgeist) et esprit d’un peuple (Volkgeist) – non seulement dans ses cours sur le sens de l’histoire (dans La raison dans l’Histoire) mais qui avaient été clairement exposés à la fin de ses Principes de la philosophie du Droit, dans les §§341-360 consacrés à « L’Histoire universelle » : l’universalisme idéaliste de Hegel est aussi bien la matrice de Marx que de spengler.

Et, en relisant rapidement ces §, j’ai eu une première (bonne) surprise d’y retrouver une matrice conceptuelle valable et pour Marx et pour Spengler. Le seconde bonne surprise, c’est de voir que quand Hegel écrit des pages sur l’histoire, il ne peut pas ne pas penser à la France, celle de la Révolution française et de Napoléon (Iéna, 1804 : « l’esprit du monde à cheval »).

Troisième bonne surprise : la critique de Aron qui renvoie dos à dos et Marx et Spengler peut permettre de philosophiquement comprendre l’insuffisance d’une identité française dont le génie prétendrait réaliser « en soi et pour » l’identité par l’universalité ; la France par son ambition servirait de réfutation, de contre-exemple, pour tous ceux qui voudrait réduire une identité à l’universalité (= une certaine idée républicaniste de la république française), sans pour autant bien évidemment tomber dans l’excès contraire qui exclut toute universalité pour définir une identité nationale, une identité recroquevillée.

a)       Hegel, Principes de la philosophie du droit : §342 : l’histoire universelle est l’interprétation et la réalisation de l’esprit universel ; §344 : les Etats et les peuples sont à la fois conscients d’eux-mêmes et des « instruments inconscients » ; §347 : le peuple dominant dans l’histoire universelle, son enfance, sa floraison, sa décadence.

b)      La philosophie marxiste de l’unité historique : une lecture matérialiste de l’universalisme hégélien comme internationalisme. L’universalisme idéaliste de Hegel devient une idéologie internationaliste. Quelle est la confusion conceptuelle à la racine de l’illusion marxiste ? Prendre la fin-finalité (Zweck) pour la fin-terminus (Ende) : que l’Histoire doive avoir un but, une finalité, certes ; que cette finalité soit la fin(-terminus) de l’Histoire : c’est une autre histoire, précisément. L’échec philosophique du marxisme nous permet néanmoins de tirer une leçon positive : maintenir une exigence ouverte d’universalité comme sens de l’histoire.

c)       La philosophie spenglérienne de la pluralité historique. Consulter Sylvie Mesure, Raymond Aron et la Raison historique (1984). Certes, Spengler a raison de dénoncer un ethnocentrisme occidental – parce qu’il provient d’un excès d’universalité – mais il a tort de tomber dans les excès de l’historicisme – excès d’identité et déficit d’universalité (il n’existerait pas, selon Spengler, une Humanité mais un « nombre indéfini d’humanités ») : à tout vouloir relativiser, à tout vouloir ramener à l’identité d’une civilisation, Spengler confond l’unité imaginaire d’une culture qui est la reconstruction rétrospective dont a besoin l’historien avec une soit-disant unité réelle d’une culture comme foyer vers lequel convergeraient des « formes civilisationnelles » : or 1/ aucune culture n’est à ce point unifiée autour d’un système unique et absolument cohérent d’idées et de valeurs ; or 2/ toutes les cultures s’influencent les unes les autres et s’empruntent des outils, des techniques, des idées, des institutions…

d)      Horizon et « étapisme » : l’universel peut bien fournir un horizon, une exigence de sens. Mais l’horizon sitôt atteint, ce n’est qu’une étape et une nouvelle étape est à l’horizon. Pour réussir à définir l’universel comme « horizon », il faut chercher comment surtout ne pas confondre entre « réalité idéale » et « idéal de la réalité » (sur le modèle de la distinction freudienne entre « Moi idéal » et « Idéal du Moi »). Ne pas risquer non plus, par goût du « présentisme », d’instaurer une « brèche entre le passé et le futur » ; relier donc, ainsi que le propose Reinhart Kosselleck,  « espace d’expérience » et « horizon d’attente ». Les traditions ne sont pas forcément soit mortes soit folkloriques et les lendemains ne sont pas forcément soit chantants soit désespérants. Penser qu’il en va de l’Histoire comme de cette ouverture épistémologique décrite par Alexandre Koyré : Du monde clos à l’univers infini (c’est l’idée aussi d’Hannah Arendt dans Le concept d’histoire).

