Les trois pieds politiques de l’objection de croissance

Une contribution à l’élaboration d’une stratégie de la transformation pour sortir définitivement du capitalisme.

« Galaxie décroissante », « nébuleuse de la décroissance », les expressions ne manquent pas pour qualifier aujourd’hui dans les petits mondes de la gauche de la gauche, de la gauche écologique, de l’extrême gauche ou l’autre gauche, le flou dans lequel s’investissent tous ceux qu’il vaudrait mieux nommer les « objecteurs de – conscience à la – croissance ».

Pourtant la « décroissance » vient d’apparaître en tant que telle aux élections européennes : mais son escargot-symbole de sa patience et de sa mesure va certainement trop lentement pour les précipités de l’Unitude.

Prendre le temps de tenir parole : « notre force, ce sont nos idées ». Chiche !

Que de reproches pourtant nous sont déjà çà et là 1 adressés :

  • la décroissance ne mettrait pas clairement en évidence les mécanismes politiques et économiques qui ont abouti à la situation actuelle.
  • L’opposition croissance/décroissance serait un raccourci simplificateur.
  • Insuffisante présence de la question sociale.
  • Une valorisation excessive des communautés traditionnelles du passé.
  • Une naturalisation des rapports sociaux.
  • Le repli sur des comportements individuels.
  • La stratégie du « mot-obus » conduirait à l’isolement.
  • Une absence de sens pratique.
  • La simplicité volontaire comme choix de vie délibéré serait réservé à une très petite minorité.
  • Une absence de modélisation et d’expérimentations.

Certes les O.C. prétendent faire de la politique mais sans disposer de la vérité, ni d’une description toute ficelée de la société idéale ou de la garantie d’aller dans le sens de l’histoire…

Mais cela n’empêche pas les O.C. de prendre de plus en plus clairement conscience qu’il ne suffit ni de rêver un projet, ni de rabâcher les causes du rejet du capitalisme mais que la question politique centrale est bien d’être capable de proposer le trajet qui ira du capitalisme à l’après-capitalisme.

Autrement dit, être capable d’envisager une stratégie de la transformation, manière de sortir du faux dilemme réforme/révolution, manière surtout de rompre avec la stratégie commune à la Gauche, c’est-à-dire être capable d’abandonner définitivement la croyance que la prise du pouvoir d’Etat doit précéder le changement de société.

Mais comment changer la société sans prendre au préalable le pouvoir d’Etat ? Pour cela, pourquoi ne pas essayer d’équilibrer une telle stratégie sur les trois pieds de l’action politique ?

  • le pied « spectaculaire » : des manifestations, des pétitions et des votes.
  • le pied des expérimentations : des alternatives concrètes et des contre-pouvoirs.
  • le pied du projet : de l’utopie, oui ; du programme, non.

Manière surtout d’avoir l’audace de décoloniser notre imaginaire politique pour remplacer une imagination du temps linéaire par un imaginaire de l’espace décolonisé ; se donner ainsi peut-être une chance de ne pas ajouter de futurs déçus de l’autre gauche aux anciens déçus de la gauche.


Ah ! si nous disposions de la vérité, d’une description toute ficelée de la société idéale et de la certitude d’aller dans le sens de l’histoire… alors nous serions une avant-garde éclairée, la conscience avancée aujourd’hui minoritaire mais demain inéluctablement victorieuse … alors nous saurions avec conviction trier entre les actions politiques : quelle pétition signer, quelle manifestation soutenir, quel bulletin mettre dans l’urne… mieux, nous saurions le sens qu’il y a à voter, à signer une pétition, à faire la grève… à faire de la politique !

Las ! Nous serions plutôt tentés de nous méfier de toute croyance, surtout celle en la vérité, seulement convaincus de la société que nous ne voulons plus, tentant de sauver au mieux une « sensibilité à l’historique ». Comment dans ces cas faire de la politique ?

a) La première ambition de ce qui suit n’est pas d’imposer un cadre contraignant dans lequel toute action politique devrait s’intégrer. Tout au contraire, à partir du constat de la diversité, hétérogénéité, pluralité des formes possibles de l’action politique, il s’agit seulement d’un effort pour les penser ensemble. Par action politique est entendu ce qui renvoie à une stratégie de la transformation, manière de sortir de l’alternative entre révolution et réforme 2 pour poser la question de « la transition ».

Pour faire cet inventaire, ce relevé, je proposerai de distinguer trois pieds 3 de l’action politique :

  • le pied « spectaculaire » : des manifestations, des pétitions et des votes.
  • le pied des expérimentations : des alternatives concrètes et des contre-pouvoirs.
  • le pied du projet : de l’utopie, oui ; du programme, non.

D’où une deuxième ambition : ce travail de cartographie effectué, comment ne pas essayer en même temps d’en penser une cohérence ? Comment l’objection de conscience à la croissance peut-elle assumer jusqu’au bout la cohérence de son engagement dans la politique ? Pour l’écrire très clairement : comment sortir définitivement d’une société de croissance 4 et proposer une société de l’objection de conscience à la croissance ? Auquel des trois « pieds » donner une préférence ? Celui des « idées » ? Mais là, je conserve encore une trace de fond marxiste : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, mais ce qui importe c’est de le transformer » (11ème des thèses sur Feuerbach). Alors, celui de la « révolution », du « grand soir », du « nouveau départ », de la « Grande Révolte » ? Quant à moi, il entre dans ces termes trop de « croyance » pour que je puisse y adhérer ; et puis à cause de leur violence intrinsèque je ne les juge ni possibles ni désirables.

C’est cette deuxième ambition qui donnera le plan de cet effort de réflexion : on n’y trouvera ni une analyse du capitalisme – ce qu’il est, et les raisons de son rejet – ni une prophétie sur ce que serait un monde meilleur – ce qu’il pourrait être, un projet désirable. On n’y trouvera que ce qui s’intercale entre le rejet et le projet, à savoir la « stratégie de transformation » pour réussir la transition, c’est-à-dire le trajet du capitalisme à l’après-capitalisme. Stratégie définie d’abord par la rupture avec les stratégies historiques de sortie du capitalisme (celle de « la Gauche »), stratégie définie ensuite, plus positivement, par l’image des trois pieds politiques de l’objection de croissance :

  1. Sortir de la Gauche, puis
  2. Sortir du capitalisme.

Je ne reprendrai pas une troisième ambition qui aurait eu pour but de répondre à une forte objection qui ne manquera pas de m’être adressée : séparer ainsi trois pieds, ce n’est qu’abstraction ; car, en réalité, pas de lutte sans projet, pas de projet sans expérimentations, etc. Cette objection est fondée ; tellement fondée que ce n’est pas par des réponses écrites que l’on peut vraiment y répondre ; mais par des actes. Alors je n’essaierai pas d’anticiper les multiples effets, relations, connexions, échos qu’un pied peut avoir sur les deux autres : pratiquons-les, expérimentons, prouvons l’équilibre en équilibrant…

b) Dans notre société, qui est une « dissociété » 5, la dépolitisation peut prendre plusieurs facettes : la séduction plutôt que la répression pour mieux installer une société de surveillance plutôt que de contrôle. Du coup et par contrecoup, nous pouvons constater une repolitisation – paradoxale ? – de certains qui peut prendre la forme d’une politisation « éclatée », « abstraite », focalisée, au mieux « localisée », au pire « groupusculaire ».

D’un côté, comment ne pas s’étonner de l’adéquation toujours un peu décevante entre l’image médiatique et caricaturale des « décroissants » qui préfèrent la bougie au nucléaire, le pigeon à internet, etc. et l’attitude réelle de certains décroissants qui, se posant ou non en exemples, se retirent dans l’exclusivité d’une forme d’engagement au mépris des autres formes possibles ? D’un autre côté, comment ne pas se réjouir en même temps de la multiplication et de la diversité de ces engagements et pratiques qui, à leur façon, ont un potentiel de convergence en faveur d’une objection de conscience à la croissance ?

C’est dans ces repolitisations paradoxales que l’on retrouve précisément les deux attitudes que l’image du tripode politique entend critiquer, rejeter et dépasser :

  • Il y a ceux qui refusent très rapidement de réfléchir pour préférer l’action : « assez de blabla », « passons aux choses sérieuses », « action, action, action ! ». Mais agir sans réfléchir, n’est-ce pas cela seulement « réagir » ?
  • Il y a aussi ceux qui se contentent soit d’un seul angle d’action, soit d’un seul angle d’analyse ; on en a tous rencontré de ces obsédés de la solution radicale, de ces adorateurs de leur « doudou idéologique »… On en a tous rencontré de ces convaincus qu’ils ont trouvé le fil d’Ariane, le fil miraculeux qui va défaire la pelote de la complexité labyrinthique de notre monde…

Pourquoi rejeter et critiquer ces attitudes ? Parce qu’elles sont « abstraites » et non pas « concrètes ». Par exemple, dans le vocabulaire des objecteurs de croissance on parle souvent des « alternatives concrètes ». Mais qu’est-ce qui fait qu’une alternative est « concrète » ? Au sens propre, « abstraire », c’est extraire, c’est « séparer de « . Dès qu’une alternative est déliée, dégagée, refluente ou divergente, et désarticulée : elle est « abstraite ». Au contraire, une alternative sera « concrète » dès qu’elle sera une alternative liée, engagée, confluente, « articulée ».

1. LA SORTIE DE LA GAUCHE.

La sortie du capitalisme doit être en même temps une sortie de la critique traditionnelle du capitalisme, c’est-à-dire a minima une critique vigoureuse – sinon une rupture – de l’idéologie socialiste (tant dans sa variante communiste que dans sa variante sociale-démocrate). Or de cette critique traditionnelle, nous sommes nombreux à en avoir hérité les modes de penser et d’agir, ainsi que toute une vision du monde et de l’histoire.

Héritage qu’il faut à la fois assumer et dépasser : des problèmes ont été posés et il s’agit de les affronter sans trop d’illusions ; ni celle du marxisme comme horizon indépassable, ni celle d’un abandon pur et simple du marxisme 6.

A. Ne pas être insensible à l’historique.

Une « stratégie de la transformation » suppose un minimum de sensibilité à l’historique. Car il ne s’agit plus de légitimer la révolution ou la réforme à partir de la certitude d’être dans le « sens de l’histoire » 7.

En effet, celui qui est persuadé d’inscrire son action politique dans le sens de l’histoire ne peut pas échapper à l’objection suivante : la contradiction du déterminisme et du volontarisme. Pourquoi agir volontairement pour s’opposer au capitalisme s’il existe une contradiction interne au capitalisme qui inévitablement, nécessairement, détermine sa disparition ? Cet « argument de la nécessité » est foncièrement anti-politique puisqu’il risque de rendre inutile tout engagement politique 8.

Discutable 1 : pourquoi ne pas « récupérer » ou « conserver » l’argument de la nécessité non pas pour justifier l’usage de la violence mais au contraire pour anticiper et éviter tout risque de son usage ? Enjeu : décroissance subie ou décroissance choisie ?

Discutable 2 : Se méfier de l’argument de la nécessité (« les contradictions internes du capitalisme ne peuvent pas ne pas l’autodétruire ») ne signifie pas rejeter toute idée d’une contradiction interne (car les contradictions externes ne donnent que des dialogues de sourds).

Pourquoi la crise récente du néolibéralisme ne doit-elle pas être confondue avec la crise terminale du capitalisme ? 9

Depuis le milieu du XIXème siècle s’était opérée une mondialisation : l’occasion pour des Etats-nations en cours de formation ou de consolidation d’affirmer leur puissance simultanément à l’essor de la sphère marchande et du libre-échange. C’est à cette occasion que le travail, la monnaie et la terre ont pu rentrer dans la logique du marché (la « grande Transformation » de Karl Polanyi). Cette alliance de l’Etat-Nation et du Marché débouche dans les années 1930 sur des politiques étatiques de régulation du marché (planifications macro-économiques, marchés réglementés, entreprises publiques, politiques sociales de redistribution).

