Dignité et consentement
- Une morale minimaliste peut-elle lever la confusion de la notion de consentement ?
- Ne risque-t-elle pas surtout d’évacuer tout recours possible à la notion de dignité ?
- Faut-il vraiment trancher entre le libéralisme du consentement et l’anti-libéralisme de la dignité ?
Despotisme de la « dignité humaine »
Peut-on distinguer entre une conception despostique de la dignité et une conception non-despotique ?
Je préfère « despotisme » à « paternalisme » : en référence au texte de Kant sur la bienveillance du despote qui veut faire le bonheur des autres au prix de leur liberté : « un gouvernement paternel est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir » (Théorie et pratique, III).
C’est Ruwen Ogien (L’éthique aujourd’hui, chapitre 6) qui rappelle que « dignité humaine » signifie des choses assez contradictoires.
Ce concept de « dignité humaine » a été introduit en morale pour exalter le droit des personnes adultes à décider par elles-mêmes de ce qu’elles font de leur vie.
Par exemple : euthanasie, prostitution, pratiques sexuelles, tatouages, addiction, etc.
Conception non paternaliste de la « dignité humaine » : notre propre vie n’est pas une valeur qui nous dépasse, qui nous transcende, et c’est à nous, à nous seuls, de décider si elle vaut la peine d’être vécue, et comment.
Mais, la « dignité humaine » peut aussi être prise en un sens « paternaliste » (moralement) ou « despotique » (politiquement) : la vie est sacrée et il ne nous appartient pas à nous, simples humains, simples individus, simples personnes, d’en disposer. Dans ce cas, l’appel à la dignité humaine est à un appel à une « instance » qui décide à la place du particulier : ce peut être Dieu (ou ses porte-parole sur terre), la Nature (sous la forme Gaïa ?), la Vie ou plus politiquement une puissance publique (l’Etat).
Alors :
1- On rejette la valeur « dignité humaine » parce qu’elle peut être despotiquement interprétée ou bien il suffit de s’en méfier ?
2- Une référence à la « décence ordinaire » (G. Orwell) peut-elle nous préserver des risques (moralement) paternalistes et (politiquement) despostiques d’un appel à la « dignité humaine » quand il s’agit d’ajouter aux crises sociales et environnementales une « crise humaine » ?
3- S’il faut se passer d’une telle référence (antilibérale) à la dignité, faut-il alors se rabattre sur la notion (libérale) de consentement : celle-ci pourtant n’est pas non plus sans difficultés, voire sans contradictions.
Décence et dignité
Comment dénoncer, en même temps, une crise (humaine) de la dignité et une crise (humaine) de la décence ?
Dans une société décente, c’est-à-dire une société qui ne cherche pas à humilier ses membres (Avishaï Margalit), l’Etat doit éviter autant que possible le paternalisme.
Il faut donc faire bien attention à ne faire qu’un usage non-paternaliste de la notion de dignité quand on défend une société décente si l’on ne veut pas aboutir à une contradiction entre les exigences de décence et de dignité.
Car je donne ma préférence (de cohérence politique) à la voie difficile de la dignité (antilibérale) sur la voie facile du consentement (libéral).
- La voie facile : refuser le paternalisme au nom de l’exigence libérale du consentement.
- La voie difficile : refuser le paternalisme au nom de l’exigence antilibérale de la dignité.
- La voie facile est aussi une voie courte : entre despotisme et libéralisme, je choisis sans hésiter le libéralisme.
- La voie difficile est aussi une voie longue : la précédente alternative étant tranchée, je ne me contente pas du consentement contractuel mais j’en appelle au sens commun selon lequel « il y a des choses qui ne se font pas ».