Les Re- de la Dé-croissance

Serge Latouche dans plusieurs de ses écrits propose une liste d’axes pour s’engager concrètement dans l’alternative et la rupture avec la société de croissance.

Il s’agit juste de faire un inventaire de ses propositions d’abord pour en faire émerger la cohérence ; ensuite, au travers des quelques variations constatables, pour en faire ressortir le dynamisme.

On peut ainsi faire une première liste, de 6 à 8 objectifs interdépendants :

Automne 2003 – Monde Diplomatique Automne 2006 – Entropia n°1 Automne 2009 – Revue du M.A.U.S.S. n°34
Pour une société de décroissance La décroissance : un projet politique La décroissance comme projet politique de gauche
réévaluer réévaluer réévaluer
reconceptualiser reconceptualiser
restructurer restructurer restructurer
redistribuer redistribuer redistribuer
relocaliser relocaliser
réduire réduire réduire
réutiliser réutiliser réutiliser
recycler recycler recycler
On peut, s’inspirant de la charte « consommations et styles de vie » proposée au Forum des organisations non gouvernementales (ONG) de Rio lors de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de 1992, synthétiser tout cela dans un programme en six « r » : réévaluer, restructurer, redistribuer, réduire, réutiliser, recycler. Ces six objectifs interdépendants enclenchent un cercle vertueux de décroissance sereine, conviviale et soutenable. On pourrait même allonger la liste des « r » avec : rééduquer, reconvertir, redéfinir, remodeler, repenser, etc., et bien sûr relocaliser, mais tous ces « r » sont plus ou moins inclus dans les six premiers. Redistribuer, Relocaliser, Réduire, Réutiliser, Recycler. Ces huit objectifs interdépendants sont suscep­tibles d’enclencher un cercle vertueux de décroissance sereine, convi­viale et soutenable. Certains ne manqueront pas de voir dans ce recours systématique au préfixe « re », la marque d’une pensée réac­tionnaire ou de la volonté romantique ou nostalgique à un retour au passé. Disons simplement que, mise à part une légère coquetterie d’au­teur dans cette façon de présenter les étapes sous le signe de la lettre « R », les actions en cause participent tout autant de la révolution que du retour en arrière, de l’innovation que de la répétition. La décroissance est aussi, bien évidemment, une critique radi­cale du libéralisme, celui-ci entendu comme l’ensemble des valeurs qui sous-tend la société de consommation. Dans le projet politi­que de l’utopie concrète de la décroissance en huit R (Réévaluer. Reconceptualiser, Restructurer. Relocaliser. Redistribuer. Réduire. Réutiliser. Recycler), trois d’entre eux, Réévaluer. Restructurer et Redistribuer, actualisent tout particulièrement cette critique. Réévaluer, cela signifie revoir les valeurs auxquelles nous croyons. sur lesquelles nous organisons notre vie et changer celles qui doi­vent l’être.

Mais dans les 2 derniers articles, Serge Latouche rajoute un « programme électoral de transition » en 9 ou 10 « R ».

Automne 2006 – Entropia n°1 Automne 2009 – Revue du M.A.U.S.S. n°34
La décroissance : un projet politique La décroissance comme projet politique de gauche
Des mesures très simples et presque anodines en apparence sont sus­ceptibles d’enclencher les cercles vertueux de la décroissance. On peut penser la transition par un programme électoral qui tient en quelques points consistant à tirer les conséquences « de bon sens » du diagnostic effectué : Notre programme «électoral» de transition en 10 points se propose daller vers cet objectif. Ces 10 R du programme réformiste sont :
1) Retrouver une empreinte écologique égale ou inférieure à une pla­nète, c’est-à-dire une production matérielle équivalente à celle des années 1960-1970. 1) Retrouver une empreinte écologique soutenable.
2) Internaliser les coûts de transport par des écotaxes appropriées. 2) Réduire le transport en internalisant les coûts par des écotaxes appropriées.
3) Relocaliser les activités. 3) Relocaliser les activités.
4) Restaurer l’agriculture paysanne. 4) Restaurer l’agriculture paysanne.
5) Transformer les gains de productivité en réduction du temps de travail et en créations d’emplois, tant qu’il y a du chômage. 5) Réaffecter les gains de productivité en réduction du temps de travail et en création d’emploi.
6) Impulser la « production » de biens relationnels. 6) Relancer la « production » de biens relationnels.
7) Réduire le gaspillage d’énergie d’un facteur 4. 7) Réduire le gaspillage d’énergie d’un facteur 4.
8] Pénaliser fortement les dépenses de publicité. 8] Restreindre fortement l’espace publicitaire.
9) Décréter un moratoire sur l’innovation technologique, établir un bilan sérieux et réorienter la recherche scientifique et technique en fonction des aspirations nouvelles. 9) Réorienter la recherche technoscientifique.
10) Se réapproprier l’argent.