Mais à partir de 1979, les victoires électorales du néolibéralisme dans les pays riches du Nord marquent la fin de la régulation étatique de l’économie (économie keynésienne et régulation sociale des marchés). Le « consensus de Washington » réalise alors une nouvelle mondialisation – celle que l’on peut qualifier de néolibérale – qui est soumise aux dogmes monétaristes (dérégulation des marchés, rigueur budgétaire par diminution des dépenses publiques, rigueur monétaire par un contrôle de la masse monétaire confiée à des banques centrales indépendantes de tout contrôle politique).

Quelles sont alors les causes de l’actuelle crise du capitalisme néolibéral ? Si l’on suit Thomas Coutrot 10 quand il énumère les 4 piliers du néolibéralisme : la libre circulation des marchandises et des capitaux, la privatisation généralisée, la flexibilité du travail, le pouvoir absolu des actionnaires dans l’entreprise, alors comment ne pas voir leur contradiction interne ? En effet, le capitalisme a besoin d’une société dans laquelle les travailleurs soient en même temps des consommateurs. Non seulement parce que le capitalisme est ainsi « désirable » mais aussi parce que la consumation incessante des produits du travail 11 alimente la croissance. Or, dans sa phase néolibérale, d’un côté le capitalisme a favorisé le pillage des gains de productivité au profit du Capital et en ce sens il a appauvri les travailleurs ; mais d’un autre côté, ces travailleurs étaient des consommateurs dont la consommation, ne pouvant plus être financée par le prix de leur travail, ne pouvait plus l’être qu’à crédit (par les dettes publiques et privées) : la contradiction interne de la phase néolibérale du capitalisme est la crise de l’endettement et du surendettement.

B. Hypothèses historiques.

Hypothèses de discussion que l’on peut formuler à partir de cette « séquence néolibérale du capitalisme » :

a/ Quelle aurait pu être une fonction historique de cette courte phase néolibérale du capitalisme (1979-2009) ? Si l’on admet que le socialisme comme critique du capitalisme s’était incarné au XXe siècle dans 2 tentatives, celle du socialisme soviétique et celle de la social-démocratie, en quoi le moment néolibéral a-t-il été utile au capitalisme ? Faisons l’hypothèse que son utilité aura été la liquidation des versions communiste et social-démocrate des critiques du capitalisme. Remarquons que la liquidation de la version social-démocrate a commencé dès 1979 ; dix ans avant la liquidation de la version communiste.

b/ Cette double liquidation des socialismes a permis aux néo-libéraux d’être en même temps des néo-conservateurs (cette hypothèse repose sur le schéma proposé par Immanuel Wallerstein selon lequel depuis 1848 l’offre politique se divisait en conservateurs, libéraux et socialistes 12.

c/ De cette hypothèse, une première leçon peut en être tirée, pessimiste. Il y a 30 ans on pouvait se permettre de critiquer la social-démocratie « par sa gauche » à cause notamment de ses insuffisances démocratiques. Mais qui pouvait imaginer que ses « progrès » sociaux pourraient à ce point être remis en question par l’hégémonie néolibérale ? Qui pouvait imaginer un tel recul de l’Etat-providence ? Même les libertés individuelles les plus élémentaires sont une à une attaquées et fragilisées. Au lieu de se battre pour une radicalisation de la démocratie, nous devons recommencer à nous battre juste pour éviter la déconstruction systématique des institutions démocratiques fondamentales 13.

Ce qu’une politique a réussi à imposer, une autre politique peut réussir à s’y opposer.

d/ Quant à une seconde leçon, optimiste : ce qu’une politique a réussi à imposer, une autre politique peut réussir à s’y opposer. La phase néolibérale n’est pas l’échec de la politique en face du pouvoir économique ; tout au contraire, c’est la victoire d’une politique. Le néolibéralisme est la preuve que le politique est la cause de l’économique (et non pas l’inverse comme la pensée unique voudrait arriver à nous le faire croire ; paradoxalement aidée en cela par ses propres contradicteurs, les tenants de « l’économie, en dernière instance »). Quand on prend ainsi conscience que la thèse de l’impuissance du politique n’est en réalité qu’une mystification destinée à dissimuler la victoire d’une politique (néolibérale) alors nous pouvons en tirer une conclusion positive : réapproprions-nous la politique 14.

e/ Admettre que les phases du capitalisme ont des contradictions internes, ce n’est pas du tout la même chose qu’affirmer qu’il y a des contradictions internes au capitalisme qui amèneraient nécessairement sa disparition ou son dépassement. S’il est illusoire de croire que les capitalistes finiront par nous vendre la corde pour les pendre, alors il vaut mieux reconnaître que la crise terminale du capitalisme ne viendra pas d’elle-même : les causes de la résistance au capitalisme sont bien loin d’être les conditions suffisantes de la sortie du capitalisme.

f/ Le néo-libéralisme n’a été que la phase du capitalisme (1979-2009) qui a précédé la phase suivante et dans laquelle nous entrons : celle du capitalisme vert. (La défaite de) l’alliance des néo-libéraux et des néo-conservateurs laisse vide la place des libéraux de progrès, place que peut occuper aujourd’hui le libéral-écologisme (d’où concrètement en France la porosité des idées et des individus entre Verts et Modem).

g/ Ceci étant dit, ce n’est donc pas du néolibéralisme qu’il s’agit de sortir car ce serait tout simplement accepter de participer à la phase suivante, celle du capitalisme vert et de la « croissance plus écologique ». C’est là toute la différence entre décroissance et développement durable : il ne s’agit pas d’amender ou de réformer le capitalisme, il s’agit d’en sortir.

h/ Et c’est pourquoi, crise ou pas crise, se désaliéner de la religion de la croissance, ce n’est pas proposer la décroissance comme sortie de la crise du capitalisme mais comme sortie du capitalisme tout court.

i/ Placer ainsi la décroissance comme critique radicale du capitalisme (radicale parce qu’anti-productiviste) permet de trouver un argument pour conserver ce terme de « décroissance ». C’est que ce terme est irrécupérable par le capitalisme ! Le capitalisme comme la croissance peuvent être « plus justes », « plus écologiques » : ils ne seront jamais « plus décroissants » !

C. Hériter du marxisme.

En quel sens dans notre héritage marxiste devons-nous trier entre questions et réponses ?

Il nous faut assumer d’être, dans notre critique du capitalisme, à la fois héritier et orphelin du marxisme. Orphelin car le paradigme marxiste de la sortie du capitalisme est obsolète ; non seulement sa tentative historique de réalisation a été un échec mais ses cadres théoriques se révèlent aujourd’hui insuffisants.

Tant la variante communiste que la variante sociale-démocrate ont historiquement échoué. Il y a deux manières de constater cet échec. Directement, ni la voie des républiques socialistes ni celle des démocraties keynésiennes n’ont réussi à installer un ordre mondial économiquement juste et politiquement émancipatoire. Indirectement, par la priorité accordée à la « modernité de la modernisation technologique » aux dépens de la « modernité de la libération », variante communiste et variante sociale-démocrate du socialisme n’ont en réalité réussi qu’à assurer l’hégémonie de l’idéologie qu’elles prétendaient combattre : le libéralisme 15.

Quant à l’insuffisance des cadres théoriques, il suffit d’évoquer les difficultés, sinon les contorsions, des partis de gauche à considérer les questions de l’écologie et celle de l’humain. En effet, aux mouvements sociaux qui relèvent de la structure de classe et qui peuvent être appréhendés selon les schémas classiques de l’exploitation économique, s’ajoutent depuis un demi-siècle de nouveaux mouvements sociaux 16. Non seulement ceux qui renvoient à la crise écologique mais aussi tous ceux qui posent une crise de la reconnaissance et de la dignité 17.

Ces discussions, quand elles ne sont tout bonnement pas niées par la gauche traditionnelle, sont au mieux passées au crible du paradigme marxiste de la lutte des intérêts de classe.

Bien sûr, les revendications de reconnaissance peuvent être identifiées en tant que revendications morales de la « nouvelle petite bourgeoisie », pour qui le « classement » se fait par le « sentiment de déclassement ». Mais en même temps, ces revendications de dignité ont depuis longtemps été portées par le mouvement ouvrier. Les descriptions de Marx dans les Manuscrits de 1844 sur le « travail aliéné » comme celles de Engels dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre ne sont pas incompatibles avec la défense par George Orwell de cette culture ouvrière anglaise qui a véhiculé un socialisme spontané fondé sur la common decency 18. Du coup, il est peut-être trop simple de réduire le discours de la lutte pour la reconnaissance et pour la dignité à une critiquable « ringardisation des revendications… des classes populaires » 19.

Car, la question de l’exigence de reconnaissance dans les luttes de salariés peut déboucher sur une autre interrogation : au fond, dans une « société du mépris », les ouvriers et les petits bourgeois se retrouvent dans « le même sac ». Mais qui les y place ? Existe-t-il une classe « éthiquement » et non plus économiquement définissable qui, quand bien même elle ne serait certainement pas à l’origine d’un « plan caché », en serait quand même la principale bénéficiaire ? Face à elle et à sa domination « hégémonique », comment penser le sens d’une convergence des revendications, que leurs enjeux soient « matérialistes » ou « moraux » ? N’y a-t-il pas dans les mouvements écologistes, féministes, homosexuels ou régionalistes des motivations d’émancipation, de dignité et de « fierté » qui échappent au calcul (utilitariste) des intérêts bien compris ? 20 Poser ces questions, c’est en même temps, se rendre compte que c’est le cadre le plus global de ces revendications qui ne peut plus être pensé en le réduisant « en dernière instance » à sa détermination socio-économique. Non seulement il faut sortir du paradigme marxiste mais construire un nouveau paradigme pour penser la « confluence » des revendications de justice sociale et de reconnaissance morale, et de responsabilité écologique.

Mais de plus, à condition de refuser d’opposer « luttes matérialistes » et « luttes morales » et d’insister sur leur « intrication », la lutte pour la reconnaissance et pour la dignité, peut fournir le « maillon psychique manquant » 21 pour permettre de passer de la passivité et de la soumission volontaire à l’action. Ce que ne permet peut-être pas le sentiment de l’injustice pécuniaire : pour que celui-ci soit ensuite explicitement revendiqué, ne faut-il pas d’abord supposer une émotion négative causée par une expérience morale de mépris ou d’humiliation ? Car à la différence des revendications réduites à la question de la rémunération, la question de la reconnaissance ne peut être posée qu’à partir d’une anticipation de ce que serait une vie individuelle réussie dans une société économiquement juste et humainement décente. C’est ainsi que la lutte pour la reconnaissance tient les deux bouts, celui de la motivation la plus personnelle et la plus affective et celui de l’attente tout à fait globale d’une société améliorée, la « dimension singulière » et la « dimension proprement sociale », le « désir d’être soi » et le « désir d’être avec ».

Pourtant, ne cachons pas que ces revendications de reconnaissance ne sont pas uniformes et que « confluence » ne se confond pas avec « homogénéité » : elles sont d’abord des exigences de singularité caractéristiques de la « modernité de la libération » 22. Ce qui amène à se poser deux questions : comment distinguer entre motivation réactionnaire et motivation « progressiste » 23 ? Qu’est-ce que finalement qu’un « mouvement social » ? Est-ce seulement un mouvement de protestation d’une catégorie sociale ou bien tout mouvement n’est-il véritablement « social » qu’à condition d’associer à ses revendications toujours déclenchées conjoncturellement des exigences plus globales, et donc politiques ?

Mais en tant qu’orphelins nous devons pourtant en assumer un certain héritage.

C’est à travers ce type d’interrogations que l’on peut prendre conscience à quel point la sortie du capitalisme est orpheline du paradigme marxiste de la critique du capitalisme. Mais en tant qu’orphelins nous devons pourtant en assumer un certain héritage. D’une part parce qu’il faut presque par principe se méfier d’une radicalité qui exige sans cesse que la table soit rasée ; d’autre part, parce que les problèmes posés par le marxisme doivent être résolus, même si les solutions seront radicalement autres 24.

