De quoi la mascarade à laquelle se livrent les candidats de gauche à l’élection qui vient est-elle le symptôme ? C’est grave, docteur ?
Sous le symptôme, la paresse idéologique d’une critique anticapitaliste qui n’arrive pas à se mettre en perspective de décroissance et qui se contente d’occuper le terrain en nous faisant croire qu’à un bout il y aurait ceux qui sont prêts à assumer les responsabilités et qu’à l’autre bout il y aurait les partisans d’une politique de rupture.
Tout cela est particulièrement visible dès que l’anticapitalisme prétend articuler la question sociale et la question écologique. Mais :
- la « question écologique » n’existe pas.
- la question sociale doit être renversée.
On se demande bien alors ce qu’il y aurait à « articuler » et on comprend le ridicule de ces proclamations en faveur d’une société écologique qui rajoutent in extremis « et sociale » ou, symétriquement, de ces appels à la révolte sociale qui rajoutent in extremis « et écologique ».
1. L’écologie politique, c’est-à-dire la prise en compte des limites de soutenabilité écologique dans toute politique de la vie humaine, n’est pas une question à laquelle chacun pourrait fournir sa réponse. L’écologie politique est le cadre à l’intérieur duquel se posent les questions politiques de la démocratie, de la remise à sa place de l’économie.
J’aime bien faire l’analogie avec les règles d’un jeu collectif. Bien sûr, on peut toujours discuter de telle ou telle règle et demander sa modification mais tout le monde devrait comprendre que, quand je suis en train de jouer au volley, le moment ne peut pas venir de se questionner sur le droit d’aller plaquer un joueur de l’autre équipe. On peut changer de sport, mais quand on joue au volley, certaines « règles constitutives » ne sont pas des questions mais juste le cadre qui rendent possible de jouer au volley.
Les deux lectures que je discute (le livre de Stapp et celui de Latour) essaient de creuser cette idée que l’écologie est un cadre et non une question.
2. Que peut bien vouloir dire « renverser la question sociale » ?
- Ce que la décroissance partage avec l’écoféminisme c’est le refus radical de l’invisibilisation par l’économie de ce qui fait réellement société, à savoir la « sphère de la reproduction sociale ».
- Il faut prolonger ce refus en rejetant radicalement le dogme de la place de l’économie comme « infrastructure », « en dernière instance ». Dogme partagé tant par les capitalistes que par les anticapitalistes. Non, ce n’est pas l’économie qui est la base de la vie sociale, c’est l’inverse !
Donnons alors deux exemples de ce que, politiquement, voudrait dire un renversement de la question sociale :
- Si nous devons vouloir réellement sortir du patriarcat, alors il faut cesser de demander aux femmes de rattraper les hommes en accédant aux aliénations et aux exploitations liées au travail : il faut inverser le rattrapage. C’est aux hommes de rattraper les femmes dans les activités de la sphère du care, de la socialité primaire…
- Bien sûr qu’il faut cesser de croire à la fable d’un destin messianique du prolétariat pour porter la lutte des classes à la tête d’un « front principal des luttes ». Pour autant, faut-il jeter le bébé d’un « front principal » avec l’eau du bain de « l’économie en dernière instance » ? Chacun peut voir aujourd’hui comment les résistances anticapitalistes s’égarent à allonger sans fin la liste des dominations et des invisibilisations : comme si faute du front principal de la lutte des classes, il n’y aurait qu’à enregistrer sans fin des combats de plus en plus parcellisés, de plus en plus archipélisés (de plus en plus identitaires).
Ce n’est pas parce qu’historiquement l’anticapitalisme s’est trompé de front principal des luttes qu’il faut en abandonner l’ambition. Mais alors quelle serait la sphère « en dernière instance » ? Depuis Françoise D’Eaubonne (relire ses si solides critiques dans Écologie, féminisme : Révolution ou mutation ? 1978) jusqu’au Manifeste féministe pour les 99%, c’est la sphère de la reproduction sociale qui semble bien constituer cette infrastructure en dernière instance pour laquelle les anticapitalistes devraient refaire front commun.
Dans un tel front principal, bien sûr pourraient aisément trouver place toutes les « luttes » mais aussi toutes ces autres formes de « résistances » qui s’appellent (depuis le socialisme utopique) des « expérimentations minoritaires ».
Mais les replacer toutes dans une telle perspective commune – la décroissance – leur éviteraient de n’être que des anticapitalismes tronqués.