Ci-dessous le CR de mon intervention en faveur du revenu inconditionnel (RI) lors de la CNCL d’Attac du 6 juin 2015, à l’invitation du comité local d’Attac 19 ; je les en remercie.
1. Introduction
a. Rappel de définition
- Le travail : activité de transformation de la nature, propre aux hommes et qui les met en relation et qui est productrice de valeur ;
- Emploi : exercice d’une profession salariée ;
- Employer : faire usage de, se servir de, utiliser.
Les mots relatifs au travail font apparaitre un rapport de domination capitaliste : la majorité des travailleurs vendent leur temps et leur force à un employeur qui possède les moyens de production et en tire profit. Leur survie dépend du bon vouloir de l’employeur.
b. Réflexions sur l’organisation capitalistique du travail et proposition du salaire à vie
Le salaire est attaché à un poste de travail, pourquoi ne serait-il pas attaché à la personne ? Cela casserait le rapport de domination capitaliste en retirant des mains des employeurs la capacité de décider qui touche le salaire et qui ne le touche pas.
Une part importante de l’activité humaine n’est pas rémunérée : 40 % (militant, associatif, soins aux proches…). Ce travail n’est pas valorisé alors même qu’au sens capitaliste, il est aussi nécessaire à la production. Pourquoi ne pas le valoriser ? L’instauration d’un salaire à vie pour tous le permettrait.
Le profit capitalistique, attaché au droit de propriété lucrative, constitue une ponction illégitime sur le fruit du travail. La désaliénation du travail, sa libération, sous-entend la réappropriation par le peuple de l’outil de production et la transformation de la propriété lucrative en propriété d’usage.
L’instauration d’un salaire à vie, c’est-à-dire la redistribution démocratique des richesses, entrainera par ailleurs nécessairement une réflexion sur la production de ces richesses, sur ce que l’on produit, et comment.
2. Présentation de la thèse de réseau salariat : le salaire à vie
Bertrand Bony présente les réflexions qui conduisent Réseau Salariat à proposer un salaire à vie.
Cette réflexion se nourrit de l’histoire des luttes du XXème siècle et plus particulièrement de celles qui commencent à partir des années 1930-1940. Certaines innovations ont vu le jour à cette époque dont on ne mesure pas assez la portée subversive vis-à-vis du capitalisme. Bertrand Bony s’est attardé sur 3 innovations en particulier :
a. Instauration en 1946 de la fonction publique d’Etat
L’instauration de la fonction publique d’Etat attribue, pour la première fois, à un travailleur une qualification personnelle. C’est ce que l’on appelle « le grade » des fonctionnaires. Le grade est obtenu à l’issue d’un concours qui permet de rentrer dans ladite fonction publique ; il progresse au cours de la carrière du travailleur et il est conservé durant toute la vie du travailleur, y compris après la période d’activité puisqu’il est attribué à la personne.
Cette technique permet aux travailleurs ainsi qualifiés de se libérer des desiderata d’un employeur (au sens développé par Mathieu, c’est-à-dire d’un propriétaire d’un poste de travail qui déciderait où le travail va s’exercer, quelles seront les cadences, la production, le salaire et in fine le profit que ledit employeur pourra récupérer). Les fonctionnaires de la fonction publique d’Etat sont libérés du marché du travail au sens où ils n’ont pas d’employeur qui vient acheter leur force de travail sur un marché des forces de travail.
b. Les conventions collectives
Les conventions collectives ont été au cœur des luttes syndicales de l’après guerre. Elles ont progressé jusque dans les années 1970-1980 où elles ont subi des attaques assez considérables.
Là aussi, bien qu’à un degré moindre par rapport à la fonction publique d’Etat, la convention collective attribue une qualification au travailleur, cette fois-ci non pas à la personne du travailleur, mais au poste de travail via une grille de qualification. La qualification de la convention collective ne doit pas être confondue avec la certification, le diplôme.
Une rupture est ainsi instaurée entre le travail concret réalisé et le marché des forces de travail : le travailleur occupant le poste va obtenir le salaire correspondant à la qualification du poste, définition à laquelle les travailleurs participent.
Le salaire est aussi extrait de la production. On ne compte pas les pièces produites après coup, on prévoit d’avance que la tenue du poste donnera lieu à une qualification particulière et un salaire particulier.
c. La cotisation sociale
Partie d’à peu près zéro dans les années 1930-1940, elle atteignait à peu près 60% du salaire brut dans les années 1970.