Quels sont ainsi les problèmes-clés de la sortie du capitalisme que nous devons affronter pour partager avec le paradigme marxiste un terrain de débats ? Suivons Thomas Coutrot 10 qui en distingue trois : le sujet de la sortie, le rythme de la sortie et la méthode de la sortie. Qu’il soit bien clair que si nous partageons ces problèmes-clés, nous mettons plus qu’en débat les solutions traditionnellement marxistes : la classe ouvrière comme sujet de la sortie, la dictature du prolétariat comme rythme révolutionnaire de la sortie et l’avant-garde éclairée comme méthode pyramidale de la sortie. Nous reposons donc trois questions : Qui ? Quand ? Comment ?

a) Qui pour appeler à d’autres mondes possibles ?

Dans l’idéal, nous aimerions répondre que tous les humains appellent à d’autres mondes possibles. Mais dans les faits, c’est faux et comme nous nous interdisons de croire que nous savons mieux que les gens ce qu’ils désirent, nous devons constater que le « sujet de la sortie du capitalisme » est actuellement une minorité, voire une infime minorité.

Ce qui implique que nous devons reconnaître que la plus grande partie des humains aspirent de fait à participer à un monde – et ce monde, c’est le capitalisme – qu’ils jugent désirable. Certes, nous pouvons nous rassurer en nous répétant qu’il n’y a là que mystification idéologique, que l’idéologie dominante reste l’idéologie de la classe dominante, que dans la société du spectacle « le vrai est devenu un moment du faux », que la société de consommation repose sur le mythe du « pays de cocagne », il n’empêche qu’il ne faut pas se leurrer dans l’illusion d’une humanité toute prête à s’entendre révéler que d’autres mondes sont possibles. Mieux, ou pire, si le capitalisme est désirable alors la sortie du capitalisme se doit d’être, elle aussi, désirable. Ah ! Si le capitalisme était unanimement détesté par une humanité consciente que « tout est pour le pire dans le pire des mondes possibles » alors le problème de sa sortie serait quasiment résolu sitôt posé. Mais tel n’est pas le cas : la domination idéologique du capitalisme est telle qu’il apparaît au plus grand nombre comme l’horizon indépassable et souhaitable de tout projet politique. Pire, ou mieux, ce désir du capitalisme impose que sa sortie soit, à son tour, désirable : telle est l’ambition d’une décroissance conviviale 25.

Mais alors qui sont les sujets de la stratégie de la transformation ? La réponse a deux côtés : un côté réaliste et factuel, celui de sa composante sociologique ; un côté plein d’espoir, celui de l’appel à de futures confluences.

Historiquement, il existe une filiation du tiers-mondisme à l’altermondialisme, et de celui-ci et de sa critique à l’objection de croissance (voir la présentation caricaturale de la décroissance par LO). Par voie de conséquence, cela donne une filiation sociologique de sa militance. L’altermondialisme a toujours été un « mouvement de mouvements » : mosaïque, foisonnement de mouvements (développement, travail, droits sociaux, condition féminine, écologie, tiers-mondisme) qui se retrouvent dans un combat commun inédit dont les trois ressorts 26 sont : la défense des « perdants » de la mondialisation néolibérale par ceux qui sont plutôt des « membres par conscience » du mouvement que des « membres bénéficiaires » : d’où la nécessité pour l’altermondialisme de réussir son « élargissement social ». Un nouveau cadre d’action politique unifié de fait par le refus commun du néolibéralisme qui rend le mouvement altermondialiste « attractif » pour toute une série de causes marginalisées et en mal de reconnaissance (il faut « en être »). L’importance accordée aux modalités innovantes de prise de décision : « réseau », « organisation ouverte », « consensus », etc.

Idéalement, pour réussir son élargissement social, l’objection de conscience à la croissance en tant qu’altermondialisme 27 devrait s’inscrire dans ce que Chantal Mouffe appelle une « chaîne d’équivalence ». Plutôt que de préconiser une séparation totale des mouvements de contestation du capitalisme, elle postule qu’il serait nécessaire d’établir une chaîne d’équivalence entre toutes les différentes luttes afin que chaque revendication ne puisse s’exprimer qu’en prenant vraiment en compte d’autres revendications : les travailleurs définiraient ainsi leurs revendications en tenant compte de celles des noirs, des immigrés, des féministes, des écologistes ; et réciproquement, les féministes ne se contenteraient pas de définir leurs revendications en termes de genre mais elles prendraient aussi en compte celle des autres groupes « afin de créer une large chaîne d’équivalence entre toutes ces luttes démocratiques ». Et réciproquement, pourrait être posée « la question de Flipo » : quand verra-t-on des ouvriers de chez Renault en chômage partiel en profiter pour poser la question des produits ?

Comment la multitude des revendications et des résistances va-t-elle se muer en sujet politique ?

Pourrait ainsi se mettre en place une volonté collective de toutes les forces de résistance afin de pousser à une sortie du capitalisme. C’est ainsi que se pose la question politique fondamentale du sujet de la sortie du capitalisme : comment la multitude des revendications et des résistances va-t-elle se muer en sujet politique ? Et comme il ne s’agira pas de construire une nouvelle « internationale décroissante », les différences jusque dans les objectifs devront être reconnues.

D’où un premier problème politique fondamental : comment s’organiser dans la reconnaissance des différences 28 afin de mettre en place une chaîne d’équivalence entre les différentes luttes ?

b) Quand d’autres mondes seront-ils possibles ?

La question du rythme de la sortie du capitalisme est classiquement posée à partir de l’opposition entre réforme et révolution, opposition qui recouvre quasiment celle entre libéralisme et socialisme. Opposition qui peut se redoubler à l’intérieur du socialisme entre socialistes réformistes (IIe Internationale) et socialistes révolutionnaires 29 (IIIe Internationale).

Mais il n’est pas invraisemblable de penser que ces oppositions sont plus rhétoriques que réelles et d’en déduire que le rythme de la sortie du capitalisme pour échapper à ce pseudo-dilemme doit en passer par une « stratégie de la transformation ».

En effet, le résultat à long terme de la Révolution française fut de permettre à trois concepts 30 d’imposer leur légitimité comme indiscutable : la normalité du changement politique 31, la souveraineté populaire 32, la citoyenneté des individus résidant sur le territoire d’un Etat-Nation 33. Le paradoxe c’est que même l’idéologie conservatrice, qui naît par réaction, dans ses efforts pour ralentir les effets de la Révolution française en actait la légitimité.

C’est par opposition à cette idéologie conservatrice que naquit l’idéologie libérale : concéder aux « classes dangereuses » la reconnaissance des principes théoriques (normalité du changement, souveraineté populaire et citoyenneté) mais à condition d’en gérer le rythme sous l’égide et le contrôle d’une expertise économique et d’une ingénierie sociale 34 nécessaires pour s’assurer que le changement reste graduel.

C’est par opposition à cette idéologie libérale que naquit l’idéologie socialiste. « Alors que les protosocialistes de la période pré-1848 furent très largement des adeptes soit de la conspiration insurrectionnelle (les carbonari, Blanqui), soit du retrait utopien comme stratégie (Owen, Cabet, ainsi que bien d’autres variantes), les échecs de 1848 (le fait que les soulèvements spontanés n’entraînaient que peu ou pas du tout d’effet politique) firent l’effet d’une douche écossaise de réalisme politique pour la gauche. Celle-ci s’est tournée vers le problème de l’organisation, une approche stratégique par étapes d’action politique. Nous connaissons bien celle que les socialistes ont élaborée durant la seconde moitié du XIXe siècle : étape numéro un, il faudrait conquérir le pouvoir au sein de chaque Etat souverain ; étape numéro deux, on transformerait cette société nationale grâce à l’emploi judicieux du pouvoir d’Etat. Plus tard encore, le camp socialiste allait se diviser sur la tactique à employer au cours de la phase numéro un – le débat tournait autour du fait de savoir s’il fallait conquérir le pouvoir en passant par les urnes ou grâce à l’insurrection planifiée (ce qui allait jeter les bases de la différence théorique entre les IIe et IIIe Internationales)» 35.

« Mais ne serait-il pas plus juste de dire qu’il n’y a jamais eu qu’une seule idéologie véritable depuis 1789 : le libéralisme qui s’est déployé sous trois variantes particulières ? » 36.

C’est en ce sens que la sortie du capitalisme doit être résolument antilibérale et que la question du rythme de la sortie du capitalisme doit sortir du dilemme – finalement interne au libéralisme et à ses variantes – entre la réforme et la révolution. Quelles sont alors les axes qui pourraient être discutés pour envisager une « stratégie de la transformation » ?

Pour ne pas les multiplier, pourquoi ne pas se contenter d’un axe portant sur les moyens et d’un autre portant sur le but : soit un principe de non-violence et un principe d’horizon 37.

Quant à un principe de non-violence, on n’a que l’embarras du choix pour en fournir des justifications :

  • Sortir la politique de la voie machiavelienne du réalisme. Nous devons changer de réalisme et remettre en question ce que Machiavel a réussi à imposer comme une évidence : « Parler du « réalisme » de Machiavel, c’est avoir admis le point de vue de Machiavel : le « mal » est politiquement plus significatif, plus substantiel, plus « réel » que le »bien » ». 38 Ce qui sera une manière de redonner actualité à cette définition de la politique qu’Aristote proposait au début de son Ethique à Nicomaque (1094 a 27) : La connaissance du bien suprême est « l’objectif de la discipline la plus souveraine et la plus éminemment maîtresse. Et telle est la politique visiblement. » Repenser la politique à partir de la réalité du bien plutôt que du mal : une révolution anti-libérale ?
  • Jean-Claude Michéa définit la civilisation libérale comme celle « du moindre mal ». Politiquement, pour refuser le totalitarisme, le libéralisme n’est-il pas le moindre mal ? Culturellement, si je refuse d’être réactionnaire, le moindre mal n’est-il pas d’être libéral ? Economiquement, entre collectivisme et économie de marché, la solution libérale n’est-elle pas le moindre mal ? Si je n’ai le choix qu’entre totalitarisme, réaction et collectivisme d’un côté et libéralisme de l’autre côté, le libéralisme est le moindre mal ; je dois enregistrer que faute d’une « idéologie du Bien », le mieux est d’éviter le pire. Jean-Claude Michéa précisément refuse cette alternative entre totalitarisme et libéralisme, alternative que le libéralisme ne peut pas perdre, sauf à prétendre que la politique doit par tous les moyens imposer à chaque citoyen une conception étatique de la vie bonne, en proposant une solution inspirée par les réflexions de George Orwell : « c’est ce refus constant de noyer l’ »homme ordinaire » (common man) dans les eaux glacées du calcul égoïste qui permet à Orwell de critiquer à la fois le libéralisme et le totalitarisme » 39. Pour sortir de la fausse alternative entre l’absolutisme d’une idéologie du Bien et le relativisme de la neutralité axiologique libérale, Jean-Claude Michéa reprend l’idée orwellienne de ce sentiment collectif propre au socialisme ouvrier du 19e siècle, la common decency, « sentiment intuitif des choses qui ne doivent pas se faire, non seulement si l’on veut rester digne de sa propre humanité, mais surtout si l’on cherche à maintenir les conditions d’une existence quotidienne véritablement commune » 40. C’est-à-dire, cet ensemble de vertus pratiques traditionnelles telles que l’honnêteté, la générosité, la loyauté, l’entraide, la bienveillance ; toutes vertus qui peuvent constituer une « éthique du don » : donner, recevoir et rendre.

Toute violence abolit les fondements symboliques du « vivre-ensemble ».

  • Maintenir le refus de la violence comme principe non-négociable dans une société décente, c’est-à-dire « une société dont les institutions n’humilient pas les gens » 41. Car ce que montre Terestchenko (2008) pour la torture est valable pour toute violence : celle-ci abolit les fondements symboliques du « vivre-ensemble ».
  • Rejeter tout ce qui de près ou de loin fournit un moyen pour la guerre, en particulier, évidemment, le nucléaire. Car, avec la bombe 42, la destruction totale de toute vie sur terre est devenue possible. Quant à l’utilisation dite pacifique de l’électronucléaire, nous savons déjà depuis les accidents de Kytchim, Tchernobyl et Three Mile Island que les conséquences sont terribles. La possibilité de la guerre totale révèle toujours le potentiel totalitaire de la société qui s’en donne les moyens technologiques et industriels.
  • Ne se laisser séduire par aucune esthétisation de la violence…

Quant au principe d’horizon, nous entendons par là que toute action politique – dès qu’elle se pose la question du « quand , » – devrait définir son espace-temps à partir d’un horizon : ce qui permettrait de reposer les difficiles questions de l’utopie, de l’urgence, de la catastrophe.

