« Les deux tiers de l’humanité peuvent encore éviter de traverser l’âge industriel s’ils choisissent dès à présent un mode de production fondé sur un équilibe post-industriel, – celui-là même auquel les nations vont être acculées par la menace du chaos ».
Ivan Illich, La convivialité, Introduction.
Est-il possible en écrivant une telle phrase d’échapper à l’ethnocentrisme ?
Commençons par remarquer qu’à première vue cette phrase fournit le lien direct et évident entre décroissance et altermondialisme :
- la décroissance n’est pas seulement/d’abord un projet pour nos sociétés hyper-industrialisées.
- elle est aussi un projet de société pour tous les humains qui n’ont pas la chance/malchance de vivre/survivre dans les mondes mondes que le nôtre.
- Celui qui ne serait décroissant qu’ici et maintenant se couperait ainsi de la dimension globale de son alternative : c’est dans ce cas que le « local » n’est qu’un « bocal ». Ce qui ne veut pas du tout dire qu’il ne faut pas commencer ici et maintenant : sans attendre, relocalisons !
Continuons en nous demandant le « comment ». Et c’est là que les difficultés se montrent :
- Sur la manière d’abord : pour les deux tiers de l’humanité, ce serait par « choix » ; pour le reste, nous, le tiers-restant, ce serait par nécessité : « acculés par la menace du chaos ».
- Sur le telos de ce comment : imaginons, rêvons, les deux-tiers a choisi la décroissance conviviale et nous, nous avons subi la décroissance contrainte. Pour quel résultat ? Pour nous retrouver ensemble, au même stade d’a-croissance.
1. En quoi la « menace du chaos » peut-elle nous amener à décroître ? En fait, si l’on ne veut pas identifier « décroissance » et « chaos » (« récession » en est une variante) alors ce n’est qu’en tant que « menace » que le chaos fera son travail pédagogique ; plus clairement : si le « chaos » est là en tant que « réalité et pas en tant que « menace », c’est qu’il est trop tard. Quand sera le chaos, la catastrophe, il sera trop tard bien sûr pour l’anticiper mais même pour espérer conserver quoi que ce soit de « notre » monde.
Première difficulté donc : la « pédagogie de la menace ».
- non seulement à cause d’une problématique interne – celle de la prohétie du malheur : si l’appel à la catastrophe fait son effet et évite la catastrophe, comment ne pas penser que si la catastrophe était évitable alors il ne servait à rien d’en faire une telle anticipation.
- mais surtout parce que cette pédagogie suppose une « prise » de conscience préalable ; comme si le savoir -fût-il « de soi » – pouvait précéder le « faire » !
Seconde difficulté : la conception sous-jacente de l’histoire.
- En quoi le spectacle de notre chaos peut-il avoir un effet sur ceux qui ne sont pas en train de vivre le chaos ? Pire : en quoi le spectacle de la menace du chaos peut-il avoir avoir un effet sur ceux qui ne sont pas en train de vivre la menace du chaos ? Pire encore : et si le monde du spectacle de la menace du chaos est le spectacle d’un monde désirable ?
- Par deux chemins différents, la décroissance subie et l’objection de croissance choisie, l’humanité doit-elle se retrouver dans un même monde d’a-croissance ?
- Mais aujourd’hui, qui envisage un tel monde d’a-croissance ? Ceux qui se définissent/croient plus lucides que les autres – ils ont pris conscience de la menace du chaos généralisé – et qui ne sont que des habitants du monde hyper-industrialisé ; bref : nous.
- Autrement dit, c’est encore nous qui proposons le « but de l’histoire ».
- Mais si nous ne proposons aucun « but » de l’hsitoire, c’est alors que nous sommes devenus insensibles aux autres humains en même temps que de l’histoire.
- Si nous ne proposons aucun sens de l’histoire, nosu sommes insensibles; et si nous en proposons, nous répétons note impérialisme.