J’effectue aujourd’hui un cran supplémentaire, un pas en arrière, un pas de retrait.
J’avais déjà effectué un premier pas, il y a quelques années, quand j’avais abandonné tout activisme dans les « alternatives concrètes ».
Je fais aujourd’hui un pas supplémentaire en abandonnant tout activisme dans la « visibilité politique ».
Les raisons en sont multiples et proviennent toutes, peu ou prou, de la paresse intellectuelle à laquelle je m’oppose même à l’intérieur des milieux décroissants et qui s’est manifestée, ces derniers temps, de multiples façons.
Les plus graves (à propos de l’extrême-droitisation des positions politiques, de la pandémie, de la guerre de la Russie contre l’Ukraine) :
- une hypocrisie intellectuelle qui au nom d’une bienveillance de façade refuse de tirer fermement une ligne rouge entre décroissance et dérives extrême-droitardes : de la présence de certains aux dernières élections (ou à leur passage sur des médias pourris) à des tribunes récemment accordées à des infréquentables dans des revues francophones de la décroissance,
- une fainéantise complotiste qui, au lieu d’en appeler fortement à une démocratie sanitaire, se contente de reprendre sottement la version la plus libertarienne de la liberté,
- un gloubi-boulga géopolitique qui sous le masque du pacifisme et d’un non-alignement abstraits en vient à justifier le pire, en prenant les « guerres métaphoriques » pour des réalités et en faisant de la « guerre réelle » une propagande, sinon une fiction.
Les plus décevantes (mais on me dit que « c’est pas grave ») :
- l’incapacité répétée de toute la nébuleuse « résistante » à oser vraiment se lancer dans le chantier de la refondation idéologique : d’où cette « impatience de la pratique » (Robert Kurz) dans les milieux « militants » qui n’est alors que la variante en style « idiot utile » de ce qui justifie toujours le pire chez nos adversaires : à savoir, le pragmatisme.
- la victoire peut-être définitive de l’individualisme (comme conception erronée de la société) sous les formes générationnelles du relativisme et de l’horizontalisme : en tant que partisan de « la patience du concept » (Gérard Lebrun), je reconnais ne plus pouvoir endurer ce que j’appelle « la dictature du dernier arrivé », à partir duquel il faudrait toujours tout reprendre depuis le début, et encore quand il a la « bienveillance » de ne pas proposer ses propres élucubrations.
A ma toute, toute petite échelle, je reprendrais bien ce jugement porté par François Gemenne pour justifier son retrait du monde politique : « c’est un monde d’une médiocrité infinie, c’est un monde de petits arrangements, c’est un monde de trahisons et d’une violence incroyable » (à C ce soir, le lundi 22 mai 2022).
Je confirme pour la médiocrité, la petitesse et la méchanceté, et j’ajoute la jalousie : à l’intérieur de la sphère de l’engagement politique – comme d’ailleurs à l’intérieur de celle des alternatives concrètes – la conversation idéologique est toujours épuisante et presque toujours stérile.Et même quand il y a « débat », il n’y a jamais « discussion ». La moindre controverse est tournée en polémique, aucun raisonnement n’a jamais raison devant l’appel au « ressenti », toute critique de fond est ridiculisée en dispute personnelle et bien évidemment les reproches de forme servent immédiatement à faire écran.
Le règne des « paupières d’oreille » (Henri Roorda, Le roseau pensotant, 1923) y est sans partage.
Après le retrait ancien des « alternatives concrètes », après le retrait de la « visibilité politique », il ne me reste donc plus pour nourrir ma retraite que le « travail du projet ». J’espère le poursuivre.
J’ai dorénavant beaucoup plus de temps ; pour regarder des fictions à l’eau de rose, pour lire des romans, pour envisager de réussir à concrétiser 2 projets éditoriaux : La décroissance politique, anticapitalisme, écologie et socialisme ; et ensuite, La décroissance est un humanisme.
En attendant, le livre de la MCD, La décroissance et ses déclinaisons (chez Utopia) et celui de Timothée Parrique, Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance (au Seuil, sortie le 16 septembre) pourront largement nourrir nos réflexions décroissantes.
Enfin, je vous propose ci-dessous un texte que j’avais préparé pour les dernières (f)estives de la décroissance : sur les perturbatures et autres chanvirements (?) comme perspectives de la décroissance.
Sans espoir, sans désespérance. Ni moins, ni plus.