Difficile question de l’utopie, lourde à assumer à cause d’un double héritage bien difficile à dépasser. D’abord, théoriquement, quand Hans Jonas écrit son Principe Responsabilité, il le dirige explicitement contre le Principe Espérance de Ernst Bloch ; la critique contre l’utopie est extrêmement sévère : « la foi en l’utopie… entraîne au fanatisme » 43 et du coup sa solution fait a minima l’impasse sur l’impérieuse nécessité de la démocratie. Ensuite, pratiquement, nous savons tous vers quelles dérives totalitaires peuvent toujours aller les utopies de gauche : mythologie de la tabula rasa et résolution des problèmes politiques par le remplacement de l’homo curvus par le Surhomme nouveau. Comment dans ses conditions « redonner une chance à l’utopie » ? s’interroge lucidement Geneviève Decrop 44.

Autre difficulté, le renvoi absurde de l’utopie vers des temps infinis (et au-delà) alors que l’imagination utopique n’a de sens que pour le présent. L’utopie commence maintenant : il ne faut pas remettre à demain la sortie du capitalisme. Mais alors par où commencer ? Paul Ariès 45 a raison de distinguer trois étages : ceux de l’engagement individuel, collectif ou associatif et enfin politique 46. Il les enchaîne en montrant que les insuffisances de chaque étage peuvent inciter à passer à l’étage supérieur. Mais est-il si évident de commencer par la simplicité volontaire ? Ne serait-il pas plus réaliste de constater que l’on commence par l’engagement associatif puis on le complète soit en l’approfondissant par un travail personnel sur soi, celui de la simplicité volontaire ; soit en le généralisant dans l’espace public, celui de la repolitisation ?

Difficile question de l’urgence : d’une part qui nierait l’urgence de la crise sociale, de la crise environnementale, de la crise anthropologique, de la crise démocratique (retour des conservateurs, fragilité des acquis sociaux-démocrates, excès de démocratisme mêlé bien souvent à un rejet affiché de la démocratie confondue avec la démocratie libérale) mais aussi comment garder le sens de la mesure, la lenteur de l’escargot ?

Difficile question de la catastrophe : la catastrophe menace davantage l’humanité que la nature. Si la catastrophe est inévitable, pourquoi agir ? 47 Si la catastrophe est évitable, c’est qu’il existe des conditions insuffisantes de sa réalisation et que ces conditions sont par définition ignorées donc ne peut-on pas toujours supposer qu’il n’y a rien à faire ou qu’il sera toujours temps – plus tard – de faire ? Si par précaution ou responsabilité, on fait comme si la catastrophe était inévitable, n’est-ce pas faire reposer les mobiles de l’action politique sur des passions telles la peur ? Enfin, l’anticipation de la catastrophe peut elle-même être la cause de la catastrophe…

Ce n’est donc pas en défilant tous du même pas, au même rythme, que nous sortirons du capitalisme. Il y a des rythmes parce qu’on est sorti d’une linéarité historique ; plutôt des labyrinthes, des va-et-vient, des élans… Les temps des catastrophes, de l’utopie, de l’urgence sont ceux d’une temporalité inversée dans laquelle l’avenir est déjà présent. Dans une conception linéaire et orientée du temps, de telles inversions chronologiques seraient des contradictions logiques ; dans un espace-temps public et décolonisé, ce sont des « possibles ».

D’où un deuxième problème politique fondamental : comment rendre compatible entre eux ces rythmes afin d’articuler une convergence des plans différents des actions politiques ? 48

c) Comment d’autres mondes seront-ils possibles ?

Se pose enfin la question des formes d’organisation d’une part pour aller ensemble vers d’autres mondes possibles, d’autre part pour y vivre ensemble. D’une part une hésitation entre l’organisation verticale et l’organisation horizontale, pour faire court, entre le parti et le mouvement. D’autre part une hésitation sur la démocratie directe/indirecte.

Cette question de l’organisation est sans doute la plus embrouillée de la stratégie de la transformation ; parce que l’organisation est, parmi les objecteurs de croissance, toujours mise en concurrence avec l’inorganisation ; parce que toutes les réponses à première vue évidentes deviennent vite soumises à polémique et à raidissement. La radicalité la plus intransigeante s’y exprime sans retenue, en pouvant dans une même rhétorique mêler une dénonciation de la démocratie comme ruse des puissants pour leurrer le peuple et exiger sitôt une démocratie si pure et si absolue qu’elle ne peut plus exister qu’au sein d’un groupuscule 49.

Bref, alors que la démocratie devrait être un espace où les désaccords se formulent, s’expriment et se respectent, où « dé-battre » prend tout son sens de contraire de « battre », la violence des mots et des intolérances y règne trop souvent, dans l’inadéquation décevante des intentions affichées et des pratiques. C’est sur cette question de l’organisation/inorganisation que bien des engagements sont venus épuiser leur motivation (et leurs naïvetés !).

Quant à l’organisation immédiate, ne semblerait-il pas évident que, en cohérence avec un principe d’horizon, nous devrions préférer le « mouvementisme » au « partidaire », l’horizontalité de nouvelles formes d’organisation/inorganisation (réseau, consensus, open organization…) à la verticalité qu’elle soit descendante ou ascendante (la verticalité basiste de certains libertaires – celle d’une « pyramide des conseils » – reste quant même une verticalité !) ?

Mais comment ne pas constater que la démocratie si souvent dégénère en « démocratisme » 50 : « Et si la transparence des procédures, la publicité des débats, le choix rationnel et transparent des candidats, la multiplication des votes, et partant l’excès de démocratie se retournaient sur le beau rêve initial, produisant du désordre, de l’inefficacité et même de l’impuissance ? » Telle est la question qu’ose poser Jean-Paul Russier dans un article dont les meilleurs morceaux de sociologie politique s’appuient sur l’expérience du parti des Verts (à lire absolument).

Quant à l’organisation des autres mondes possibles, là aussi trop souvent l’excès prend le pas sur la mesure, l’illusion sur l’exactitude. Ainsi, la référence à la démocratie athénienne – révérence obligée pour le partisan de la démocratie directe – tient souvent plus du fantasme 51 que du minimum de connaissances historiques. Pour ce minimum, il faut lire la synthèse 52 de Pierre Khlafa sur la démocratie athénienne. Pour les plus courageux, une bonne référence sur les institutions athéniennes, c’est le remarquable travail de Morgens Hansen 53 : occasion de cesser de confondre la démocratie « radicale » du Ve siècle avec celle du siècle suivant, occasion surtout de cesser de mythifier la démocratie directe des origines 54.

Osons même une défense de la démocratie représentative – ce qui ne veut pas dire, évidemment, une défense de la démocratie représentative que nous vivons aujourd’hui, ni même un refus de la démocratie directe. En référence à la définition de Hannah Arendt de la politique comme « espace public d’apparition » 55, l’espace démocratique ne doit pas vouloir tout occuper mais accepter de coexister avec d’autres espaces de vie – l’école, l’Eglise, la culture, l’art, la famille… : « on doit pouvoir entrer et sortir de la politique, et donc s’y faire représenter. Une démocratie directe, une démocratie où chacun est sommé de participer, où il ne peut se faire représenter par d’autres est un enfer » 56. L’enfer décroissant peut donc être pavé des meilleures intentions de la démocratie directe !

Encore faut-il maintenant ouvrir le chantier pour déterminer à quelles conditions peut-on confier la décision de décider à d’autres que soi… Il s’agit alors de partager ce pouvoir de décision : le mot de « démocratie » ne vient-il pas d’une racine indo-européenne « *da » qui signifie « partage », « répartition » ?

Jusqu’où aller dans ce partage ? Jusqu’à quel point la démocratie doit-elle être une « démocratie générale » 57 ? En quel sens une démocratie peut-elle être une « démocratie radicale » 58 ? Comment construire ensemble une « démocratie des possibles » 59 ?

Pour répondre à cela, d’autres questions plus fondamentales devront être posées : sur le pouvoir, la règle de la majorité, le « peuple », la fin des débats (abandonner en particulier la croyance d’origine technolâtre que tout problème doit avoir sa solution, qu’elle soit logique, dialectique ou dialogique, c’est-à-dire accepter de ne pas traiter ses adversaires en ennemis : un conflit n’a pas toujours une solution rationnelle), la définition même de la rationalité (qu’est-ce que « avoir raison » ? 60 ). Plus profondément encore, une réflexion sur « ce que c’est que parler » devrait nous permettre de séparer les coupes de cheveux en quatre par les « occupeurs de terrains » et les nécessaires coupures et pauses – celles qui, en apparence, sont des détours qui font perdre du temps mais qui, en réalité, prennent le temps de savoir de quoi on parle – pour définir (fût-ce provisoirement) les termes d’un débat 61.

Elles devront permettre de fournir des réponses provisoires à des interrogations plus concrètes : qu’est-ce qu’une assemblée générale, qu’est-ce qu’un porte-parole, le rôle des techniques internet dans la dé-géographisation de nos échanges, comment articuler et répartir nos échanges entre le « localisé » et le « thématique »…

Nous voyons donc que ces questions d’organisation/inorganisation/désorganisation lient ensemble le processus et le projet, le réel et l’idéal et qu’il s’agit vraiment de refuser de penser ces distinctions comme des clivages.

D’où un troisième problème politique fondamental : comment s’organiser pour conformer le chemin à notre horizon ?

2. LA SORTIE DU CAPITALISME.

A l’issue de cette longue « sortie de la Gauche », se sont dégagés trois problèmes politiques fondamentaux :

  • Organiser une chaîne d’équivalence,
  • Articuler des rythmes et des plans d’actions,
  • Réussir l’adéquation immédiate entre nos pratiques et nos principes.

A chaque fois, nous avons remarqué que la sortie du marxisme nous privait de la solution du type « route toute tracée ». L’image du tripode a pour but d’affronter ces trois problèmes sans retomber dans les dogmatismes du paradigme marxiste, sans basculer non plus dans le scepticisme de l’abandon de la politique ; bref, de proposer une sortie réelle et réalisable du capitalisme.

Remplacer une imagination du temps linéaire par un imaginaire de l’espace décolonisé.

Si l’on veut donner une image de ce changement de paradigme, nous pourrions proposer celle d’un passage du temporel au spatial. Nous ferions de la politique en la situant dans un espace plutôt que dans un temps. Et surtout pas un temps linéaire, déterminé, finalisé : nous essayons de faire de la politique sans croire à une ligne du temps historique, sans adhérer à la « ligne du parti », sans expliquer chaque événement par sa causalité économique, sans tirer la ligne de la planification. Surtout plus de prophète, qu’il soit de malheur ou de bonheur, surtout plus de leader messianique. Ce qui ne veut pas dire que nous ignorons le temps : tout au contraire, l’abandon de l’illusion d’un « sens de l’histoire » nous rend d’autant plus sensibles à l’historique. Mais nous situons l’action historique dans un champ des possibles, des créations : l’important n’est pas que nous allions tous dans la même direction, que nous visions le même sens unique, l’important c’est de savoir qu’à côté de mon action politique, une autre action, d’un autre type peut-être, partage avec moi au moins le refus de rester dans un monde économiquement et socialement injuste, écologiquement irresponsable, humainement indécent. C’est de cet espace que le tripode prétend faire un relevé pour y voyager.