Bilan : pas d’identité (historique) d’un peuple – soit-disant messianique – réduite à l’universalité, pas d’identité d’un peuple sans universalité. L’universalité n’est pas la « réalité effective » (Wirklichkeit) de l’identité mais un horizon pour un idéal d’identité (identité qui veut éviter autant le repli identitaire que la dissolution dans un universalisme abstrait). L’identité ne se construit ni dans la seule universalité ni dans son simpliste refus.

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B/ La question de la tolérance.

Reprendre le deuxième axe de problématisation = repartir de la dyade du Même et de l’autre. Comprendre que la tolérance s’inscrit dans un double refus, le refus d’une crispation symétrique : l’intolérance du trop d’identité (l’identité réduite à la particularité relative du « à chacun son identité » : quand le droit à la reconnaissance se piège dans les excès du différentialisme) et l’intolérance du trop d’universalité (l’universalité réduite à la négation simple de toute identité particulière : il fût ainsi une époque où les enfants basques, bretons, antillais, immigrés avaient « naturellement » les mêmes ancêtres, gaulois).

Remarque préalable 1 : les identités dont il est maintenant question sont autant celles des individus, que celles des groupes, ou celles des peuples.

Remarque préalable 2 : « tolérer », ce n’est pas « accepter ». Tolérer, c’est tolérer l’inacceptable (sinon, si on ne tolère que ce que l’on trouve acceptable, on n’est pas tolérant, on est juste d’accord).

Remarque préalable 3 : tolérer, ce n’est pas respecter : une pratique sociale n’est pas un impératif moral ; le lien social du vivre-ensemble n’est pas le bien moral du devoir-faire. Du côté donc du social :la tolérance ; et du côté moral : le respect.

L’exemple qui ici peut être en ligne de mire, c’est la question du voile islamique (que l’on fait bien attention à ne pas confondre avec la burqha). On peut – sans aucune contradiction – ne pas accepter le voile islamique, ne pas le respecter (parce qu’il ne respecte pas la femme et l’égalité publique entre hommes et femmes) et le tolérer (ce n’est pas parce que l’on est contre le voile que l’on est automatiquement pour une loi sur les signes ostentatoires à l’école).

a)       3 dispositifs de la rencontre de l’autre – Alain Renaut et Sylvie Mesure, Alter Ego, les paradoxes de l’identité démocratique (1999) :

–         « Dans le dispositif ancien, l’autre se trouve perçu comme le « tout autre » » (p.44) : le « barbare », le « fou » (« animalisé » ou « divinisé », il est situé en dehors de l’humanité), la « femme ».

–         Dans le régime moderne, l’autre est perçu comme le même, comme un sujet égal à tout autre sujet et comme doté des mêmes droits que tout autre. Ce dispositif moderne est celui de l’humanisme : l’universalité de nature permet une ouverture des identités les unes sur les autres. Cet humanisme n’en pose pas moins un certains nombre de problèmes : « que faire des différences sexuellement ou ethniquement déterminées qu’il serait pour autant absurde, voire redoutable, de nier ? » (p.47).

–         Le danger, c’est de confondre universel et uniformité ; d’où la nécessité d’un dispositif contemporain qui doit se demander si l’identité est à trouver dans l’universalité et du coup si  les différences ne sont que de surface ou si ce sont les différences qui fabriquent de l’identité. Pour en discuter, il faut toutefois enregistrer « deux acquis » de l’identité démocratique : (a) plus question de revenir à des différences de nature entre un homme et un autre homme. (b) « la dynamique de l’égalité après avoir œuvré à l’effacement des différences, en est venue, de fait, à reproblématiser le statut des différences » (p.51). D’où le concept d’une « identité différenciée » proposé par Alain Renaut et Sylvie Mesure.

b)      Retour à notre question du même et de l’autre : faut-il traiter l’autre comme le même ou comme un autre ?

Il y a deux sortes d’intolérance : la première refuse à l’autre une universelle nature humaine et nie qu’il soit le même. Cette intolérance fixe l’autre dans sa différence – race, nation, culture, religion, langue régionale…) et le maintient à bonne distance. La seconde nie que le même puisse être autre et le veut entièrement identique ou semblable, quitte à le convertir de force. Dans un cas, l’universalité est imposée et du coup l’identité comme différence est niée ; dans l’autre cas, l’universalité est refusée et du coup l’identité est réduite à la différence et au particulier.