La cotisation sociale permet de financer par un prélèvement primaire, c’est-à-dire, au moment de la production (préemption de la valeur économique produite) le salaire de ceux qui sont reconnus producteurs de valeur économique bien que n’étant pas dans l’emploi comme, par exemple, les personnels soignant des hôpitaux…
Cette cotisation subit aujourd’hui des attaques extrêmement violentes de la part du patronat (et une part de la CFDT) et des réformateurs en général qui ont tendance à vouloir la transformer en salaire différé.
Ces attaques sont conduites sous l’angle de la prévoyance et de ses logiques : plus l’on cotise, plus on a de droits. Ils tentent ainsi de naturaliser 2 idées :
- Le fait qu’il n’y aurait de création de valeur économique que dans l’emploi privé, sous le coup d’un employeur capitaliste qui va acheter des forces de travail sur un marché des forces de travail ;
- Le fait qu’il existe des moments où les travailleurs ne sont plus productifs et qu’il est nécessaire de prévoir ces moments via un dispositif d’épargne. Ainsi on observe un développement sans précédent des « comptes » : le compte formation, le compte pénibilité, le compte retraite, le compte protection complémentaire, le compte épargne-temps… On tente de nous transformer en prévoyant pour les jours mauvais.
C’est contre ces idées que s’est développée la cotisation salaire qui paie des retraités, des soignants, des familles, des chômeurs par continuation de leurs salaires. C’est sur ce modèle là que Réseau Salariat se fonde pour dire que cela fait bientôt 70 ans que nous expérimentons avec succès qu’il est possible, sous des formes plus ou moins élaborées, de sortir du marché du travail en s’appropriant la capacité de décider où est produite la valeur et comment la répartir.
Réaliser cela c’est un pas vers la sortie des deux grands chantages que sont le chantage à l’emploi et le chantage à la dette.
3. Présentation de la thèse des objecteurs de croissance : le revenu inconditionnel
Il existe beaucoup d’expression quant à qualifier le versement d’une somme d’argent par la collectivité. Les objecteurs de croissance ont fait le choix de l’expression de « revenu inconditionnel ».
La thèse des objecteurs de croissance préconise que chacun soit reconnu par la société à travers le versement d’un revenu, sans aucune condition d’âge ; le fait pour quelqu’un d’être dans une société et de ne pas exercer d’activité illicite est déjà suffisant pour qu’il mérite une reconnaissance sociale selon les objecteurs de croissance.
Il s’agit de ne plus distinguer entre les activités sociales (d’ailleurs, les objecteurs de croissance refusent le mot travail, dont ils demandent l’abolition) et il faudrait dès lors inclure les surfeurs de Malibu et ceux qui lisent dans leurs hamacs par exemple.
Plusieurs objections ont déjà été formulées aux objecteurs de croissance :
Qui acceptera alors de travailler ?
Malheureusement, les expériences montrent que les tentatives de revenu inconditionnel ne réussissent pas à faire renoncer les gens au travail. Le paradigme du travail est tellement fort aujourd’hui que même ceux qui gagnent à la loterie de nos jours continuent encore à bosser.
Question des tâches pénibles
Qui voudra réaliser les tâches ingrates ou comment se répartira-t-on les tâches ingrates ? Selon Michel Lepesant, c’est souvent à l’évocation de cette question que quelqu’un dans la salle aborde le travail des femmes.
Michel Lepesant aborde alors ici les objections de la commission « Genre » d’Attac. Celle-ci s’oppose à la proposition de revenu inconditionnel dans la mesure où l’attribution d’un salaire inconditionnel à tous aurait pour conséquence d’enfermer de nouveau les femmes à la maison et de les rendre aux tâches ingrates domestiques qu’elles ont jusqu’alors réalisées de force… Michel Lepesant demande pourquoi, alors que tout le monde recevrait un revenu sans condition d’attribution, celui qui resterait à la maison pour réaliser les tâches ingrates ne serait-il pas l’homme, voire le second mari…
Philosophiquement, peut-on payer les gens à ne rien faire ? Qui décide de ce qui est utile ? Qu’est ce que faire ? Ne pas faire ? Qui possède la définition de l’utilité sociale ?
