Utopistes décroissantes

assises_chretienne_ecologieIntervention lors des deuxièmes Assises chrétiennes de l’écologie qui ont eu lieu le dernier week-end d’août. J’étais invité par le groupe lyonnais « Chrétiens et pic de pétrole », qu’ils en soient remerciés.

1.      2 distinctions entre objection de croissance et décroissance : a/ les plafonds de soutenabilité écologique sont déjà dépassés depuis plus de 30 ans (il ne suffit donc pas d’en appeler à l’arrêt de la croissance mais au retour sous les plafonds de la soutenabilité) b/ l’expérience politique montre que la connaissance des constats peut être motivante (pour une indignation, pour une pétition…) mais qu’elle n’est pas mobilisante : c’est pourquoi les décroissants sont ceux qui, quand bien même il n’y aurait pas de tels constats, seraient quand même opposés à la croissance : pour des raisons plus éthiques, plus politiques qu’économiques…

a)     A partir de ces 2 distinctions, la décroissance apparaît comme un trajet limité, une parenthèse (entre croissance et a-croissance) et surtout une parenthèse choisie et non pas subie (comme le serait une récession) à AUTONOMIE.

b)     « C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des res­sources pour une saine croissance en d’autres par­ties », Laudato Si’, §193.

2.      Il y a donc dans la décroissance un goût pour la limitation (et un dégoût des illimitations) à goût pour la finitude. Politiquement, ce goût s’exprime par le concept (celui des Amis de la terre, en fait) d’espace écologique : limite-plancher et limite-plafond

3.      La justification (philosophique) de ce goût pour la limitation est fourni par les travaux d’Olivier Rey : non pas tant le petit que le proportionné à SOBRIETE

4.      Mais pour qu’une telle réflexion ne soit pas seulement motivante mais aussi mobilisante, il ne faut pas seulement qu’elle ait un fondement (une justification qui dise le juste) il faut aussi qu’elle ait un objectif (qui propose du désirable qui puisse « causer » un mouvement de transformation sociale et écologique)

a)     « Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indiffé­rence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques » Laudato Si’, §14.

b)     à Lequel ? réponse en 3 étapes à schéma des 4 causes chez Aristote (la causalité de l’action) : comment causer le changement ?

5.      Etape 1 (causes formelles) : d’ores et déjà cet objectif doit se confronter à l’objectif dominant : celui d’une société caractérisée métaphoriquement par 4 calculs : la société comme addition d’individus (« la société n’existe pas » à confusion libérale de la maison et du tas de pierres à la société comme « tas »), multiplication (croissance et production-consommation) des richesses, division (compétition) des communautés et soustraction (sécession) des plus riches. à contre cela il faut assumer un triple renversement (metanoïa : conversion) :

a)     (dans la recherche d’un équilibre entre besoins et ressources, entre économie et écologie) priorité à l’écologie sur l’économie :

1.      l’écologie ne fournit pas le centre (comme s’il suffisait de changer la place de l’écologie) mais bien le cadre à parce que l’économie « impacte » tout un trajet : extraction à production à distribution à consommation à déchets

2.      une telle écologie n’est pas une écologie qui nous incite à réformer la vie sociale en s’inspirant de la nature (sur le modèle d’un Thoreau ou d’un Leopold[1]) : « avec la globalisation, la situation s’est inversée : si nous ne transformons pas notre vie sociale, nos rapports à la nature vont se détériorer jusqu’à rendre la vie sociale impossible » à il s’agit donc d’une écologie politique.

b)     priorité à la responsabilité et à la considération sur la liberté (celle des Modernes, celle de l’indépendance individualiste, pas celle de l’autonomie personnelle au sein de groupes d’appartenance) à il s’agit donc de penser une éthique non pas seulement entre humains mais entre humains et non-humains (qui prenne en considération, les animaux, tout le vivant et même le non-vivant)

c)     priorité à la société, à la communauté sur l’individu (le choix de la solidarité et à la reconnaissance vers et par la société : dette sociale/dette de vie à impôts, héritage, service public, propriété…)

6.      Etape 2 (causes finales) : quels types de moyens pourraient co-construire un tel objectif de transition décroissante choisie, sereine ? 3 pistes suggérées par les analyses de Karl Polanyi qui montre comment le capitalisme a eu besoin au 19ème siècle de pousser au bout une triple marchandisation : le travail (marchandisation de l’activité sociale), l’argent (marchandisation de la monnaie) et la propriété privée (marchandisation des communs et de la nature en général).  A contrario (voilà le « dé- » de la décroissance !), il faut imaginer une triple démarchandisation : il faudrait démarchandiser l’activité sociale et oser imaginer une « indivision sociale du travail » (rupture avec les fondements platoniciens de la genèse mythistorique de la société) ; il faudrait démarchandiser les échanges économiques et retrouver le sens « archaïque » (J-M Servet) de la monnaie comme instrument de partage et comme matérialisation des dettes de vie ; il faudrait démarchandiser la nature et retrouver des droits d’usage (tradition franciscaine et Dardot-Laval)

7.      Etape 3 (causes matérielles -> plutôt des « occasions ») : « Y’a qu’à » à comment faire à les décroissants font de la politique en eSpérimentant cette triple démarchandisation à pour désengluer la société de l’économie à par exemple dans les monnaies locales, dans les amap, dans la défense de la gratuité, d’un RI couplé à un RMA…

8.      Etape 3 bis : mais un premier bilan peut déjà être tiré des ces expérimentations (à la suite d’une longue tradition européenne de contre-modernité depuis le 19ème siècle à socialisme utopique) : en réalité, elles n’essaiment pas mais créent des îlots groupusculaires d’entre-soi (de la « dissociété » où se rassemblent ceux qui se ressemblent). Comment ne pas se décourager ? En ne se trompant pas de « désir » et de « désirable » à En assumant que le désir de notre désirable doit lui-même se redéfinir dans un espace écologique : entre le plancher de la faim et le plafond de la gourmandise, il existe l’appétit (pas de naissance par le manque, pas d’illimitation, est bon ce qui est désirable à Spinoza), de quoi nourrir des enthousiasmes sinon heureux, au moins joyeux…

[Quelle serait la cause motrice/efficiente (le levier efficace) ? La révolution miraculeuse et/ou/ou bien la catastrophe apocalyptique ?]

 

C’est un tel appétit qui semble pouvoir rendre désirable une parenthèse de décroissance : entre le plancher de la misère et le plafond de la richesse, oser retrouver un goût pour la pauvreté mais pas n’importe laquelle, évidemment  !

 

Les 5 pauvretés de M. Rahnema, intro. de Quand la misère chasse la pauvreté, page 12 :

1.      la pauvreté choisie à Saint-françois d’Assise, les décroissants

2.      la pauvreté vécue dans la dignité avec fort peu de biens et d’objets de consommation à les gens de peu, les classes populaires,

3.      la pauvreté d’une société de consommation qui s’épuise dans la course sans fin des nouveaux besoins à le devoir d’achat, consommation aliénée

4.      la pauvreté humiliante qui provient des privations subies dans la misère à la misère

la misère morale des classes possédantes
[1] Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Paris, 2015, page 328.

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