La première est une intolérance d’inclusion : l’autre est le même ; le même universel pour tous. La seconde est une intolérance d’exclusion : l’autre est autre : à chacun son identité réduite à la différence.

La première est intolérance absolue ou dogmatique (excès d’unité, d’universalité – d’habitude les religions, quelquefois des républicanistes excessifs) et la seconde est intolérance relativiste ou sceptique (excès d’identité, excès des particularités définis comme particularismes : « à chacun son identité »). La caricature de la première est le « facho » ; la caricature de la seconde est le « baba cool ».

c)       Qu’est-ce que la tolérance ? Comment articuler identité et universalité ? Quand la Raison peut être définie comme la capacité à juger du point de vue de l’universalité, quelle rationalité pour quelle universalité ? L’universalité du « mauvais infini » hégélien ? Ou bien la rationalité ouverte du dialogue (linguistic turn), du colloque scientifique, du procès judiciaire (qui est un processus, où le jugement ne précède pas le procès et n’est un pré-jugé, où la vérité est dite à la clôture des débats, c’est le ver-dict).

Bilan : l’identité sans l’exigence d’universalité est excluante ; l’universalité sans la tolérance des identités est fermée : et dans ce cas, la raison n’a plus raison. Ce qu’il faut comprendre c’est que la raison n’est pas le propre de l’Homme mais le propre des hommes, ce qui n’est pas du tout une nuance négligeable ou rhétorique.

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C/ Les questions de l’intégration des identités intermédiaires.

Reprendre le troisième axe de problématisation = reprendre le problème des identités multipliées dans les sociétés contemporaines.

Retour sur le voile : et si le problème ce n’était pas l’intégration de minorités culturelles mais une crise générale de l’intégration en France et de ses outils de socialisation – en premier lieu l’école (Lire Natacha Polony, Nos enfants gâchés (2005), le chapitre 3) bref, le problème ce n’est pas le voile, ce n’est pas le voile à l’école, et si c’était l’école ?

Ce qui ici est en ligne de mire c’est un cas « effarant » : dans une province de l’Est canadien, il y a quelques années un couple de lesbiennes ayant adopté un enfant a demandé, dans la mesure où les deux mères adoptives se trouvaient en outre sourdes et muettes, à faire opérer l’enfant, de manière à le rendre sourd et muet lui aussi, afin qu’elles puissent exercer le droit de lui faire partager leur culture (de sourdes et muettes). La demande pouvait se réclamer non seulement du droit des représentants d’une culture à transmettre cette culture à leurs descendants, mais aussi du droit des handicapés à ne pas subir, sous ce rapport, des mesures ou des conduites discriminatoires dues à leur handicap. D’un autre côté, les exigences du bon sens en même temps que du respect des principes libéraux eux-mêmes, à commencer par celui qui fait de l’intégrité de la personne concernée, en l’espèce l’enfant, une valeur sacrée, ont prévalu. D’autres principes encore auraient pu, dans l’héritage libéral, être mobilisés pour régler cette situation, par exemple celui de la liberté de l’enfant à choisir sa culture, en même temps qu’à ne pas pouvoir porter atteinte à ses libertés d’expression et de communication, à travers les facultés qui les rendent possibles.

L’universalité est ici incarnée géographiquement et historiquement par l’Etat. Les identités dont il est maintenant question : elles vont des individus à la nation en passant par les niveaux intermédiaires qui sont les appartenances à des communautés.

b)      L’article de Dominique Schnapper dans Le Monde de l’éducation d’avril 2007, pour poser les problèmes dans leur complexité, et donner un rapide aperçu de Qu’est-ce que l’intégration ? (2007).

Ø      L’intégration n’est pas l’assimilation. L’assimilation implique l’abandon et la disparition des traits culturels d’origine alors que l’intégration désigne une participation à la vie collective qui n’impose pas cet abandon des cultures d’origine. Au sens sociologique, l’intégration désigne l’ensemble des « manières selon laquelle la société contemporaine crée entre ses membres des liens suffisants pour que se maintienne une collectivité ».

