Comment interpréter que dès sa naissance le terme même de « décroissance » se soit retrouvé empêtré dans des confusions, des approximations et même quelquefois des contradictions ?
L’explication la plus simple est celle qui s’appuie sur la définition la plus simple : si la décroissance est le contraire de la croissance et que la croissance est tout ce système de modes de vie, de valeurs, de représentations, d’organisations… qui prend comme justification et comme « boussole » la croissance économique alors…
- Alors la croissance est une politique, totale, peut-être même « totale » comme jamais auparavant, que ce soit géographiquement ou le plus subjectivement…
- Alors la décroissance comme contraire de la croissance doit être une critique totale de cette politique, critique politique totale peut-être comme jamais auparavant.
Et c’est devant une telle montagne politique que tant de critiques pourtant sincères des méfaits tout azimut de la croissance rechignent à s’élancer.
Il me semble, arrivé ainsi au pied du mur, que c’est bien Sisyphe qui doit inspirer le « militant-chercheur » de la décroissance.
« Les conquérants savent que l’action est inutile. Il n’y a qu’une action utile, celle qui referait l’homme et la terre. Je ne referai jamais les hommes. Mais il faut faire « comme si ». Car le chemin de la lutte me fait rencontrer la chair. Même humiliée, la chair est ma seule certitude. Je ne puis vivre que d’elle. La créature est ma patrie. Voilà pourquoi j’ai choisi cet effort absurde et sans portée. Voilà pourquoi je suis du côté de la lutte ».
Albert Camus, Le mythe de Sisyphe
Politiser Sisyphe, politiser la révolte, politiser les justes, politiser la décroissance…
Parce que Sisyphe, c’est celui qui ne « saute » aucune étape, celui qui ne se raconte pas que d’un saut il réussirait à atteindre son objectif ; et quand bien même il redégringolerait, alors il se remettra à l’ouvrage…
Parce que la décroissance, c’est ce moment politique qui ne se raconte pas d’histoires, parce que, tant que la décrue ne sera pas réalisée, alors il faudra écoper…