Le débat ici semble fondamental : la valorisation du travail est une invention libérale. Nous ne sommes pas obligés de cautionne l’oubli prolétaire des formes libérées du travail. Ce n’est peut être pas le salariat qui est à abolir mais le travail en tant que tel : celui qui correspond à une activité pénible que l’on n’a pas envie de faire et pourtant que l’on nous oblige à faire.
La question de l’utilité sociale est étroitement liée à celle de l’organisation sociale. Qu’est-ce que vivre ensemble, qu’est-ce que s’organiser ensemble ? Arrivés à cette interrogation, comment peut-on alors faire l’impasse sur le cadre limité des ressources naturelles ?
« L’empreinte écologique de la France, est au dessus de 4. Faisons semblant de croire que le temps de travail en France est de 32H, ce qui est faux. Si nous voulons revenir à une empreinte écologique de 1, il faudrait que le temps de travail soit limité à 8H par semaine ! Voulons-nous simplement faire échapper notre population locale au chômage ou avons-nous une vision planétaire ? »
Les Amis de la Terre ont inventé la notion d’espace écologique, à savoir qu’il faut systématiquement penser avec deux limites : une au dessous de laquelle pas de vie tenable, une au dessus de laquelle la vie de la planète n’est plus possible. La notion de revenu inconditionnel peut se fonder sur cette notion d’espace écologique et on peut alors imaginer un plafond inférieur et un plafond supérieur au revenu. Il y a donc nécessité de revendiquer aussi un revenu maximum acceptable.
Il s’agit ici de rompre avec une certaine gauche travailliste, productiviste afin de se libérer des anciennes luttes qui ont échoué et ne redémarreront plus.
De manière plus pragmatique, des revendications inspirées par la notion de revenu inconditionnel peuvent être proposées : une allocation d’autonomie pour les moins de 25 ans ; pour les licenciés un fond de réserve abondé par une nouvelle répartition des revenus entre capital et travail (proposition émanant de discussion entre le MOC et le NPA) ; pour les travailleurs un accès de droit, inconditionnel au temps partiel choisi, non par l’employeur mais par le travailleur lui-même ; pour tous les adultes, une véritable discussion sur la répartition des tâches ingrates ; et peut-être la première marche dans la véritable dissociation du revenu et du travail : une retraite égale pour tous, d’un montant unique car tous les arguments qui tentent de justifier les inégalités de salaire à partir d’une différence de responsabilités (ou autre) ne sont pas valables quant aux écarts de retraite.
4. Réponse de Thomas Coutrot, membre du conseil scientifique et porte parole d’Attac
Il existe selon Thomas Coutrot d’importants points d’accord et un point de désaccord majeur.
a. Les points d’accord
Il y a tout d’abord accord sur le point de la nécessaire défense de la cotisation contre la privatisation, de la constitution de retraites par répartition et non par capitalisation, de la lutte contre les comptes à tout va. Attac a beaucoup participé à la défense de la protection sociale.
L’idée que l’on doit aller vers un revenu garanti, indépendant de la contribution productive à un moment donné est une revendication que porte Attac : un revenu garanti de haut niveau qui ne soit pas soumis à une multitude de contrôles tatillons et qui assure à une personne, entre deux occupations sur le marché du travail (ou pas), un revenu décent. Il doit être financé pour l’instant par la cotisation sociale.
Selon Thomas Coutrot, la question encore en débat est celle de la conditionnalité ou de l’inconditionnalité du versement du revenu.
L’idée que l’on doit contester la propriété lucrative et développer des propriétés d’usage (théorie des biens communs) est aussi un point d’accord. La socialisation des entreprises ne veut pas dire pour Thomas Coutrot que les travailleurs vont devenir petits propriétaires capitalistes de leurs entreprises, cela signifie plutôt que les actifs productifs deviennent propriété de la collectivité (ils sont socialisés) et ils sont gérés dans le cadre d’entreprise socialisés, par des conseils d’administration dans lesquels sont représentés les travailleurs, les pouvoirs publics locaux selon l’échelle de la production, les usagers. C’est une prise de décision démocratique.