Ø      « Par facilité », on est passé (depuis les années 80 selon B. Stora) de l’intégration comme « lien social » à l’intégration perçue uniquement comme intégration des descendants des migrants. « Or, c’est beaucoup plus fondamental… de se demander comment maintenir le lien social dans des sociétés où les individus n’admettent plus la légitimité religieuse et traditionnelle, où ils se donnent le droit de critiquer toutes les institutions, en particulier les institutions politiques, et contestent toutes les institutions en tant que telles ». « La présence des immigrés et de leurs descendants révèle, dramatise ou même radicalise des problèmes qui existeraient de toute façon dans les sociétés démocratiques ».

Ø      Il ne s’agit pas pour autant de nier une spécificité et une radicalisation de cette intégration ; pour cela, Dominique Schnapper distingue une « intégration culturelle » – c’est l’adoption des modèles culturels de la société d’installation – et une « intégration structurelle » – c’est l’entrée dans les instances de la vie collective. « Or c’est dans la discordance entre l’une et l’autre que naissent beaucoup de problèmes sociaux ». En Europe, les migrants étaient intégrés structurellement – par le travail dans des usines, des commerces – mais non intégrés culturellement. « Pour leurs enfants, c’est l’inverse : ils sont culturellement intégrés, puisqu’ils ont été formés dans l’école de tous, mais ils ont beaucoup de mal à accéder aux instances de la vie collective… Cette discordance est particulièrement forte en France » puisque l’intégration culturelle y est la plus forte et l’intégration structurelle la plus difficile. Solution ? : ouvrir l’intégration culturelle à des identités différenciées et faciliter l’intégration structurelle (discrimination positive ?).

Ø      Il n’empêche que la crise de l’intégration est d’abord une crise générale de l’intégration des individus dans les sociétés démocratiques c’est-à-dire une crise des articulations entre identité et universalité (cette question de l’articulation ne peut apparaître qu’à partir du moment où on cesse de croire qu’un universel qui surplombe les identités particulières suffit à les ordonner et à orienter leur construction.

–        Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même (2002). Les 3 âges de la personnalité :

–        La personnalité traditionnelle : incorporation des normes collectives, cet « anté-individu » est une « personnalité à honte ».

–        La personnalité moderne : intériorisation de la norme, âge d’or de la conscience et de la responsabilité (« l’honnête homme »), personnalité à surmoi, à culpabilité (Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi – 1998).

–        La personnalité contemporaine : l’individu déconnecté (insupportable), « le premier individu à vivre en ignorant qu’il vit en société » (p.254). Et la première des nouvelles pathologies dont souffre cet individu est la famille des « troubles de l’identité » (sentiment de vide, dépression, narcissisme inassumé…).

Ø      Peut-on alors espérer que les sociétés démocratiques – par la priorité accordée à l’intérêt général sur les intérêts particuliers – fournissent assez d’universalité pour échapper au malaise de l’individu contemporain ? Non, répond D. Schnapper parce « l’individu démocratique n’aime pas les médiations et les représentants », autrement dit, il ne se voit que comme un « ayant-droit » : « les citoyens deviennent avant tout soucieux de leur bien-être et risquent de se transformer en « ayants-droit », en oubliant la nécessité des vertus civiques ». Et D. Schnapper de poursuivre en montrant que pour faire ce lien social, il y a aujourd’hui concurrence entre le lien assuré par la protection sociale et le lien qui devrait être assuré par la participation à la vie politique. Or « les actifs ne peuvent accepter qu’une partie de ce qu’ils produisent ne soit redistribuée aux autres qu’au nom d’un sentiment de solidarité ».

Ø      La solution qu’elle propose : l’intégration républicaine et la nécessité d’une éducation des vertus civiques. Nous y reviendrons.

c)      La querelle du libéralisme et du communautarisme.

–        Le communautarisme reproche au libéralisme de ne s’intéresser qu’à la liberté des individus et de faire trop bon marché de l’exigence de cohésion sociale, de ne voir dans la société qu’une addition d’individus juxtaposés (alors que depuis Aristote, on se souvient qu’une maison ne se réduit pas à tas de pierres) : Charles Taylor, Les sources du moi, la formation de l’identité moderne (1989) (« Savoir qui je suis implique que je sache où je me situe… ») ; Michael Walzer, Sphères de justice, une défense du pluralisme et de l’égalité (1983) : « la société humaine est une communauté distributive ».