Ce qui est intéressant dans la mise en perspective des trois articles de Latouche, c’est la progression visible déjà rien qu’en lisant les titres :

  • Pour une société de décroissance (Diplo)
  • La décroissance : un projet politique (Entropia)
  • La décroissance comme projet politique de gauche (M.A.U.S.S.)

Lisons un passage écrit en 2006, dans le premier numéro d’Entropia :

« Même si les gouvernements de « gauche » font des politiques de droite et, faute d’oser la « décolonisation de l’imaginaire », se condam­nent au social-libéralisme, les objecteurs de croissance, partisans de la construction d’une société de décroissance conviviale, sereine et soute­nable, savent faire la différence (si faible soit-elle) entre Jospin et Chirac, Schroeder et Merkel, Prodi et Berlusconi, et même entre Blair et Thatcher… Lorsqu’ils vont voter (ce que nous leur conseillons de faire), ils savent que, même si aucun programme de gouvernement ne prend en compte la nécessaire réduction de notre empreinte écolo­gique, c’est tout de même du côté des valeurs de partage, de solidarité, d’égalité et de fraternité, plus que vers celle de la liberté d’entreprendre (et d’exploiter) qu’il faut s’orienter. Ces valeurs ne peuvent se fonder sur le massacre des autres espèces et le saccage de la nature, et il convient d’en étendre le bénéfice aux générations futures. C’est pour­quoi notre combat se situe résolument contre la mondialisation et le libéralisme économique. »

Et faute de lire tout l’article publié ce mois dans la revue du M.A.U.S.S. 1, regardons juste le plan de l’article :

« Que la décroissance soit un projet politique de gauche constitue pour moi à la fois une évidence et un paradoxe.

Une évidence.

La décroissance constitue un projet politique de gauche parce qu’elle se fonde sur une critique radicale de la société de consommation, du libéralisme et renoue avec l’inspiration originelle du socialisme.

1)       Critique radicale de la société de consommation, de développement ou du développementisme, elle est une critique ipso facto du capitalisme.

«La décroissance ne peut être qu’une décroissance de l’accumulation, du capitalisme, de l’exploitation, de la prédation.

2)       La décroissance est aussi, bien évidemment, une critique radicale du libéralisme, celui-ci entendu, bien évidemment, comme une critique radicale de l’ensemble des valeurs qui sous-tend la société de consommation.

3)       La décroissance, enfin, est un projet ancré à gauche parce qu’elle renoue avec l’inspiration première du socialisme, celui qu’on a qualifié non sans ambiguïté d’utopique.

Un paradoxe

Sans parler d’une problématique décroissance de droite, repré­sentée en France par Alain de Benoist, situer la décroissance à gau­che représente un défi. Attaquer le productivisme, prôner une société de sobriété, considérer la crise comme une opportunité, paraissent des provocations susceptibles de « désespérer Billancourt », même si celui-ci n’existe plus… Les réactions face à la crise sont un bon révélateur du dilemme qui s’ouvre à nous : relancer la machine à détruire la planète ou inventer une autre société.

Voir aussi : Vivre avec 600 euros par mois dans Politis, jeudi 3 septembre 2009.

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Les notes et références
  1. Le texte se trouve sur le site du MOC : http://www.les-oc.info/?p=678[]

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