Réflexions sur la Transition

La revue Silence et les éditions Ecosociété qui ont déjà édité le Manuel de transition, vont publier cet automne un petit livre  « Un écologisme apolitique ? Débat autour de la Transition »,  traduit de l’anglais et qui pose des questions sur la pratique dans les groupes de transition. C’est suivi d’une réponse de Rob Hopkins. A cette occasion, Silence voudrait publier en même temps un dossier sur la situation en France. C’est pourquoi, nous vous demandons de répondre aux 3 questions suivantes. Vos réponses ne seront pas reprises dans leur entièreté, mais seront regroupées selon les avis dans deux ou trois gros articles.

1 ) Le livre « Un écologisme apolitique ? Débat autour de la Transition » part d’un constat fait par des militants en Grande-Bretagne d’une certaine déconnection entre le mouvement et les grandes luttes écologiques. Dans votre pratique au sein d’un groupe de transition, (ou en tant qu’observateur), pensez-vous que cette critique soit valable dans le mouvement en France ?

Cette apolitisme de beaucoup de transitionneurs est visible aussi en France. Tout se passe comme s’il y avait une « division du travail alternatif ». Aux « transitionneurs », les explorations d’alternatives concrètes (en cela, ils retrouvent les décroissants en étant tous  des héritiers du socialisme utopique) ; aux militants traditionnels (adhérents ou proches des partis classiques de la gauche de la gauche et de l’écologie) de prendre en charge l’organisation des grandes luttes écologiques (suivant les particularités locales, on retrouve ainsi à l’organisation locales des luttes écologiques des militants d’EELV, du PG, du NPA et aussi des décroissants).

Mais pourquoi cette « division » ? Peut-être parce que beaucoup de transitionneurs acceptent peu ou prou une conception du collectif plus « individualiste » (comme regroupement d’individus qui apportent au groupe, ce qu’ils possèdent : des savoirs, du temps, de l’expérience) que « politique ».

Et là il y a un véritable hiatus politique : car on voit mal en quoi une conception individualiste du collectif pourrait réussir à sortir d’un monde qui est précisément celui de l’individualisme généralisé.

  • Non seulement, une telle conception de l’action ne peut qu’échouer ; ce qui signifie la victoire de la société contre laquelle s’insurgent toutes nos alternatives.
  • Mais, avant d’échouer cette « stratégie » n’aura fait que renforcer le consensus autour d’une genèse individualiste de la société (la meilleure critique contre un tel consensus est aujourd’hui brillamment menée par les travaux de F. Flahaut, de M. Benasayag et de J-C Michéa).

L’enjeu de tout cet apolitisme est alors celui de la définition du commun, des biens communs (dont le premier est d’abord le « vivre ensemble », la « société » en tant que telle).


2) Le livre pose aussi la question des relations avec les élus et affirme qu’à un certain niveau, la situation ne peut être uniquement collaborative et qu’il doit y avoir affrontement. Rob Hopkins écrit que « Le rôle des élus est de soutenir et non de conduire ». Comment concrètement travaillez-vous avec des élus ? Sentant-vous des limites dans ces relations ? Pensez-vous que l’on puisse poursuivre dans une attitude collaborative ou qu’effectivement, il faut parfois/souvent s’affronter avec les actuels élus ?

La question ne doit pas consister à choisir entre « affronter » et « collaborer » car ces deux voies ont toujours prouvé leur stérilité pratique. Il s’agit plutôt de prendre conscience que ce n’est que dans une situation explicite de reconnaissance qu’un « partenariat » ou une « coopération » sont possibles.

Car il ne s’agit dans les initiatives de transition – qu’elles soient fédérées dans un groupe « territoire en transition » ou qu’elles tracent déjà leur sillon – ni de se placer d’emblée sous la coupe des « hautains » (tant les « institutions » territoriales que les « penseurs ») ni de les diaboliser d’emblée pour les rejeter.

Il faut tirer une leçon des pratiques d’alternatives bottom-up dans leurs rapports aux « descendants ».

Tant que les top-down n’ont pas explicitement reconnu que la démarche ascendante a sa propre légitimité, il ne sert à rien d’envisager une coopération (car elle sera toujours soumise au paternalisme et à la récupération). Dans ce cas-là, les initiatives peuvent déjà rencontrer les élus mais sans rien leur demander (en dehors de ce à quoi a droit toute association, comme soutien à des associations quelconques) ; juste pour les informer de leur existence et de leur démarche (une sorte de « politesse  politique »).

Mais, dès qu‘ils ont reconnu qu’ils ne savaient pas faire, qu’ils ne pouvaient pas faire, voire même qu’ils ne voulaient pas faire, alors un partenariat doit être proposé :

  • pour un soutien à la fois financier et technique ;
  • et même politique.

Concrètement : c’est en procédant ainsi que le projet de monnaie locale de Romans a obtenu la modification d’un dispositif régional de subvention (il s’agissait de refuser d’entrer dans la logique économiciste de l’auto-financement alors que le projet prétendait à une « utilité sociale » ; ce qui signifie que la région a versé une subvention (substantielle) comme s’il s’agissait de rendre à des citoyens l’argent qu’ils avaient accordé à la région sous la forme de leurs impôts).

3) La France a la particularité d’avoir développé un mouvement sur la « décroissance », avec une présence plus forte dans le domaine du politique, à travers des textes, des livres, des candidats aux élections… mais avec aussi des pratiques dans les groupes locaux très proches de ce que font les groupes de transition. Ressentez-vous ces deux mouvements comme convergents ou pas ?

Les 2 mouvements politiques de la décroissance (le MOC, et aussi le PPLD) sont des mouvements « généralistes ». Ils sont tous les deux d’accord pour mettre en avant d’autres façons de faire de la politique, et d’abord par les expérimentations sociales. Ces « alternatives concrètes » doivent procéder de façon ascendante. Ce qui ne veut pas dire que l’implication des décroissants dans le Faire leur interdit d’articuler ces alternatives avec un pied dans la politique et un pied dans le travail idéologique en faveur d’un nouveau paradigme (sans croissance, à terme ; et avec décroissance, dès à présent).

Mais cet appel à articuler le Faire avec un travail de projet et avec une visibilité politique se fait à une impérieuse condition : que ce travail de projet et cette visibilité politique soient eux aussi pratiqués de façon ascendante (d’où une théorisation de nos pratiques par une « théorie de la pratique » et une présence non électoraliste aux élections).

Assez curieusement, beaucoup de transitionneurs ne semblent pas savoir ou vouloir accepter une telle position « sur la crête » et :

  • soit ils versent dans le rejet pur et simple de toute théorie et de toute politisation (ce qui revient à commettre un péché « politique » de suffisance », et à continuer à colporter le mythe de l’essaimage comme seule chemin de transition) : ainsi, en « se séparant de » la politique, la transition « fait abstraction de » la politique ; aussi concrète qu’elle se croit, la transition s’enferme, en réalité, dans l’abstraction.
  • soit ils basculent dans l’excès inverse : politiquement, tout se passe comme s’ils sous-traitaient la visibilité politique aux partis traditionnels de l’accompagnement ; idéologiquement, ils acceptent de passer sous la coupe d’un certain nombre de « gourous » de la pensée alternative.

Dans les deux cas, ils n’ont pas fait de leur pratiques ascendantes un « contexte », une « situation », pour articuler de façon ascendante le Faire (des alternatives concrètes) avec l’Agir (de la visibilité politique) et avec le Penser (du travail paradigmatique).

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