–        Une défense du multiculturalisme car il peut jouer dans les deux sens : « Certaines cultures sont très contraignantes et appellent un correctif individualiste. Mais quand l’individualisme est tout-puissant, la société a besoin du correctif de la communauté et de la cohésion culturelle », Courrier de l’UNESCO.

–        Un renvoi dos à dos tant de l’individualisme que d’un universalisme abstrait qui fait publiquement abstraction des différences (problèmes des statistiques : comment lutter contre les discriminations si on ne peut même pas les mesurer ?). « Pensons au raisonnement par hypothèse de beaucoup de philosophes de gauche: « Je me trouve soudain dans une situation où mon enfant et un autre que je ne connais pas sont en danger. » Si je ne peux en sauver qu’un, il faudrait, selon eux, que je décide à pile ou face lequel je vais secourir. C’est une position philosophique qu’il est impossible de transformer en impératif dans la vie réelle et qui ne reconnaît pas les attachements naturels des êtres humains ».

–        Autrement dit : les communautariens posent un vrai problème : celui de savoir comment l’Etat démocratique peut répondre aux besoins de reconnaissance (Axel Honneth, La société du mépris) de plus en plus forts dans une société atomisée (souci exclusif des bonheurs privés, montée des incivilités, perte des références communes) où chacun trouve, dans les liens qui le solidarisent avec d’autres autour d’une identité distinctive, une dimension de ce qu’il est. Mais ne risquent-ils pas d’ouvrir la porte à l’attribution de droits collectifs et de favoriser une « montée des communautarismes », de fragiliser la valeur de l’individu au profit de celle du groupe.

–        Poser et réussir à résoudre le problème de la tolérance : Michael Walzer, Traité sur la tolérance (1997).

Transition : comment réussir à penser que l’universalisme et l’individualisme sont trop abstraits pour fabriquer une identité, sans tomber pour autant dans les dangers du communautarisme ?

d)      La question du multiculturalisme et celle des droits individuels à la culture. Alain Renaut, Qu’est-ce qu’une politique juste ? (2004).

–        La question du voile n’en est qu’un aspect. Mais c’est un exemple au cœur d’une problématique plus vaste qui est celle des minorités, des identités minoritaires. Une « minorité », c’est une pluralité qui vient s’intercaler entre la singularité de l’individu (son identité qui pose tant de problème dans une société libérale-démocratique) et la globalité de la société (qu’il faudrait distinguer de l’universalité de l’Etat et cette question des rapports entre société et Etat est celle du libéralisme ; et nous savons aussi qu’un certain socialisme n’a historiquement fait aucune place aux droits légitime de l’individu au profit exclusif des universalités revendiqués de la « Classe », du « Parti » ou de l’« Etat »).

–        Droits des minorités linguistiques, droits des femmes, droits des homosexuels, droits de communautés unifiées par des mœurs (que ces mœurs proviennent d’une tradition culturelle ou d’une volonté moderne – ou post-moderne – de « vivre autrement »), droits des enfants, la liste peut être très longue de ces questions socioculturelles pour lesquelles nous pouvons nous demander quels droits leur accorder ? La querelle ici aurait lieu entre les libéraux et les « républicanistes » – s’agit-il pour autant d’en profiter pour refuser – et exclure du débat – toute approche qui prendrait en compte l’appartenance à une communauté ?

–        Le débat récent sur le voile a été un exemple caricatural d’un débat bloqué par un « réflexe théorique » (au lieu d’une discussion ouverte) qui a interdit d’affronter réellement les questions concrètes. Le « réflexe théorique » a été celui d’une république laïque qui s’est par commodité construite en s’opposant au spectre d’un modèle anglo-saxon communautariste. Le débat a été d’autant plus trafiqué que si effectivement je n’avais le choix qu’entre la conception ultra-laïque et la conception ultra-communautariste, je choisirais sans hésiter la conception laïque. Mais le débat aurait plutôt dû se demander réellement s’il ne faut pas accorder des droits non pas à l’individu abstrait, non pas à son groupe d’appartenance mais à l’individu lui-même considéré à travers cette appartenance.

