La littérature sur la décroissance n’est ni foisonnante ni envahissante. Ce qui fait qu’il vaut peut-être mieux se satisfaire d’une production médiocre que pas de production du tout. Ajoutons aussi que la mode est au collectif : en langue française comme en langue anglaise, les productions n’ont pas manqué depuis quelques années. Plus difficile là de savoir s’il faut s’en réjouir ou non. Car la diversité est à double tranchant : quand elle est « désordonnée », elle tient plus de l’écran de fumée que de l’éclairage ; mais elle peut aussi être la gangue à l’intérieur de laquelle il y a quelques gemmes.
Et puis il y a de bonnes surprises : quand la cohérence est assumée par un.e auteur.e qui ne cache pas son ambition d’apporter sa pierre cohérente à la construction de la décroissance comme d’un édifice commun.
Dans ce sillon, je ne saurais trop recommander la lecture de l’Éloge des limites de Giorgos Kallis. Dès que l’on a compris que la décroissance doit être une politique des limites, il est crucial de bien admettre que ces limites ne viennent pas de l’extérieur de nos sociétés mais que c’est à nos sociétés de s’organiser pour s’autolimiter.
C’est dans cette veine que je recommande aujourd’hui la lecture d’un ouvrage de 2020, celui d’Onofrio Romano, Towards a Society of Degrowth. Dont une traduction en français est attendue pour bientôt chez Liber.
Ce n’est pas un livre facile à lire car, même s’il est court, il est dense et très provocateur. Mais il propose des analyses qui permettent d’alimenter le corpus politique de la décroissance à deux sources : la théorie et l’histoire. Car les hypothèses théoriques y sont passées au test de l’histoire ; ou : car l’histoire y est interprétée à la lumière de concepts nourrissants. Deux en particulier : celui de « régime de croissance » (qui me semble aller beaucoup plus loin que ceux de « société de croissance » ou de « paradigme de croissance ») et celui de dépense (qui vient de George Bataille et de sa défense d’une « économie générale »).
La recension que je propose est longue mais j’espère qu’elle permettra de défricher la lecture.
Dans mon intervention fin janvier à l’Académie du Climat, je m’appuie déjà sur cette critique de la croissance comme régime politique pour au moins deux raisons : la première, c’est qu’elle permet de justifier une définition de la décroissance comme « opposition politique à la croissance » ; la seconde c’est qu’elle vient résoudre le mystère du « plouf » 🤨.
Bonnes lectures.