Le pouvoir et la puissance

Au cœur d’une action politique des objecteurs de croissance, il y a une épine : la question du pouvoir. Sur cette question, les OC – ou en tout cas, tous ceux qui ont fait droit à un indispensable « moment libertaire » dans leurs pratiques – développent quelques thèses :

  1. Pas/plus question de faire de la conquête du pouvoir un préalable à la transformation sociale et écologique. Ce qui ne signifie pas la désertion en dehors des formes traditionnelles de la politique (élections, pétitions, manifestations) mais seulement leur remise à leur place sous 2 aspects : d’abord celui de la visibilité de l’engagement politique ; ensuite celui de la participation éventuelle à des exécutifs non seulement pour affaiblir les pouvoirs mais aussi pour soutenir toutes les initiatives de lutte contre les pouvoirs, pour renforcer toutes les résistances.
  2. Une fois libérés de cette croyance, les OC peuvent reprendre la question du politique non plus à partir de la question du pouvoir mais à partir de celle des contre-pouvoirs. Celle des alternatives concrètes dans la transformation sociale, écologique et démocratique de la société. Il s’agit alors de reconquérir toute la sphère de la socialité primaire, celle des besoins et des usages dont il faut retrouver la maîtrise (autogestion généralisée de la vie) : habiter, manger, se vêtir, se transporter, échanger, produire, se cultiver… pour y pratiquer le don/contre-don et la réciprocité plutôt que la concurrence et la marchandisation. C’est là que sont créées/construites des « situations » dans lesquelles sont favorisées la discussion plutôt que l’affrontement, la coopération plutôt que la compétition, la bienveillance plutôt que le chacun-pour-soi, la solidarité plutôt que l’égoïsme, la transparence plutôt que l’opacité, la démocratie générale plutôt que le laisser-faire, la décence plutôt que le mépris, etc. Manières de faire d’autres mondes, dans « la mesure des possibles ».
  3. Mais pour quelle raison la résistance par les contre-pouvoirs peut-elle prétendre échapper à la logique prédatrice du pouvoir (« quand tu crois prendre le pouvoir, en réalité, c’est le pouvoir qui te prend ») ? C’est là que M. Benasayag propose de faire la distinction entre le « pouvoir » et la « puissance ». Comment en saisir toute la réalité sans la caricaturer paresseusement en une distinction seulement abstraite ?

Premièrement,  pour comprendre la portée pratique de cette distinction, on peut reprendre la piste de John Holloway quand il ne cesse d’insister sur la différence entre « faire » et « faire faire ».

  • Le pouvoir est le pouvoir de « faire faire ».
  • La puissance est la puissance de « faire ».

Pour savoir, ou prétendre, que quelqu’un possède du pouvoir, il suffit de se demander s’il a le pouvoir de « faire faire », de donner des ordres.

Deuxièmement, on peut suivre M. Benasayag 1 quand il fait d’abord remarquer que le pouvoir est « impuissance ». Et que c’est bien souvent là le constat que font tous ceux qui conquièrent le pouvoir : leur impuissance à tenir leurs engagements.

Troisièmement, il existe une sorte de test pratique et concret pour savoir si quelqu’un est dans le pouvoir ou bien dans la puissance : peut-on le contrôler ? Dès que vous ragez devant les initiatives de celui qui propose, agit, réalise et que vous sentez qu’il est « incontrôlable », alors il y a toutes les chances qu’il soit dans la « puissance » et non pas dans le « pouvoir ». En hommage à Guy Debord et en référence à la « construction de situations », je propose d’appeler cela la puissance du « débordement ».

Remarquons pour finir que la puissance – quand « résister, c’est créer » – mérite reconnaissance et que cette reconnaissance peut laisser apparaître une authentique « autorité ». Non pas celle du « petit chef » mais celle de l’auteur.

Il faut tirer toutes les conséquences de cette distinction entre « pouvoir » et « puissance » :

  • Non seulement quant aux nouvelles formes de l’engagement : abandonner les militants-prophètes (qui se croient en avance par rapport à ceux qu’ils jugent en retard), les militants-agenda (« le lundi soir, j’ai réunion » : et en avant pour une nouvelle victime du « syndrôme d’enfermement local » dans le quant-à-soi de la rencontre conviviale) et les militants-alternatifs (qui réussissent à inventer une variante de l’individualisme généralisé en l’étendant à ce que Tiqqun 2 nomme avec beaucoup de justesse les « communautés terribles ») ; préférer les « militants-chercheurs » (ceux qui analysent leur pratique sans jamais mépriser à quel point le travail du projet peut éclairer leurs propres activités concrètes) ; manière surtout de renvoyer à leurs théories tous ces idéologues de la décroissance qui paradent de conférence en conférence, haranguant un public conquis par la magie d’un verbe bien entraîné, sans qu’on les rencontre jamais dans les constructions « au-ras-des-rencontres ».
  • Mais aussi sur la forme que devrait prendre l’organisation d’un Maison commune de la décroissance. Car il s’agit seulement de mutualiser des outils pour libérer les puissances ; mais surtout pas de structurer une quelconque prise de pouvoir : ni à l’intérieur, ni à l’extérieur.
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Les notes et références
  1. http://decroissances.ouvaton.org/2010/05/15/du-contre-pouvoir/[]
  2. https://communautedeschercheurssurlacommunaute.wordpress.com/retour-sur-la-communaute-terrible/[]

3 commentaires

  1. Différence entre puissance et pouvoir
    Merci car cela me permet d’avancer dans ou plutôt de comprendre ma vie qui a la fois de comprendre cette puissance Sans aimer le pouvoir .



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