L’histoire de ces « voyages », de ces trajets, constitue la « stratégie de la transformation ». Il ne s’agit plus d’une stratégie institutionnelle 62 qui se contenterait d’accompagner, voire d’adoucir, les méfaits du capitalisme. En atténuer les effets n’est qu’une manière comme une autre de collaborer à la gestion du capitalisme : non seulement est alors remis à plus tard la sortie réelle du capitalisme mais pire encore, les droites les plus caricaturales et les plus conservatrices en profitent toujours pour tirer argument que, puisque les alternatives de gauche n’amènent que déceptions 63, c’est bien la preuve que le capitalisme est indépassable 64.

La stratégie de la transformation est une stratégie par effet de « masse critique » : il s’agit d’allier les expérimentations et les alternatives concrètes avec les luttes et les contre-pouvoirs. Ceci suppose d’agir en vue de l’apparition d’un bloc social, rassemblant mouvement social autonome et mouvement politique, unis autour de la cohérence d’un projet politique.

A. Le pied des expérimentations : expérientiel 65 de la politique.

En tant qu’objecteur de croissance, anti-productiviste, antilibéral et sensible à l’histoire des luttes politiques, nous ne pouvons plus croire à aucun grand soir (électoral ou insurrectionnel), ce qui ne veut pas dire pour autant que nous ne voyons plus la politique comme un rapport de forces. Mais nous ne pensons plus qu’un rapport de forces extérieur à la société puisse jamais réussir ; d’où la mise en place de rapport de forces pour pousser la société à évoluer par elle-même vers son émancipation.

Car par lui-même le pouvoir qui gouverne une société est conservateur : il tend à laisser les choses en l’état, peut-être trop occupé à gérer les « affaires courantes », « le nez dans le guidon ». Il s’agit donc de faire atteindre à ces rapports de forces un effet de masse critique qui forcera les pouvoirs à ne pouvoir faire autrement que de reconnaître l’autonomie des mouvements sociaux acteurs de ces rapports de force.

Avant de voir à quelles conditions cet effet de masse critique deviendrait réalité, remarquons d’abord explicitement que cette stratégie est exactement la stratégie contraire des socialistes et « des » gauches, qu’ils soient sociaux-démocrates ou communistes. Il ne s’agit plus de conquérir le pouvoir puis de l’utiliser pour changer une société nationale grâce à l’emploi judicieux du pouvoir d’Etat. Il s’agit au contraire de commencer à changer la société sans attendre la conquête du pouvoir d’Etat.

L’intérêt de ce renversement stratégique est au moins double : d’une part, il ne fait plus de la question de l’Etat la question centrale de la transition (permettant ainsi aux adversaires de l’Etat comme à ses partisans 66 de commencer sans attendre à s’investir ensemble dans les alternatives sociales). Il ne fait donc plus de la maîtrise d’une bureaucratie – que ce soit celle du Parti dans la variante communiste ou celle des experts dans la variante social-démocrate – la clef du changement : est ainsi rendue possible une « révolution permanente » au lieu d’une dépossession permanente. D’autre part, il reprend à son compte une ambition internationaliste 67 de l’anticapitalisme : puisque la conquête d’un pouvoir national n’est plus un préalable !

a) Changer le monde sans prendre le pouvoir 68.

Mais comment penser une sortie réelle, réaliste et réalisable de la sortie du capitalisme sans en passer par les deux stratégies traditionnelles des anti-capitalistes : la violence des révolutionnaires et le contrôle de l’Etat par les réformistes ? Quelle alternative à la violence et à l’Etat ? « Ni l’Etat ni la violence du terrorisme. Mais où allons-nous ? Il y a une alternative à l’Etat. Indubitablement, l’Etat est simplement le mouvement qui consiste à supprimer cette alternative. L’alternative est la dynamique vers une autodétermination sociale. » Rajoutons qu’il y a une alternative à la violence ; et que la violence est le mouvement qui consiste aussi à supprimer cette alternative.

« L’autodétermination sociale n’existe pas et ne peut pas exister dans une société capitaliste : le capital sous toutes ses formes est la négation de l’autodétermination. De plus, l’autodétermination individuelle n’existe pas et ne peut exister dans aucune société : notre action est si imbriquée avec celle des autres que l’autodétermination individuelle n’est qu’une illusion. Il reste la dynamique vers l’autodétermination sociale. »

« Il est désormais clair qu’il n’y a pas d’alternative : la transformation en une seule fois du capitalisme mondial en socialisme mondial ou en communisme n’est pas pensable, la seule façon possible de penser un changement radical de la société réside donc dans les interstices. » Tout l’enjeu de ces interstices, c’est vraiment qu’ils ne soient pas des replis individualistes de sortie apolitique du capitalisme mais au contraire qu’ils deviennent des failles dans lesquelles inscrire la conjonction des résistances. Comment alors distinguer entre interstices politiques et apolitiques ?

« Le critère permettant de juger une action dans la conception traditionnelle de la révolution est : cela nous aide-t-il à prendre le pouvoir d’Etat ? Mon approche met ici en avant un critère différent : l’action ou la forme d’organisation nous font-elles avancer sur le chemin de l’autodétermination sociale ? Préfigurent-elles une société s’autodéterminant ? »

« Ces formes anticapitalistes sont potentiellement les formes embryonnaires d’une nouvelle société. La naissance de cette société est le mouvement dynamique vers l’autodétermination, le mouvement de la rébellion à la révolution. »

Le préalable n’est donc plus d’accéder à la prise du pouvoir institutionnel mais d’assurer la jonction des luttes sociales et des expériences alternatives : « Comment renforçons-nous notre dynamique vers l’autodétermination sociale ? »

b) Quelles sont les conditions d’efficience de la masse critique ?

  • Les luttes sociales doivent explicitement se considérer comme les agents d’un mouvement social : à savoir viser explicitement la transformation radicale de la société et la sortie du capitalisme. Se pose ici la question de la grève : faut-il abandonner cette forme traditionnelle de la lutte ? Non, mais la relativiser, certainement. Ritualiser une journée de grève nationale autour d’un patchwork de revendications pour tenter pathétiquement d’obtenir un effet de masse : non. Mais remplacer cette journée de grève autour de multiples revendications par une semaine de grève autour d’une seule revendication ; pourquoi pas, si cette semaine est l’occasion de prendre le temps de poser toutes les questions politiques. Quant aux grèves locales, leur spontanéité est souvent la garantie de leur réalité effective : une grève localisée dans le temps et l’espace peut espérer obtenir des résultats localisés dans le temps et dans l’espace.
  • Ces luttes sociales doivent assumer leur responsabilité politique en se définissant comme des contre-pouvoirs : les conflits sociaux doivent alors être des occasions pour expérimenter in concreto d’autres formes de responsabilités, d’autres formes de prises de décisions, d’autres formes de solidarité (utiliser la gratuité comme moyen de lutte par exemple)…
  • Les luttes sociales doivent être relayées dans le débat politique public. En dehors des medias officiels et marchands quasi entièrement contrôlés par la collusion des puissances politiques et financières, pourquoi ne pas envisager un « réseau autonome de communication » ? Ce qui ne devrait pas nous interdire d’utiliser les canaux officiels d’information : d’une part lors des campagnes électorales, d’autre part dans les institutions : ce qui suppose en effet une certaine forme de participation aux élections et aussi l’acceptation d’avoir des élus 69.
  • Les luttes sociales doivent être vigoureusement relayées à la fois par les alternatives concrètes et par un projet politique explicite : ainsi les stratégies anarcho-syndicalistes ou les appels incantatoires à la Grève Générale sont bien en deçà non seulement des nécessités mais aussi des possibilités sociales 70.

Pour mieux saisir la nécessité pour les luttes sociales d’atteindre une masse critique, un très bon exemple peut en être la question de l’autogestion 71. L’autogestion n’est pas le sésame miraculeux qu’il suffirait de promouvoir pour sortir immédiatement de la production marchande. Car faute d’une masse critique, l’entreprise autogérée, parce qu’elle se trouve dans un contexte économique qui lui est au mieux indifférent, mais en réalité hostile, soit disparaît soit redevient une entreprise classique : « Prise isolément, l’entreprise « autogérée » est irrémédiablement condamnée… Multipliée, généralisée, fédérée à d’autres, élément essentiel de la constitution de réseaux alternatifs de production, de consommation, d’échanges, l’entreprise «autogérée» est à la fois la pièce maîtresse de ce nouveau monde que nous voulons construire, un élément essentiel du pourrissement et de l’obsolescence du système actuel, et un lieu dans lequel doivent se former, se forger et se développer les nouvelles pratiques sociales et solidarités », conclut justement Patrick Mignard.

c) Les alternatives concrètes 72.

Difficile de proposer une définition commune pour toutes ces initiatives qui explorent sans attendre des voies, des trajets, des projets, pour sortir du capitalisme : en ce sens, elles sont des « commencements » de sortie du capitalisme. Elles partagent toutes l’idée que le « mieux » n’est pas dans le « plus », et quelquefois même il est dans le « moins » 73. Il s’agit donc toujours de produire autrement, d’échanger autrement, d’habiter autrement, d’apprendre autrement, de se soigner autrement… 74 Si on voulait en dresser un inventaire complet, on pourrait commencer par s’opposer à tout ce qui dans nos sociétés n’est valorisé que par la croissance et la quantité aux dépens de la qualité de vie 75.

Amap, sel, scop, scic, repas, villes lentes ou transition towns : comme tentatives concrètes pour sortir du capitalisme à partir d’une société capitaliste, aucune d’entre elles ne prétend avoir la perfection et la pureté et c’est pourquoi c’est souvent leur faire un mauvais procès que de les railler pour leur compromis et leurs demi-mesures 76. Ces critiques ne font que renforcer a contrario la nécessité d’atteindre une masse critique pour que ces alternatives concrètes favorisent les promesses de changement dont elles sont potentiellement porteuses.

Car, sans attendre, ces initiatives sont déjà fort créatrices :

  • Les alternatives concrètes sont créatrices de liens. Le « lyannaj » qui engage l’émancipation sociale, associative, à se poursuivre et à s’approfondir dans l’émancipation conviviale humaine, individuelle. Quel contresens de voir dans ces alternatives des initiatives d’abord individuelles ! 77 Alors qu’au contraire, elles entrent dans la transition par le bon étage : celui de l’associatif et du collectif.
  • Les alternatives concrètes sont créatrices de cohérences. Car elles affrontent d’emblée l’alternative dans toutes ses dimensions : économique, sociale, environnementale, humaine et même quelquefois politique. La relocalisation de l’économie par la mise en place de circuits courts tant dans la production que dans la distribution facilite la prise en compte de l’empreinte écologique et la constitution de relations sociales autrement organisées (relations qui ne peuvent exister qu’à partir d’une certaine division du travail : à moins que chacun ne puisse respecter l’autre qu’en s’enfermant dans son individualité autarcique ?)
  • Les alternatives concrètes sont créatrices de sens : redonner sens à la dignité et à la décence. « Valeurs » irréductibles à la justice et à la responsabilité ; valeurs qui permettent aussi bien de dépasser un simple « écosocialisme » (celui qui se contente d’additionner le rouge de la tradition socialiste au vert de la tradition écologiste) que de ne pas réduire la « décroissance » à une simple « supplique au capital ». Car la question n’est pas tant d’attendre les conditions de la décroissance que de la pratiquer sans délai. « Quand bien même » la nature serait infinie et les ressources économiques illimitées, objection serait adressée à la croissance par essence insensée. Préférer le pouvoir-vivre au pouvoir d’achat, inclure le « poétique » dans les « produits de haute nécessité ».
  • Les alternatives concrètes sont créatrices de réflexion : elles provoquent ces « réflexions » pour trancher entre ce qui est « bon usage » et « mésusage »… Discussions qui ouvrent une « théorie de la pratique » ; qui ne tombent pas dans le piège de « la rupture pour la rupture » (on a déjà le capitalisme pour cela) ; qui par beaucoup d’aspect défendent un certain « conservatisme », un sens de la mémoire sociale, collective, celle des luttes par exemple…

Comme les luttes sociales, ces alternatives concrètes doivent atteindre une masse critique. En fait, il n’y aura réellement masse critique que par la conjonction des luttes sociales et des alternatives concrètes comme contre-pouvoirs politiques.

