De la convergence à la confluence

Une réponse  au texte sur les principes d’une économie écologique de Jacques Stambouli, proposé comme contribution aux Rencontres de l’écologie radicale d’Avignon (janvier 2009)

Tout d’abord, merci pour ce cadrage très pédagogique d’une « économie écologique ». Remarquable de clarté, et c’est cette clarté qui me fait me poser des question simples.

Je commencerai par un étonnement formulé le plus naïvement possible : s’il y a 3 « finalités », 3 « grands principes », pourquoi n’y a-t-il que 2 « mouvements sociaux fondamentaux » ? Pourquoi n’y a-t-il pas – historiquement déjà – autant de mouvements sociaux fondamentaux que de finalités ?

Je veux par cette question naïve faire naître un soupçon sur la possibilité d’une naturelle « convergence de ces deux grands mouvements sociaux » (ce que toute une littérature aujourd’hui nomme la convergence « du rouge et du vert » ; mais l’enjeu en est effectivement le sens d’un « écosocialisme »).

Je commence par une question formulée brutalement : « A-t-on vu les travailleurs de chez Renault s’inquiéter des ventes croissantes de leurs produits ? » (question posée en ces termes par Fabrice Flipo dans La Revue du M.A.U.S.S. n°29 – édition électronique consultable sur Cairn).

Une convergence factice

Je continue par une double interrogation, dans le but de me demander si tu ne gommes pas les difficultés d’une telle convergence :

  1. tu t’appuies sur l’emboîtement des sphères (René Passet) : le système économique est inclus dans la sphère des activités humaines (le système social) qui est à son tour incluse dans la biosphère. Je ne crois pas qu’il soit ainsi fécond (heuristiquement) de gommer la spécificité – voire l’irréductibilité – des questions sociales et environnementales. Je ne dis pas que ces trois sphères ne sont pas emboîtées ; je dis que cet emboîtement risque d’être politiquement stérile, à ne faire fondamentalement des questions sociales et économiques que des parties incluses dans la question écologique. Bref, tout serait fondamentalement écologie, y compris les questions sociales et économiques.
  2. Nous savons bien que, symétriquement, c’est ainsi que beaucoup, qui viennent du côté du rouge, peuvent néanmoins, eux aussi, appeler à une convergence des transformations sociales et écologiques. Mais, c’est en ne voyant, dans la crise environnementale qu’un effet supplémentaire et un dégât à ajouter aux méfaits du capitalisme.

Deux hypothèses radicales

J’en viens, afin d’éviter de subir à mon tour la critique précédente, à proposer deux hypothèses :

  1. La première consiste à radicaliser l’opposition entre la question économique et la question écologique en s’apercevant que sur un grand nombre de questions le clivage entre capitalisme, socialisme et écologie ne passe pas entre le premier et les deux derniers mais entre les deux premiers et l’écologie. Pour grossir le trait, ne peut-on pas affirmer que l’hyper-socialisme et l’hyper-libéralisme partagent beaucoup de traits communs : une conception finalisée de l’histoire (confusion du sens et de la fin), une mise entre parenthèse de la démocratie réelle qui amène une dépolitisation de la société (la Société finit par se dissoudre soit dans le Marché, soit dans l’Etat), le productivisme comme matrice de toute solution, la mise effective à l’écart de la question de la justice (un « mirage social » pour Hayek, une « vieille gadoue » pour Marx), le mythe de la valeur-travail, la réduction utilitariste des motivations humaines à la défense des intérêts (de classe ou indiviuels). Or , sur tous ces traits, l’écologie politique est en rupture radicale : l’histoire pensée à partir de l’anticipation de la catastrophe (Hans Jonas, mais aussi J.-P. Dupuy), la repolitisation de la société (démocratie horizontale, réseau, organisation ouverte, consensus), anti-productivisme (une critique de la croissance non seulement dans ses modes de production mais aussi quant à ses « produits »), retour de la question de la justice (Karl Polanyi pour penser une limitation du marché en faisant place aux principes de réciprocité et de redistribution), dénonciation de la centralité de la valeur-travail (ce qui permet de débrayer revenu et travail, travail et activité), anti-utilitarisme pour retrouver un sens de l’usage (et du mésusage – Paul Ariès) et du don/contre-don (Alain Caillé). Cette hypothèse demande évidemment à être étayée, nuancée mais il ne semble pas que l’on puisse échapper au constat d’une difficile convergence idéologique.
  2. La seconde hypothèse consiste à tirer logiquement la conséquence d’un autre point commun dans la justification ultime des deux « mouvements sociaux fondamentaux ». Cette hypothèse peut se décomposer en trois étapes. Tout d’abord constater, tant du côté « rouge » que chez les verts, un argument structurellement identique mais adapté à leurs traditions : l’argument de la nécessité. La formulation la plus synthétique de cet argument du côté du socialisme a été donnée par Lénine : les capitalistes finiront par vendre la corde pour les pendre ; autrement dit : les contradictions du capitalisme ne peuvent pas ne pas aboutir à son dépassement (A l’occasion de la crise actuelle, on voit sans arrêt surgir cette croyance en la fin spontanée du capitalisme). Du côté de l’écologie, « Une croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini ! » ; autrement dit, la croissance ne pourra pas ne pas décroître. Cet argument est comme l’envers de l’argument de la main invisible : il n’y aurait rien à faire puisque les choses ne peuvent pas se passer autrement. Cet variante de l’argument paresseux est politiquement désastreux et vient soit contredire tout volontarisme politique, soit justifier un totalitarisme (qu’elle soit verte, ou du prolétariat, une dictature reste une dictature !). La seconde étape commence par reconnaître que certes, la planète est limitée ;certes, les ressources économiques ne peuvent croître indéfiniment. Mais, quand bien même ce ne serait pas le cas, même si les mondes naturel et économique étaient infinis, nous accorderions quand même notre préférence à une organisation socialement juste (solidaire) et écologiquement responsable de la société. Pourquoi ? Pour une question de “type d’humanité” (suivant l’expression de Max Weber). C’est là qu’entre effectivement en jeu « une troisième finalité et un troisième principe : le développement de la personne humaine et le principe d’autonomie personnelle ». C’est là qu’il faut remarquer que ce troisième principe n’est – en tant que tel – porté par aucun « mouvement social fondamental ». J’en viens à la troisième étape de cette seconde hypothèse : insister sur le fait que l’argument du « quand bien même » ne supprime pas l’argument de la nécessité mais qu’il suffit juste qu’il ait la priorité, suivant « l’ordre des raisons », dans l’argumentaire idéologique.

Je terminerai comme toi par une proposition pour passer de la théorie à la pratique : que tous ceux qui appellent à l’union du rouge et du vert acceptent d’aller à la convergence non pas pour y additionner des convictions mais pour tenter l’aventure, l’invention d’un nouveau mouvement social fondamental. Plutôt que de convergence, je parlerai de « confluence ». Cette confluence qui permettrait à l’ouvrier de chez Renault de s’inquiéter des ventes croissantes de ses produits.

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