–        On pourrait ainsi – selon Alain Renaut – débattre quels droits culturels, quels droits linguistiques (pensons à la Corse), quels droits religieux, il pourrait être légitime d’accorder à un individu sous la forme du droit de chacun à choisir et à voir respecter son identité culturelle, son identité linguistique, son identité religieuse, dans la diversité de ses modes d’expression. Reconnaître une telle nouvelle génération de droits de l’homme non seulement donnerait quelque cohérence concrète à ceux qui dénoncent les effets uniformisants de la mondialisation mais constitueraient l’occasion d’une nouvelle avancée historique pour la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Transition : nous retrouvons la même conclusion que précédemment : l’identité sans une exigence de dépassement (et nier la stricte particularité c’est viser une certaine universalité) est perdue mais ce dépassement – même s’il s’accorde un horizon d’universalité – doit savoir faire droit aux identités intermédiaires qui pour les étages inférieurs sont des universalités et pour les étages supérieurs sont des particularités. La dernière question est de se demander – puisqu’il faut les articuler – comment construire ces articulations : c’est retrouver la question d’une éducation des vertus civiques.

*

D/ République et démocratie, la question de l’éducation civique républicaine.

a)      Pour une défense fervente d’une telle éducation, on peut consulter le site de la fondation Res Publica : « Merci, Monsieur le Professeur. Vous avez montré ce qu’était la singularité mais, en même temps, l’universalité du modèle de citoyenneté français. Modèle ou exception ? On en discute encore… Il me semble qu’il y a place pour ce patriotisme républicain ouvert sur l’universel et à la lumière duquel, à la lumière du projet qu’il contient nous pouvons penser une éducation civique pour le XXIe siècle », J.-P. Chevènement le 10 janvier 2005 lors d’un colloque « Une éducation civique républicaine au XXIe siècle ».

c)      En partant de Régis Debray qui propose un roboratif tableau d’oppositions entre démocratie et république. Voir Annexe 3.

d)      Pour Alain Renaut – encore – le débat se situe entre « libéralisme et républicanisme » :

–        Article de la documentation française, n°336 (janvier-février 2007) : Le civisme entre libéralisme et républicanisme. Si, dans sa forme extrême, le libéralisme peut soutenir que l’intérêt seul des citoyens suffit à maintenir l’État de droit, la discussion ne se fait pas tant en fait sur la nécessité d’un apprentissage par les citoyens de certaines vertus civiques que sur l’insistance mise par le républicanisme à leur participation active à la vie de la cité. La conception libérale y voit en effet un danger possible pour la nécessaire autonomie de l’individu vis-à-vis de l’État. Alain Renaut insiste sur les corrections à apporter aux dérives respectives des deux traditions – égoïsme pur (Tocqueville) ou étouffement des libertés individuelles – et plaide pour une prise en compte par le libéralisme politique du souci républicain concernant le développement de l’esprit civique.

–        Alain Renaut, Qu’est-ce qu’un peuple libre ?, étudie les 3 possibilités d’une républicanisation du libéralisme :

–        Le libéralisme républicain moral : moraliser les individus, par une sorte de rééducation à l’intérêt général susceptible de les réimpliquer à marche plus ou moins forcée, dans l’exercice de la souveraineté. Se profile alors le risque d’un despotisme moral expressément assumé par Rousseau.

–        Le libéralisme républicain culturel : dans ce courant communautarien modéré (Taylor et Walzer) la solution recherchée passerait par la recréation d’un sentiment d’appartenance des communautés, à des communautés de traditions et de valeurs. L’objection pourrait être celle que Tocqueville réservait aux identités individuelles pour les adresser cette fois-ci au niveau supérieur des communautés. A moins de n’inscrire ces appartenances culturelles que comme droits-libertés individuelles et certainement pas comme des droits collectifs (W. Kymlicka, Liberalism, Community and Culture – 1989).

–        Le libéralisme républicain politique : dans cette optique, ce ne serait ni la vertu ni les identités culturelles qui cimenteraient les individualités et leur redonneraient le sentiment que leur participation à la vie publique n’est pas inutile et correspond à leur intérêt, mais bien plutôt la création de structures politiques plus démocratiques parce que, de bas en haut de la société, plus participatives : auquel cas l’intérêt bien compris de l’individu (et non sa moralité, ni sa conscience d’appartenance à un groupe) continuerait d’être le seul ressort (libéral) du fonctionnement de l’Etat de droit, permettant ainsi de repolitiser une « société dépolitisée » (Nicolas Tenzer, 1990).

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