Sans rien vraiment divulgâcher du livre de Timothée Parrique (sortie : le 16 septembre), je recommande fortement sa lecture. Pour au moins 2 raisons :
- La décroissance a besoin d’une synthèse accessible sur cette question de l’économie. Il faut sortir du ridicule blocage selon lequel le terme de « décroissance » resterait prisonnier de l’économie en se définissant comme le contraire de la croissance. D’abord, parce que la sortie de l’économie préconisée par Serge Latouche est une décolonisation de l’imaginaire, mais cela ne signifie pas que, par un coup de baguette magique, les questions économiques de la production et de la consommation cesseraient de se poser. Ensuite, ce reproche est plein de mauvaise foi : qui ferait le même reproche à l’antiracisme de rester prisonnier du racisme ?
- Le livre ne se contente pas d’être une « synthèse », car il accomplit une part du travail (conceptuel) de fondation idéologique dont a absolument besoin la décroissance, si on veut qu’elle sorte enfin de cette image de « nébuleuse » et de « brouillard » qui lui a été accolée quasiment dès son apparition dans le débat public (J’ai déjà eu l’occasion – lors du lancement de l’OPCD – d’expliquer que cette image n’est en réalité qu’une ruse de la mauvaise foi, sur le modèle de la fable du renard et des raisins).
Je recommande donc de lire ce livre en repérant 3 avancées fondamentales :
- Après avoir dégonflé la mythologie croissanciste en faveur de l’indicateur du PIB dans son premier chapitre, Timothée Parrique enchaîne 3 chapitres sur les limites de la croissance : c’est-à-dire sur les 3 sources d’un rejet de la croissance. Je ne rentre pas dans les détails de l’argumentation de chacun des chapitres, mais il faut insister sur la façon qu’il a de les articuler : les limites écologiques, sociales et politiques ne se complètent pas, ni ne s’additionnent, mais elles se dépassent à l’aide d’une articulation fondamentale pour la décroissance en tant que politique, et qui est ce que j’appelle depuis des années « l’argument du quand bien même », ou du « même si« . Argument qui me semble décisif pour éviter que la décroissance ne tombe dans le piège apolitique de la fatalité. Même s’il n’y avait aucune limite écologique, il faudrait quand même critiquer le monde de la croissance à l’aide des limites sociales ; même s’il n’y avait aucune limite sociale, il faudrait quand même porter des critiques politiques.
- Mais il serait politiquement infécond de cantonner la décroissance à une critique de la croissance : car il n’y a de rejet qu’en vue d’un projet, et comme on ne peut pas « sauter » du monde d’avant (celui qui est rejeté) au monde d’après (celui qui est projeté), alors il faut bien envisager une transition, un passage, un trajet ; et c’est la décroissance. Timothée Parrique me semble enfin valider très solidement – d’un point de vue économique – cette définition de la décroissance comme trajet.
- C’est de ce point de vue du trajet que j’avais construit politiquement la différence entre « objection de croissance » et « décroissance » dans mon Politique(s) de la décroissance (Utopia, 2013) ; et que la MCD vient de publier La décroissance et ses déclinaisons (toujours chez Utopia, 2022). Les déclinaisons de la décroissance sont des trajectoires de décrue.
- Réserver le terme de décroissance au trajet permet aussi de préciser quand aurait lieu la « post-croissance » : après le trajet de la décroissance.
- C’est là toute la force de l’articulation entre le chapitre 6 consacré à l’économie de la décrue – la décroissance – et le chapitre 7 consacré à l’économie stationnaire de la post-croissance. Les titres mêmes de ces 2 chapitres laissent aussi entendre la fin d’une confusion : le « chemin de transition », c’est la décroissance (comme trajet) ; le « projet de société », c’est la post-croissance. Car stricto sensu, si la décroissance est analogue à un « régime » (au sens thérapeutique du terme), alors – pas plus qu’un régime alimentaire ne peut constituer un « projet de vie » – elle n’est pas un projet de société, mais elle est portée par un projet de société, celui de la « post-croissance ».
- Le parallélisme des paragraphes à l’intérieur de ces chapitres 6 et 7 me semble tout autant remarquable.
- C’est une trajectoire que Timothée Parrique construit : de l’allégement de l’empreinte écologique à l’harmonie avec la nature, de la planification démocratique au contrôle démocratique des prises de décision, d’une exigence de justice sociale à un partage équitable des richesses, d’un souci du bien-vivre à une prospérité sans croissance.
- Bien sûr, on pourrait pinailler sur le choix de telle ou telle expression : car, on sait que, pour chacune d’elles, il y a déjà toute une littérature. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est dans la mise à jour de ces 4 points cardinaux pour permettre de s’orienter dans la pensée de la décroissance : rapport à la nature, rapport à la démocratie, théorie de la justice, objectif inutilitaire de la vie humaine.
- Quant aux 3 premiers axes, il me semble important de les relier au sous-titre du livre de Yves-Marie Abraham (Guérir du mal de l’infini, Écosociété, 2019) : Produire moins, partager plus, décider ensemble.
- Surtout, chaque lecteur peut s’inscrire dans la reprise de la séquence rejet – trajet – projet, en effectuant pour lui-même le travail de Timothée Parrique pour ces 2 chapitres 6 et 7, mais en les appliquant à un imaginaire chapitre sur le rejet du monde de la croissance : produire plus, partager moins, confisquer la démocratie.
En avant donc pour la lecture attentive de ce livre. Ce qui ne devrait pas empêcher de lire aussi le livre plus « politique » de la MCD sur les déclinaisons, en attendant de futurs livres, qui mettront eux l’insistance sur les limites sociales de la décroissance… et d’autres livres…
une intéressante invitation à lire
je vais reprendre ce texte sur le blog que j’anime prochainement
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/
avec bien évidement le lien avec ce blog
bien cordialement
didier
Bonjour Michel,
« Ralentir ou périr »…. intéressante, alléchante recension. Je vais encore casser ma tirelire…
Pour le reste, sur ton blog, tu as l’air plutôt en colère ? Tu te retires sur l’Aventin pour méditer sereinement ?!
Alain Véronèse.