Le « commun » est à la mode. Dans la dernière chronique, j’ai fait remarquer que « le commun, ça ne se fabrique pas, ça se cultive« .
Le commun en ce sens n’est donc pas ce qui vient à la fin de la réunion, quand des individus juxtaposés ont pu exprimer leur « opinion personnelle » ; tout au contraire, le commun, c’est ce qui au début est déjà là et qui permet à chacun de présenter ensuite son « point de vue personnel ».
D’ailleurs, qu’est-ce qui fait qu’un « point de vue » est un « point de vue » ? On pourrait croire que c’est la singularité de la personne d’où émane ce point de vue. Dans ce cas-là, « à chacun son point de vue » ; et en avant pour toute cette rhétorique pseudo-tolérante qui fait passer l’expression des particularités avant ce qui la rend possible : c’est-à-dire l’existence de ce dont il y a point de vue exprimé.
« C’est mon point de vue », revendique-t-on au nom de la liberté d’opinion. OK, mais ton point de vue, camarade, il porte sur quoi ?
Car un « point de vue », c’est toujours un point de vue « sur » quelque chose. Et ce quelque chose doit précéder les points de vue. Il se peut même qu’il puisse exister en dehors de tout point de vue exprimé.
Deux personnes ne peuvent avoir deux points de vue différents sur un vase (par exemple) qu’à condition d’avoir vérifié qu’il s’agit bien du même vase, d’un vase (en) commun. Sinon, nous n’avons pas une discussion mais un dialogue de sourds (puisqu’ils ne parlent pas de la même chose).
Écoutons deux points de vue et enlevons (exercice contrefactuel de pensée) le vase : est-ce que ce sont encore des « points de vue » ? Ah oui, et sur quoi portent ces points de vue ? Et bien, sur… eux.
Chacun peut maintenant facilement comprendre pourquoi le démagogue des points de vue s’offusquera rapidement et criera à l’intolérance : on vient de toucher à son narcissisme. Oh, il est prêt à vous concéder qu’il veut bien partager du « commun », mais « après », après qu’il ait d’abord exprimé son « point de vue ».
En réalité, toutes ces observations ne portent pas sur les opinions que nous pourrions avoir sur les vases. Elles portent sur… la décroissance.
Bien sûr qu’il y a des points de vue différents sur la décroissance ; mais à une condition impérative : qu’il y ait d’abord une décroissance « commune » à observer.
- si cette décroissance est « commune », alors elle précède les opinions que l’on peut avoir personnellement sur elle.
- Si cette décroissance est « commune » alors sa définition doit être « commune » au sens de « ordinaire », « triviale ».
Quelle pourrait alors être la définition la plus « commune » de la décroissance, la moins contre-intuitive ? Et bien, d’être… le contraire de la croissance.
Et voilà une discussion qui va pouvoir commencer : mais alors qu’est-ce que la croissance… et blablabla et blablabla…