Ne cachons pas la faiblesse de ces alternatives concrètes qui se situent le plus souvent sur un plan d’action associatif et qui peinent du coup à passer au plan explicitement politique 78. Au pire, elles peuvent n’être quelquefois que des « clubs de rencontres conviviaux » ou des alibis pour une contre-culture à la mode. C’est pourquoi les alternatives ne peuvent être « concrètes » que si elles ne sont pas coupées des autres modes de résistance au capitalisme : le front des luttes sociales, les manifestations publiques et la cohérence idéologique d’un projet.

Il faudrait consacrer une réflexion toute particulière pour les alternatives qui se déroulent au niveau municipal : démocratie municipale 79 comme coopérative municipale 80. Car ces initiatives sont déjà à la conjonction du pied des alternatives et du pied institutionnel, et elles peuvent véritablement être les leviers pour entraîner les effets de masse critique 81.

Pour obtenir l’effet de « masse critique », nous devrons donc aussi agir sur le front politique des élections ; sera-ce au prix de quelques illusions ?

B. Le pied spectaculaire de la politique.

Le moyen le plus simple de ne créer aucune désillusion est de ne se laisser attirer par aucune illusion.

Aujourd’hui, « la gauche de gouvernement » cherche le « pouvoir » par les urnes et fait du front des luttes un spectacle (réduit à la comptabilité du « combien étions-nous dans la rue ? » 82) ; mais tout aussi symétriquement, « l’extrême-gauche » feint de faire croire qu’un « pouvoir » peut encore se prendre dans la rue et fait des urnes un spectacle (réduit, quoi qu’ils en disent, à un casting régulièrement pseudo-dénoncé par leur candidat spectaculaire).

Conscients de la tentation spectaculaire des « urnes et des armes », la sortie du capitalisme ne doit pas pour autant déserter ces manifestations publiques (sous peine de donner vraiment raison à ceux qui ne voient dans la « relocalisation » prônée par les décroissants qu’une variante rusée de l’individualisme généralisé).

Se pose ainsi la question du rôle dans une stratégie de la transformation de toutes ces manifestations politiques qui, parce qu’elles visent une visibilité publique, ne peuvent pas échapper à la critique de tomber dans le spectaculaire : les pétitions, les manifestations et les votes.

a) Les pétitions.

Faut-il se laisser aller à dire que trop de pétitions tuent les pétitions ? Non et pour une raison très simple : en règle générale, une pétition n’a aucun effet ; au mieux un impact localisé. Ses seuls intérêts sont d’une part de permettre l’expression et la formulation de résistances ; d’autre part, de favoriser entre les pétitionnaires le sentiment qu’ils ne sont pas les seuls à réagir.

Mais, « réagir » c’est trop souvent courir derrière le train et bien rares sont les pétitions qui proposent de construire 83 plutôt que de s’opposer à une destruction. C’est pourquoi le mobile d’une pétition est trop souvent de l’ordre du réactif et de l’affectif (de la sensation au sensationnel) plutôt que de l’ordre de la réflexion, de l’ordre de la caricature plutôt que de l’ordre de la cohérence.

Pourquoi pas néanmoins des pétitions comme première étape en vue de consultations d’initiatives populaires ? Occasion pour des minorités pour demander des débats publics 84 et ainsi favoriser l’effet de masse critique ?

Bref, les pétitions peuvent lutter contre l’invisibilité politique et quand bien même le visible est souvent détourné vers le spectaculaire, préférons le visible à l’invisible.

b) Les manifestations.

Elles semblent allier tous les avantages et tous les inconvénients des grèves et des pétitions réunies. Comme les grèves… on doit pouvoir leur reprocher d’avoir souvent pour seule fonction politique réelle que d’occuper les « classes dangereuses » et les détourner des véritables enjeux…

Elles sont présentées comme des moments de « mobilisation » alors que trop souvent elles ne gèrent que l’immobilisme social. Quand elles ne sont pas simplement des instruments de grégarisation des mouvements sociaux par les professionnels de la contestation sociale. Car elles se situent si souvent dans l’injuste milieu de l’absence de spontanéité sociale et de l’insuffisance de cohérence politique : elles « jouent à l’insurrection » et à la démocratie par la rue.

Pour déjouer cet effet spectaculaire des manifestations, des initiatives existent qui méritent intérêt à cause de leur cohérence. Manifestations en silence, ou immobiles, ou permanentes, ou chroniques : toujours sans violence…

c) Les votes.

Distinguons trois moments : la campagne, les tactiques électoralistes, la pratique des institutions par les élus.

Les campagnes sont des tribunes. Quand le vote est une consultation ou un référendum, elles sont l’occasion pour les mouvements politiques de débattre. Certes la mainmise des puissances capitalistes sur les médias réduit la portée des débats mais l’exemple du 29 mai 2005 a prouvé qu’une campagne moléculaire d’informations pouvait s’opposer victorieusement à la désinformation officielle 85.

Mais tous les votes ne sont pas des consultations, il y a aussi des élections. Quant à la campagne, les élections sont aussi des occasions de tribune.

Le problème, c’est que bien souvent le système de représentation n’est pas démocratique 86. Ce qui entraîne les candidats à jouer les illusionnistes pour mobiliser les dupes, trop souvent avec l’argument du « vote utile » qui ne peut obtenir de majorité que sur la base du plus petit dénominateur commun politique et ainsi ne s’affairer qu’à gérer le capitalisme et certainement pas à en sortir.

Pour autant, faut-il déserter le terrain électoral et se priver de ces occasions de se manifester, de présenter notre projet, nos idées ? Faut-il croire que les expérimentations alternatives seront suffisantes pour atteindre un effet de masse critique ? Nous ne le pensons pas et c’est pourquoi nous acceptons de participer sans aucune illusion aux consultations et aux votes.

Sans illusion nous devons l’être aussi quand il s’agit de préciser notre tactique électorale non-électoraliste au sein de notre stratégie de la transformation.

Nous savons bien qu’une démocratie représentative est une démocratie majoritaire ; et pas plus que pour le moment précédent – celui des campagnes – nous ne voudrions nous replier sur notre pré-carré de l’avant-garde éclairée qui regarde avec une ironie détachée le jeu des programmes et des promesses en se gardant bien de s’y salir le moindre petit doigt, pas plus pour le moment suivant – celui des possibles victoires électorales – nous ne voudrions nous enfermer dans la pureté des minorités pour qui tout abandon des dogmatismes signifie trahison et compromission.

Pour « l’effet masse critique », nous devrons agir sur des « majorités influençables » 87. Et comme lucidement, nous reconnaissons que nous aurons parfois besoin d’eux, alors nous ne nous cachons pas qu’ils existent et quand nous dialoguons avec eux, c’est pour dialoguer jusqu’à aboutir : mais sans aucune illusion électorale, car nous sommes parfaitement au clair sur le renversement de notre stratégie de changement. Sans nos actions, celles des alternatives concrètes et des contre-pouvoirs, la société ne saurait changer. Et c’est pourquoi c’est bien là que nous nous investissons plutôt que dans les chimères institutionnelles.

Est-ce à dire que nous participerions à des majorités ? Politiquement, nous n’avons guère d’illusions là non plus sur une reprise de nos propositions par des gouvernements ou des exécutifs (nationaux, régionaux ou locaux). Si c’était pourtant le cas, y aurait-il une bonne raison alors de ne pas leur accorder un soutien critique et ponctuel ? Pour autant, quel serait l’intérêt de participer politiquement à des exécutifs dans des majorités dominées par la social-démocratie et ses alliés ? Aucun, tout au contraire même.

Techniquement, cela ne signifie pas ne pas avoir d’élus, mais pouvoir en avoir à condition qu’ils ne dépendent pas d’accords politiques majoritaires avec la social-démocratie, mais d’accords techniques respectant la proportionnelle intégrale. Ces élus n’ayant comme rôle que de permettre les avancées et la pérennisation des alternatives et expérimentations sociales (y compris par la loi), certainement pas celui de collaborer à un dispositif institutionnel qui est l’accompagnement politique d’un modèle dont nous voulons sortir 88.

Bien entendu, ces élus seraient désignés par le bloc alternatif, sur un engagement de mandature dont ils devraient rendre compte devant leurs mandants, avec le non-cumul impératif, y compris dans le temps, et un revenu limité au revenu moyen local 89.

Toutes ces précautions suffiraient-elles à nous prémunir de la récupération par le système ; risquons-nous par notre participation au spectacle du jeu des votes de perdre notre intégrité anti-systémique ? Nous ne le pensons pas car il ne s’agit là que d’un pied de notre stratégie et que précisément les deux autres pieds sont là, comme des contre-pouvoirs ou des contrepoids, afin d’éviter de perdre notre « équilibre politique ». Maintenant, nos propres réticences vis-à-vis des élections sont telles qu’on ne pourrait pas reprocher à certains d’entre nous qui refusent de s’y prêter de nous critiquer. Mais que cela ne nous interdise vraiment pas ni d’agir ensemble dans nos alternatives ni de réfléchir ensemble à notre projet.

C. Le pied du projet : idéal de la politique 90.

Pas question dans cette réflexion sur la transition et notre « stratégie de la transformation » de proposer « clef en main » un projet. D’abord parce que notre critique anti-systémique du capitalisme ne doit pas déboucher à son tour sur un projet-système, fût-il critique. Si c’était le cas, alors nous réduirions le global au total, nous retomberions dans l’universalisme critiquable d’un certain altermondialisme, nous refermerions les pistes et les explorations de notre espace de transformations au profit d’un projet fermé, prophétique, déterministe 91. Ensuite, même si le projet est l’un des trois pieds du tripode, la question que nous nous posions était celle de la transition et de la stratégie à adopter pour sortir radicalement du capitalisme : non pas « dans quels mondes nous voudrions pouvoir vivre ? » mais « par quelles voies ou par quels moyens pensons-nous avoir le plus de chances d’y parvenir ? » C’est pourquoi après avoir rejeté les stratégies traditionnelles de la Gauche nous avons esquissé une description des multiples pistes 92 que nous pourrions explorer. Un tel travail sur le trajet devrait donc se trouver encadré par un travail sur le rejet (quel monde – le capitalisme – nous refusons et pourquoi ?) et un travail sur le projet.

C’est pourquoi dans une réflexion sur la transition qui critique les transitions orientées qui ont toutes échoué, nous ne pouvons pas ne pas écrire quelques mots sur le projet, mais surtout sans en écrire tous les mots. C’est pourquoi l’exigence de radicalité qui porte sur notre projet porte aussi sur notre trajet : pas question d’abandonner notre idéal sur la route de la réalité. Surtout quand « radicalité » signifie davantage « cohérence » qu’« intransigeance » 93.

Si notre stratégie de la transformation diffère des stratégies traditionnelles de la Gauche, c’est bien parce qu’il est évident qu’il y a des différences de projet ; les grandes propositions de radicalité sociale et écologique ne seront qu’illusions rapides et futures déceptions si l’on ne remet pas en cause les piliers du capitalisme : la recherche du profit comme seule source de l’intérêt, le droit de propriété et l’aliénation par le salariat, la mise à disposition de la Nature et des Humains au service du Capital qui les gère en les traitant comme des externalités et des variables d’ajustement…

Très généralement, on n’empêchera pas les catastrophes sociales et écologiques à venir sans remettre en cause nos modes de vie, sans sortir de la société du spectacle, sans éviter les impasses générées par la religion de la technique : le tout-voiture, le nucléaire, les OGM, les pesticides, les nanotechnologies…

Plus particulièrement, les grandes phrases sur la réforme de la politique agricole, sur la reconversion de l’industrie, sur l’émancipation sociale et sur la protection de l’environnement resteront lettre morte si elles restent soumises à « la marchandisation du monde ».

La façon la plus radicale, la plus cohérente, de constater cette différence de projet, c’est de prendre conscience pourquoi nous cherchons à sortir du capitalisme : non pas parce qu’il est en crise ou qu’il ne peut pas ne pas mener à son effondrement ; quand bien même le capitalisme serait une réussite économique, réussissant par des politiques social-démocrates de régulation et de welfare à redistribuer les profits générés par la production, nous voudrions sortir du capitalisme.