L’Idée aussi selon laquelle le revenu garanti (de Réseau Salariat) serait en partie versé sous forme de gratuité de service de base et aussi en monnaie locale pour développer une économie locale, secondaire, est aussi un point d’accord.
b. Les points de désaccord
Le point d’achoppement dans le débat selon Thomas Coutrot est l’idée selon laquelle on doit déconnecter complètement la réflexion sur la production de la réflexion sur la répartition. Qui décide ? Dans la plupart des théories, le droit au revenu est garanti par l’Etat. On suppose donc qu’il existe une délibération démocratique.
Il n’est pas possible de séparer ces questions car le revenu est la reconnaissance sociale sous la forme monétaire d’une contribution à l’activité sociale. Depuis toujours, on ne fait pas seulement que reconnaitre l’existence d’une personne. Si on le faisait indistinctement, sans prendre en compte les spécificités des personnes, l’élément de reconnaissance de l’activité sociale disparaitrait ce qui ne semble pas acceptable à Thomas Coutrot au plan philosophique.
Pour Thomas Coutrot, il n’est donc pas possible de reconnaitre socialement une personne en dehors de son activité sociale ; une personne ne peut donc pas exister socialement, c’est-à-dire être reconnue socialement via le versement d’un revenu, si elle ne travaille pas, si elle ne produit pas pour la société.
En outre, selon Thomas Coutrot, l’effort social coordonné nécessaire à la reconversion « verte » de l’économie ne peut être laissé à l’initiative individuelle et nécessite une planification démocratique. Elle ne permet pas de rétribuer ceux qui ne participent pas à cette reconversion de la même manière que ceux qui y participent, ou de limiter le travail à 8H par semaine…
Thomas Coutrot se prononce donc pour une reconversion du système productiviste vers une productivité « verte » de même niveau plutôt que pour une réduction drastique d’une productivité superflue.
On ne peut donc pas séparer selon Thomas Coutrot, la création de richesse de la distribution des revenus, c’est-à-dire, il n’y a que ceux qui produisent de la richesse qui peuvent être rémunérés.
Le point fondamental, pour Thomas Coutrot, c’est qui va décider de ce qui est utile socialement ?
Thomas Coutrot demande à ce que l’on arrête de se reposer sur l’Etat. Les intervenants contestent, il n’a jamais été question de cela dans les thèses de Réseau Salariat ou du MOC. Les alternatives existantes sont l’Etat ou le marché. Selon Thomas Coutrot, la troisième réponse est peut être donnée par l’économie sociale et solidaire. Il faut réfléchir à de nouvelles manières de valider la production qui résulterait de la délibération démocratique. Ici Thomas Coutrot n’abordera en réalité que la question de savoir sur quel modèle on doit construire la direction des entreprises existantes.
Qui va alors délibérer ? Il va de soi pour Thomas Coutrot que les processus de délibération ne seront pas les mêmes au niveau de la SNCF que dans une entreprise d’énergie renouvelable au niveau local, les enjeux n’étant pas les mêmes. Le salaire sera alors conditionné à l’utilisé sociale déterminée par les directions démocratiques des entreprises.
5. Les réactions de la salle
a. Intervention 1
A un débat où le MOC avait été convié et auquel l’intervenant assistait, un invité a déclaré que si on lui donnait 900€ par mois, revenu insuffisant pour vivre en France aujourd’hui, il irait s’installer à Marrakech pour vivre au mieux avec ce revenu. Dans le schéma proposé, les 900€ seraient versés « en gros » par les travailleurs de France et dépensés à Marrakech. Il serait intéressant de penser à une interdiction relative à l’évasion dans d’autres pays lorsqu’on touche un revenu inconditionnel par exemple.
En outre, l’intervenant fait remarquer qu’il n’y a aucune dimension anticapitaliste dans l’intervention de Michel Lepesant : le revenu inconditionnel ne suffira pas à combler les besoins de la population et les gens se retrouveront confronter au marché du travail dans tous les cas. D’autre part, dans le caractère inconditionnel, il ne faudra pas oublier les circuits de production et de distribution. Le revenu ne peut pas être inconditionnel dans la mesure où il va accentuer le fossé entre ce qui produisent et ceux qui consomment. Indépendamment de ceux qui consomment à Marrakech où à Lisbonne, il y aura des gens qui vont se satisfaire de peu et qui ne participeront à rien et d’autres qui vont produire tout le temps.
L’intervenant précise qu’il adhère à Réseau Salariat et qu’il est également très sensible aux questions de décroissance mais la dimension anticapitaliste lui semble absolument essentielle.
b. Intervention 2
2 questions de l’intervenant :
- Quid des investisseurs dans les systèmes proposés ?
