Banalité bienvenue de la décroissance

Trop souvent, les décroissants « se la racontent » en avançant que les idées de la décroissance progressent dans le débat public ; là où en réalité il n’y a le plus souvent et au mieux que l’utilisation du mot « décroissance » dans son sens le plus pauvre de « retour à des temps primitifs ». Bien sûr, les plus « purs » parmi les décroissants s’en félicitent mais il faut reconnaître qu’il n’y a là qu’une confusion regrettable entre visibilité et provocation.

Depuis quelques années, les décroissants de la Maison commune mettent en avant une signification claire : la décroissance, c’est tout simplement le retour démocratique sous les plafonds de la soutenabilité écologique. Ces plafonds sont dépassés et par conséquent l’organisation actuelle des sociétés n’est pas soutenable. N’importe quel enfant peut comprendre que si son sac est trop lourd alors il faut en faire décroître le poids.

Il faut reconnaître que cette signification claire permet au débat de progresser et le livre d’Aurélien Barrau 1 en est une manifestation lumineuse 2.

Pas de jargon mais une langue claire et sereine, pas de grande déclaration pontifiant sur la « Décroissance » mais un emploi régulier du terme juste quand il faut, pas de revendications au vocabulaire réservé aux initiés mais des listes impressionnantes de propositions de bon sens, pas de morgue pamphlétaire mais le juste ton de la conviction : un régal d’éloquence sans rhétorique.

Bien sûr, on pourrait faire la fine bouche et regretter un manque de radicalité – en particulier sur le nucléaire – mais ce serait passer à côté de l’essentiel.

Tout d’abord, un plan vraiment habile : après les constats (chapitre 1), le deuxième chapitre expose ce qu’Aurélien Barrau qualifie lui-même de « rustines » et qui ne peuvent provoquer au mieux qu’une « évolution », sans nécessiter « un chamboulement drastique de notre système économico-politique » (page 64). L’auteur voit bien les limites et ce qu’il écrit à propos du pouvoir politique peut en réalité être étendu à toutes les « rustines » : « Pensant être raisonnable dans sa lenteur et sa tempérance apparentes, il précipite en réalité l’effondrement et l’advenue de catastrophes irréversibles » page 48). Il n’empêche que ce qu’il propose tant au niveau des « petits gestes » du quotidien (pages 57-58) qu’au niveau politique (pages 59-61) constitue une première liste nécessaire (mais insuffisante) pour opérer « un virage à 180 degrés » (page 56).

D’où un deuxième chapitre plus « révolutionnaire » ; à la fois décevant et bienvenu. Décevant parce qu’il faut bien avouer que les « révolutions fondamentales » proposées sont plus esquissées que construites. Mais bienvenu à cause de la méthode que l’auteur préconise : « Pour une fois, je crois qu’il faut renverser l’ordre usuel et s’attaquer aux conséquences – la négation de la vie et de l’avenir – avant de s’attaquer aux causes » (page 66). « Bien sûr, il faudra changer aussi le coeur du système, mais je crois que cela viendra par la suite. On ne peut plus se permettre d’attendre qu’il s’agisse d’un préalable » (pages 74-75). « Chacun peut avoir son analyse, mais si on attend une révolution politico-économique pour commencer à agir, il sera tout simplement trop tard » (page 108).

Cette voie – par les effets avant les causes – peut sembler à beaucoup d’entre nous manquer de radicalité mais n’est-elle pas pas la seule manière raisonnable de réconcilier « les gens » et la décroissance ? Nous devons nous poser la question.

Cela ne veut pas dire que la Maison commune doit abandonner son idéal philosophique de cohérence (conceptuelle et idéologique) mais qu’il faudrait pouvoir envisager jusqu’au bout que les idées que nous défendons seront portés par d’autres que nous et que nous devons juste continuer à creuser des idées, des propositions, non pas pour les exposer comme dans un temple sacré mais pour les offrir à tout.e.s : encore une fois, le commun de la « Maison commune » ne signifie pas que tous les décroissants doivent y habiter mais que c’est à tout.e.s qu’elle est destinée.

Le livre finit par un « Épilogue presque philosophique » dans lequel Aurélien Barrau reconnaît une certaine « ingénuité », mais n’est-ce pas celle dont les puristes de la décroissance manque trop souvent : « La solution évidente (et unique) serait à la portée d’un enfant de cinq ans, mais nous n’osons pas la voir en face : le « partage » (page 137). Nous adhérons.


Notes et références
  1. Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Michel Lafon, 2019[]
  2. Rien ne dit que l’auteur connaisse directement nos travaux mais là n’est pas la question.[]

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