Quand bien même, le capitalisme s’inscrirait dans une Nature aux ressources illimitées, nous le critiquerions pour son mésusage irresponsable. Quand bien même les richesses seraient infinies et permettraient par leur abondance une indifférence à leur répartition, nous préférerions une société juste.

La fonction d’un Projet sera alors d’assumer toutes ces exigences. Non pas pour en détailler toutes les mesures à intégrer dans un programme. Le projet devra doublement être un processus : dans son élaboration et dans son contenu.

C’est là qu’une liste roborative de questions qui fâchent ne devra jamais être perdue de vue. Et les questions y seront nombreuses : démocratie, individu, collectif, travail, héritage, monnaie, autogestion, éducation, santé, services publics, droits souverains, revenu inconditionnel de vie, mondialisation, échanges, non-violence, sens de l’histoire, catastrophe, utopie…

Enfin, quelles formes pourraient bien prendre un tel projet ? Formes multiples ; trois semblent déjà envisageables :

  • Une Plate-forme : sa fonction serait celle d’une charte de convergence en une dizaine de points permettant aux collectifs, associations, contre-pouvoirs de se réclamer d’une même conception de la sortie du capitalisme par une stratégie de la transformation.
  • Un Manifeste : texte beaucoup plus long et qui devrait rendre compte de la cohérence du rejet, du trajet et du projet ; texte politique qui devrait situer l’objection de croissance à la fois dans l’histoire du système-monde moderne, dans l’histoire de ses critiques anti-systémiques et qui permettrait non seulement d’esquisser des propositions programmatiques mais aussi de se situer par rapport aux autres partis et mouvements proposant des alternatives.
  • Des Uto-pistes (pistes de l’utopie) : textes ou autres expressions pouvant emprunter des formes moins convenues que la charte ou le manifeste, plus littéraires, fictionnelles ou poétiques et qui auraient l’audace d’imaginer des formes de vie alternatives.

En guise de conclusion : articuler les alternatives.

La sortie du capitalisme passe donc autant par sa « destruction » que par sa « déconstruction » : il s’agit de sortir en même temps du capitalisme et des stratégies classiques de sortie du capitalisme. Ces stratégies classiques ont échoué faute de ce travail idéologique de déconstruction sur le capitalisme qui les aurait peut-être empêchées d’être les sauveurs malgré elles du capitalisme et de prétendre (et d’espérer) tout changer pour, au résultat, ne rien changer.

La « décolonisation de l’imaginaire » consiste à rompre avec le mythe du « progrès » comme « développement » ; remplacer une imagination du temps linéaire par un imaginaire de l’espace décolonisé. C’est de cet espace d’équilibre et de trajets que l’image du tripode politique prétend faire le relevé.

Pour autant, nul ne doit se sentir contraint d’avancer sur ces trois pieds à la fois. A chacun suivant ses désirs. Juste cesser de croire être le seul à frayer le bon chemin.

Même si, en réalité, chacune de ces pistes peut s’engager dans une « confluence » : chaque front de lutte peut être une occasion de pratiquer les alternatives (« reprise d’entreprises par les salariés en cas de liquidation, recours systématique à la gratuité dans des conflits… »). La solidarité avec les perdants d’une compétition dans laquelle ils sont engagés de force ne doit pas nous empêcher de leur poser la bonne question : « quand verra-t-on les travailleurs de chez Renault s’inquiéter des ventes croissantes de leurs produits ? » Enfin les « réflexions » nées d’une « théorie de la pratique » ne doivent pas conduire à mépriser les tentatives de poser un « nouveau paradigme », de viser une nouvelle « hégémonie ». Cessons de renforcer la haine que le capitalisme a pour l’audace et la liberté de penser par soi-même.

