Pour les réseaux, quelle utopie ?

A quelles conditions les alternatives concrètes et les initiatives de contre-pouvoir peuvent-elles atteindre une « masse critique » ?

L’un de ces conditions est la mise en réseau de ces alternatives concrètes que j’appelle des « utopistes ».

Il faut d’abord comprendre qu’il n’y a besoin de réseau que s’il y a – au préalable – des initiatives à relier ; ces initiatives sont des « relocalisations » : habiter, manger, se déplacer, travailler, échanger, apprendre, etc.

Ce que le réseau relie, ce sont donc des alternatives concrètes relocalisés. Le réseau est ainsi associé à une re-territorialisation des activités.

Mais cette mise en réseau peut-il tenir lieu de stratégie politique ?

  • Les alternatives concrètes peuvent-elles faire « abstraction » du contexte national et international dans lequel elles ne peuvent pas ne pas s’inscrire ?
  • Chacun peut-il confectionner sa propre utopie sans avoir à s’occuper des utopies voisines ?
  • Quid d’un intérêt général et comment ne pas le faire passer après les intérêts relocalisés ?
  • Surtout, la défense d’une certaine justice ne peut pas faire l’impasse sur la nécessité de péréquations : ce qui suppose un dépassement – sinon une hiérarchie au moins un emboîtement – d’entités capables non seulement de collecter, mais aussi de redistribuer et enfin d’avoir les moyens politiques réels d’appliquer un tel intérêt général… : ces entités s’appellent des « collectivités »…

Seconde série d’interrogations :

  • Si l’on suit Pierre Musso (dans le Manières de voir n°112, août-septembre 2010), il faut distinguer entre deux conceptions politico-théoriques de l’utopie . Une utopie « sociale et politique », qui donne le primat à la politique, à la conflictualité et qui aboutit peu ou prou à une forme de communisme ; une utopie « technoscientifique » qui donne le primat à la technique, à l’association et à la « communion ».
  • On voit bien comment il y a – a minima – un risque que la mise en réseau relève de l’utopie technoscientifique : manière malheureusement de n’être qu’une variante de la dépolitisation de la société.
  • En effet, le « temps du réseau » et des « relocalisations » n’est-il pas d’abord celui qui rendu possible par une technique de communication : internet ?

La question politique ne devient pas pour autant un choix radical mais un chantier :

Comment construire des réseaux pas seulement relocalisés mais aussi repolitisés ?

Eléments de discussion :

  • Le réseau n’opère-t-il pas le transfert du pouvoir du centre vers la périphérie ?
  • Définition du réseau chez Gilbert Simondon (Du mode d’existence de l’objet technique, p.100) : « La caractéristique de base du réseau est la présence virtuelle de toutes les possibilités de l’organisme central en chacun des terminaux ». Y a-t-il même encore un centre ?
  • N’y a-t-il pas dans internet plus de potentiel de liberté que prévue ? « En transférant à la périphérie le pouvoir sur le réseau, les concepteurs d’Internet jouaient la société contre l’Etat.  Il fallut tout l’acharnement des multinationales des médias et du logiciel propriétaire… pour qu’on se rende compte qu'[ils] avaient également joué la société contre le capitalisme informationnel » (Philippe Aigrain, Cause commune, p.40)
  • Si priorité dans un réseau est donnée à la résilience sur l’efficacité, n’est-ce pas là façon d’affronter le risque de la technicisation de la politique ?
  • Bref, le réseau peut-il être cet « outil convivial » qu’Ivan Illich appose à l’outil industriel ?

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