Michel Lepesant, Romans sur Isère, Thuir d’Evol, Mai-juillet 2009

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Eléments de bibliographie

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Les notes et références
  1. http://www.m-pep.org/spip.php?article691[]
  2. « Depuis un siècle, aussi bien les réformateurs que les révolutionnaires ont échoué dans leurs projets parce que ni les uns ni les autres n’ont su assez bien reconnaître à quel point les préoccupations de court terme et les préoccupations de long terme exigent une action simultanée, bien que de nature diversifiée (et même divergente) », Wallerstein (2003), p.18-19.[]
  3. Il y a 35 ans, pour faire finalement 0,36% des voix, le candidat Krivine proposait l’image des « 2 jambes » : celle des urnes et celle des luttes. L’imaginaire des 2 jambes pour avancer reste encore prisonnier d’une croyance pour le développement, le progrès, la progression. Au contraire, 3 pieds, ceux d’un trépied, c’est bien suffisant pour garder son équilibre.[]
  4. Que la transition soit un processus ne doit pas impliquer que la sortie du capitalisme sera interminable ; car ce ne serait là qu’une manière de tout changer pour ne rien changer.[]
  5. Par opposition avec l’hypersociété et le régime totalitaire, qui sont les deux autres types de régression inhumaine, « »la dissociété » est une société qui réprime ou mutile le désir d’ »être avec » pour imposer la domination du désir d’ »être soi » », Jacques Généreux (2006), p.153. Du coup, dans la dissociété, la « dissociation personnelle » de chaque dissocié les amène à ne plus supporter le « vivre-ensemble » qu’avec des personnes semblables à elles-mêmes.[]
  6. Dans la suite, « marxisme » désigne la « vulgate » qui sert de cadre idéologique général et approximatif à la Gauche, sans ambition de satisfaire les exégètes marxistes, voire « marxiens », qui dénicheront toujours la phrase pour prouver que Marx avait déjà anticipé la critique qui vient de lui être adressée. Car (très) grosso modo critique du capitalisme signifie socialisme et socialisme signifie marxisme.[]
  7. Il s’agit encore une fois à propos du marxisme d’éviter de passer d’un extrême à l’autre. D’une part, il ne s’agit plus d’appuyer la conviction de l’action politique sur la certitude d’aller « dans le sens de l’histoire ». Car cette certitude repose sur une confusion entre la fin-finalité de l’histoire et sa fin-terminus : la violence, dans ce cas, est justifiée à priori par la vérité de la fin de l’histoire. D’autre part, rejeter un déterminisme historique ne doit pas entraîner un rejet de tout sens historique ; nous employons alors dans ce cas l’expression de « sensibilité à l’historique », pour bien marquer qu’il ne s’agit plus d’affirmer qu’une rationalité (qu’elle soit matérialiste ou idéaliste change peu à l’affaire) gouverne l’histoire et que celui qui connaîtrait cette rationalité pourrait en tirer la légitimité pour toute action qui s’y conformerait.[]
  8. Une critique complète et solide de cet argument est celle de Michel Dias (2006).[]
  9. Pour schématiser, nous distinguerons trois phases du capitalisme ; 1789-1929 : le capitalisme de la formation des Etats-Nations ; 1929-1979 : le capitalisme de la régulation keynésienne ; 1979-2009 : le capitalisme néo-libéral.[]
  10. Thomas Coutrot (2008).[][]
  11. Hannah Arendt (1961) distingue trois types de « vie active » à partir de leurs « produits » : le travail produit des objets de consommation, l’œuvre fabrique des objets d’usage et l’action engage des actions.[]
  12. Immanuel Wallerstein (2003).[]
  13. Chantal Mouffe (1986).[]
  14. Jacques Généreux (2006) chapitre 2.[]
  15. C’est toute la thèse solidement argumentée d’Immanuel Wallerstein dès (1999).[]
  16. Par « mouvement social », j’entends toute revendication qui se relie à une critique globale de la société. J’écarte ainsi les revendications qui, par abstraction, se concentrent sur leur corporatisme.[]
  17. Sur la question des « causes » de cet « oubli » par la gauche traditionnelle, je me permets de renvoyer ici à l’article que j’ai publié dans Le Sarkophage n°8 : le mépris, entre oubli et reconnaissance.[]
  18. Voir les textes de Daniel Szeftel (2006), Jean-Claude Michéa (2000) et de Bruce bégout (2008).[]
  19. Ce paragraphe et les trois qui suivent dialoguent avec un article écrit par Lilian Mathieu (2008).[]
  20. Dans une interview à CQFD n°57, John Holloway résume parfaitement la nécessité et la difficulté de ces revendications : « Le capitalisme nous pousse à nous identifier aux rôles qu’il nous fait jouer. Le mouvement contre le capital est nécessairement anti-identitaire… Si on dit seulement « nous sommes noirs, nous sommes femmes, nous sommes gays, nous sommes indigènes », alors on est piégé dans une logique qui nous réintègre dans la domination. Nous avons besoin de dépasser nos identités, d’affirmer et de nier dans un même souffle : nous sommes noirs et plus que cela, nous sommes femmes et plus que cela. Dès leur soulèvement, les zapatistes ont dit qu’ils se battaient pour les droits des indigènes mais aussi pour la création d’un monde nouveau basé sur la reconnaissance de la dignité. »[]
  21. Axel Honneth (2000), p. 166.[]
  22. Charles Taylor, (1994, 1998).[]
  23. Dans la mesure où nous pourrions fournir une définition valable de « progrès ».[]
  24. C’est en ce sens que se pose la question de savoir si le nouveau paradigme sera celui de la gauche ; l’opposition gauche-droite n’est pas porteuse d’une essence anhistorique. Néanmoins, non seulement elle est la formulation classique du clivage constitutif de tout débat politique mais il faudra bien résoudre les problèmes posés traditionnellement par la gauche, en particulier la question des injustices sociales et économiques.[]
  25. Dans une perspective de psychanalyse du sujet de la sortie, et dans le cadre de la seconde topique freudienne, alors nous demanderions que son Moi se libère tant du despotisme de la réalité unique (des libéraux) que du paternalisme du Surmoi gauchiste (de certains radicaux toujours prêts à sublimer leur frustrations en nous culpabilisant de ne jamais être assez… ou toujours trop…) afin que les désirs de son Ça politique puissent goûter les joies et les plaisirs de vivre.[]
  26. François Polet, (2008).[]
  27. Je mets de côté ici une distinction et tout un débat sur la juste critique adressée à l’altermondialisme quant à son incapacité à échapper au dogmatisme de l’universel et d’un unique monde possible. Les termes du débat qui mettent en jeu l’universel, le relatif et le pluriversel (le « pluriversum » de Carl schmitt et sa reprise comme « pluriversalisme » par serge Latouche) sont au meilleur sens très « discutables ». Mais autant je crois que ces critiques sont justifiées, autant je n’en déduis pas qu’il faille abandonner le terme d’altermondialisme au profit de celui d’altermondisme : quand bien même d’autres mondes seraient réalisés, ils n’existeraient pas sans liens ni échanges : ce qui constituerait bien une « autre mondialisation ». Philippe Zarifian propose de parler de « mondialité ».[]
  28. Comment penser les différences spatialement, en évitant de les réunir par emboîtement ou par leur plus petite et plus pauvre intersection commune et générale ? Michael Singleton propose une méthode, la méthode de l’ampliation analogique. Ne cachons pas que l’image d’une séquence évolutive de triangle à carré nous a servi de schème tout au long de ce travail.[]
  29. Opposition qui peut encore se redoubler à l’intérieur du socialisme révolutionnaire, entre ceux (IIIème internationale) qui comprennent le présent révolutionnaire comme transition plus ou moins longue, la dictature du prolétariat comme antithèse socialiste avant la synthèse communiste de la société sans classe et ceux (IVème Internationale) qui identifient la révolution au mythe du « grand soir ».[]
  30. Immanuel Wallerstein, (2000), chapitre I.[]
  31. Relisons néanmoins Edmund Burke, dans ses Réflexions sur la révolution de France (1790), lucide sur le nouveau goût du changement pour le changement : « Je vous dirai que nous aimons les vieux préjugés, parce qu’ils sont des préjugés, que plus ils ont régné, que plus leur influence a été générale, plus nous les aimons encore. »[]
  32. « Cette personne publique est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif », Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social (1762), I, 6.[]
  33. Coup de génie de la Révolution française que de réaliser ce que le monarque le plus absolu de l’Ancien régime n’avait même pas osé rêver : transformer chaque citoyen en soldat potentiel ; rappelons la décision de la Convention du 23 août 1793 : « Dès ce moment jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les français sont en réquisition permanente pour le service des armées ». Faut-il alors s’étonner que certains partisans du « tout est politique », « la démocratie en continu, sinon rien » n’hésitent pas à passer du citoyen-militaire des débuts au citoyen continuellement militant ?[]
  34. C’est ainsi que toute l’intendance est prise en charge par une « Machinerie socio-technique » ; alors, paradoxalement, dans la société libérale, plus l’individu croit diriger sa vie en vue de satisfaire tous ses désirs, plus il est dépossédé radicalement de sa vie quotidienne (idée présentée par Geneviève Decrop lors du Colloque Entropia n°6).[]
  35. C’est en lisant ce paragraphe écrit par Immanuel Wallerstein (2000) p..30-31, que l’on ne peut s’empêcher de penser, qu’à gauche, puisque ce sont toujours les mêmes débats, alors il serait peut-être temps de changer de paradigme si l’on veut vraiment sortir du capitalisme.[]
  36. Immanuel Wallerstein (2003), p.43. Enoncé provocateur que son auteur justifie historiquement mais aussi politiquement : car il s’agit bien pour chacune des idéologies conservatrice, libérale et socialiste de viser le même but – la gestion des classes dangereuses – en utilisant malgré le refus affiché de son utilité le même moyen – l’Etat.[]
  37. Ces principes se veulent les principes du rythme de la sortie du capitalisme et en ce sens ils sont les principes du temps de la sortie. Aucun problème pour voir le rapport entre rythme et horizon : car l’horizon ouvre un espace-temps ; l’horizon est cet espace fini dont je ne peux atteindre la fin quand bien même je disposerai d’un temps infini. Mais quel rapport entre non-violence et rythme : c’est que toute violence est en quelque sorte d’abord une violence faite au temps. La violence révolutionnaire maltraite d’abord le temps.[]
  38. Manent (1987), p.38.[]
  39. Michéa (2007), p.162.[]
  40. Michéa (2006).[]
  41. Margalit (1999), p.13.[]
  42. Qu’est-ce qu’une « bombe » ? Un objet marchand, à fort budget « recherche et développement », dont l’utilisation crée immédiatement les conditions d’une reprise de la croissance. Tout un programme militaire et… économique ![]
  43. Jonas (1979), p .259.[]
  44. Entropia n°1 (automne 2006), p.80-91. Et sa thèse est tout aussi lucide : non pas plus (du tout) de démocratie mais plus (et pas moins) de démocratie ; non pas plus (du tout) de pouvoir mais plus (et pas moins) de démocratie.[]
  45. On peut écouter sa conférence : La simplicité volontaire est elle un choix de vie coopératif ?[]
  46. C’est ici que je me permets de faire remarquer que beaucoup confondent ces 3 étages ou plans de l’engagement avec les trois pieds politiques de l’objection de croissance.[]
  47. « Car s’il faut prévenir la catastrophe, on a besoin de croire en sa possibilité avant. Si, inversement, on réussit à la prévenir, sa non-réalisation la maintient dans le domaine de l’impossible, et les efforts de prévention en apparaissent rétrospectivement inutiles », résume bien Jean-Pierre Dupuy (2002), p.13.[]
  48. Comme pour le premier problème politique fondamental, la solution sera plus « spatiale » que temporelle. Pas de séquence chronologique du type : d’abord les catastrophes, puis les urgences et enfin les utopies. La « stratégie de la transformation » est plutôt une « guerre de position » qu’une « guerre de mouvement » (A. Gramsci).[]
  49. Alors que Protagoras, qui peut être considéré comme un profond défenseur de la démocratie, ne cessait de répéter que « l’homme est la mesure de toues choses », on ne peut être qu’affligé de la perte de cette mesure par les auto-proclamés défenseurs de la « vraie » démocratie ![]
  50. Russier (2005).[]
  51. Pour une mise en perspective d’une histoire de l’utilisation des « cités grecques » par les politiques : lire l’article de Nicolas Journet dans Sciences Humaines, n°127 de mai 2002 (comment Athènes passe de l’extrême-doite à l’extrême-gauche ; comment par exemple, c’est plutôt à Sparte et pas à Athènes que « l’égalité passe devant la liberté »). Ne pas se priver aussi de lire dans le revue Esprit, décembre 1993, les deux articles de C. Castoriadis et de P. Vidal-Naquet pour permettre de « nouveaux regards sur Athènes ».[]
  52. Khalfa (2007).[]
  53. Hansen (1993).[]
  54. Comme si les problèmes étaient tous du côté de la démocratie indirecte, et les solutions toutes du côté de la démocratie directe ! Comme si la démagogie menaçait davantage la démocratie représentative que la démocratie directe ![]
  55. H. Arendt (1995).[]
  56. Geneviève Decrop, Redonner ses chances à l’utopie, Entropia n°1, p.89.[]
  57. Fotopoulos (2002).[]
  58. Mouffe (2008).[]
  59. C’est là que la méthode par « ampliation analogique » de Michael Singleton sera particulièrement féconde pour intégrer à nos réflexions toutes les autres expériences de démocratie qui viennent du dehors notre espace-monde occidental. On pense évidemment aux travaux de Pierre Clastres (1974, 1980).[]
  60. http://confluences.ma-ra.org/index….[]
  61. De l’utilité d’un vocabulaire commun ; proposer un « lexique de la décroissance » ?[]
  62. Même avec ironie, nous ne voulons plus accepter les critiques de cette gauche qui nous accuse de ne jamais « mettre les mains dans le cambouis ». Faire de la politique, c’est en effet « mettre les mains dans le cambouis » mais avec ceux qui souffrent, qui luttent et qui résistent, pas le « cambouis » des vice-présidences de régions ou de départements (avec voiture de fonction et future retraite dorée).[]
  63. Après les « déçus de la gauche », faut-il déjà redouter de futurs « déçus de l’autre gauche » ?[]
  64. C’est le célèbre article de Francis Fukuyama sur la « fin de l’Histoire ».[]
  65. Pourquoi « expérientiel » et pas « expérimental » ? D’abord pour rompre avec le cadre scientifique des expérimentations : parce que la politique n’est pas affaire de vérité. Ensuite, parce faire des essais et des erreurs n’est pas le propre du savant mais aussi la pratique de la vie réfléchie, vécue.[]
  66. Ne se peut-il pas que la garantie de droits souverains à l’alimentation, au logement, etc., soit l’occasion de dépasser le débat entre partisans et adversaires de l’Etat ?[]
  67. Il a là tout un débat à avoir pour articuler le global et le local. Les deux dangers à éviter à tout prix sont aisément définissables : quand le global devient le « total » ; quand le local devient le « bocal ».[]
  68. Holloway (2008). Toutes les citations qui suivent dans ce paragraphe viennent de l’épilogue[]
  69. Ces deux suppositions demandent que soit préciser le pied des manifestations spectaculaires.[]
  70. Une telle posture permet par exemple au NPA d’éluder le débat explosif en son sein sur la transition, et vers quelles alliances il conviendrait de se diriger.[]
  71. Patrick Mignard ose faire le point sur ses mythes et ses réalités ; ce qui lui vaut évidemment quelques critiques.[]
  72. Claude Le Guerranic, Les alternatives économiques au capitalisme, un tour d’horizon, contribution au Séminaire de Saint-Jean du Gard.[]
  73. Par exemple : http://www.negawatt.org/[]
  74. http://www.rama.1901.org/vens/, http://forumcitoyenromanais.ma-ra.o…, http://yurtao.canalblog.com/.[]
  75. Evitons pour un tel inventaire la méthode qui commencerait par dresser une liste des « besoins élémentaires » des humains.[]
  76. L’embêtant avec ces railleries c’est leur présupposé binaire, oui/non, bien/mal. Au fond, une manière de refuser de penser et d’agir la transition ; car, quand l’analyse est binaire, la critique n’est plus politique, mais tristement morale.[]
  77. Nous ne citerons que deux exemples de ce type de contresens. Non pas qu’il faille les mépriser, tout au contraire, car il s’agit au contraire de repérer très exactement leurs approximations ou inexactitudes. Le premier exemple se trouve dans le troisième des commentaires qui suivent l’effort de réflexion qui semble aujourd’hui le plus proche de notre stratégie de la transformation, le Manifeste pour une alternative de Patrick Mignard (ne cachons pas une divergence de taille sur la question de l’histoire). L’autre exemple est publié sur le site de Lutte ouvrière, avec un titre prometteur : La décroissance, un point de vue parfaitement réactionnaire. Aucune attaque ne manque : individualisme, malthusiasnisme, inefficacité, etc. ; surtout aller jusqu’au bout puisque, in fine, Marx y est un précurseur lui aussi de l’anti-productivisme.[]
  78. Claude Le Guerranic, Les SEL à l’heure d’un nouveau souffle, contribution au Séminaire de Saint-Jean du Gard.[]
  79. Epineuse et périlleuse démocratie municipale qui tombe bien souvent dans les dangers de la démocratie participative ; non qu’il faille sans réfléchir la condamner mais tout au moins la pratiquer avec beaucoup de précautions et d’exigences.[]
  80. Contribution au Séminaire de Saint-Jean du Gard de Benny Aguey-Zinsou : la coopérative municipale.[]
  81. Un kit de création de coopérative municipale sur le site de Jean Zin.[]
  82. Quand elle y est ![]
  83. Une belle exception toutefois, l’Appel pour le revenu de vie : http://appelpourlerevenudevie.org/.[]
  84. « Une société valable ne sera pas moins libre, mais plus libre que la nôtre. Plus d’instruction, plus d’information et plus précise, plus de critique concrète, la publicité du fonctionnement social et politique réel, tous les problèmes posés dans les termes les plus offensants – offensants comme l’est le malheur et comme le sont tous les bons raisonnements – voilà les conditions préalables de rapports sociaux « transparents » ». Maurice Merleau-Ponty (1955), p.401.[]
  85. Ce résultat du non au référendum sur le TCE semble incontestable. Plus contestable est en effet la conséquence réelle du non français ; dans les résultats négatifs, ne faut-il pas mettre aussi l’origine du mythe de l’Unitude ?[]
  86. Que « le système de représentation ne soit pas démocratique », ce n’est pas la même chose que « la démocratie représentative n’est pas démocratique ».[]
  87. L’autre gauche, celle qui se définit par le rouge et le vert, la transformation écologiste et sociale, l’éco-socialisme ; même si elle en reste à l’étapisme de la prise de pouvoir préalable aux changements.[]
  88. Dans de tels exécutifs, nous ne serions tenus à aucune solidarité de gestion. Chaque vote serait ainsi pesé à l’aune de sa stricte cohérence avec notre stratégie de la transformation. Il faut être clair : une participation ne serait jamais de l’ordre de la collaboration mais de celui de la résistance. Ce qui ne veut pas dire refuser pour refuser, dans une attitude destructive. Tout au contraire, dans une attitude constructive et en résistant.[]
  89. Pourquoi ne pas reverser le surplus dans une caisse d’expérimentation sociale ?[]
  90. Ne pas confondre « idéal de la politique » et « politique idéale » (sur le modèle, chez Freud, de la différence entre Moi idéal et Idéal du Moi). Parce que la politique idéale n’existe pas car elle supposerait des « humains idéaux » ; pour autant, il n’est pas interdit à chaque humain d’avoir un idéal de « vivre-ensemble ».[]
  91. Nous sortirions de l’espace décolonisé de la décroissance pour revenir au temps linéaire de la croissance.[]
  92. Immanuel Wallerstein propose de remplacer l’utopie par l’Utopistique (comme évaluation pondérée des alternatives possibles). Les « utopistes » deviennent ainsi des « utopisteurs » ; pourquoi pas ?[]
  93. Lire notre contribution aux premières rencontres de l’écologie radicale, en août 2008, à Miremont : la radicalité n’est pas l’intransigeance mais la cohérence.[]

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