- Remarque concernant l’assertion de Thomas Coutrot qui voudrait que 8H de travail par semaine ne suffise pas à convertir l’économie : Il s’agirait de 8H par semaine de travail au sein de l’entreprise mais il existe une vie sociale en dehors de l’entreprise, et il est tout à fait concevable que plusieurs personnes consacrent une partie du temps qu’il leur reste à cette reconversion.
c. Intervention 3
L’intervenant fait remarquer que, philosophiquement, si tout est rémunéré, c’est, quelque part, rentrer dans le « système financier » et on aurait plus ainsi la liberté de se dire que l’on réalise une activité pour soi, qui n’a rien à voir avec le besoin vital, même au niveau collectif. L’idée de la rémunération de toute activité semble étrange à l’intervenant alors même que le groupe Attac tente de lutter contre la financiarisation du monde.
D’autre part, l’empreinte écologique de la France de niveau 4 est relatif à la consommation et non à la production comme le laissait penser Michel Lepesant.
d. Intervention 4
L’intervenante souhaite formuler quelques remarques au nom de la commission « Genre » dont elle fait partie. Elle souhaite revenir sur les 8 pages qui ont été portées en objection aux théories du MOC et qui ne traitent pas seulement des tâches domestiques « comme M. Lepesant voudrait le faire croire ».
L’intervenante fait remarquer que la commission est d’accord avec un certain nombre de constations réalisées par les théories proposées et notamment sur l’urgence de la situation à laquelle il faut répondre.
Cependant la commission considère que les débats sur le revenu inconditionnel occulte complètement la question féministe et pas seulement au regard des tâches domestiques mais la question du rapport spécifique que les femmes entretiennent au travail. En effet, selon la commission, le travail n’est pas seulement aliénant mais il est aussi vecteur de rapports sociaux. S’il est concevable que les hommes aient envie de se libérer du travail, le combat des femmes a toujours été celui de l’accès au travail qui est une garantie de l’autonomie de la femme.
Il existe aussi pour la commission un risque de glissement du revenu d’existence vers un revenu maternel. Lorsqu’il sera question de la distribution du travail, de la répartition des tâches, « l’expérience montre » que les tâches domestiques reviennent toujours aux femmes.
Par exemple, l’allocation parentale d’éducation qui est affichée comme neutre est perçue à 90% par les femmes. De plus, les jours de congés des femmes et des hommes ne sont toujours pas pris pour les mêmes choses. Il y a des hommes qui pourraient travailler à la maison, il y en a même qui le font, mais ce n’est pas la majorité. La commission souhaite que ces problèmes soient pris en compte dans les débats.
Pour la commission « Genre », le débat sur « le revenu d’existence » est aussi une façon d’occulter le débat sur une question plus fondamentale, la question de la réduction du temps de travail. A ce stade, certains se demandent dans l’assistance si la commission Genre était déjà dans la salle au moment de la présentation de la thèse de M. Lepesant.
La Commission « Genre » demande enfin à ce qu’un plan de travail soit mis sur la table en ce qui concerne les questions évoquées ici.
e. Intervention de la modératrice
La Modératrice fait remarquer qu’un glissement sémantique a été opéré. Le débat du jour se nomme « travail et salaire à vie » et pas « travail et revenu de base ». Ce sont des questions tout à fait différentes.
6. Réponse des invités
Michel Lepesant
D’une part, les interventions jouent sur les mots. Il faut faire attention aux mots que l’on emploie ; il existe par exemple beaucoup de variantes au sein de ces propositions : allocations universelles, revenu d’existence, revenu inconditionnel… On sait même que certaines variantes viennent de droite. Ainsi, les MOC reçoivent souvent des critiques comme s’ils défendaient l’impôt négatif, le revenu à 300€…
Les termes de travail et d’emploi sont aussi utilisés par chacun dans des sens différents.
Dans les premières versions, les revenus étaient versés directement par chèque et Michel Lepesant y était directement opposé. En réponse à cette marchandisation, ils ont inventé le versement en 3 parts : une part en monnaie locale, une part en gratuité et une part en monnaie commune qui reste à définir.
Le vocabulaire est essentiel.
D’autre part, la question de la validation sociale, démocratique, est en effet une question essentielle. M. Lepesant ajoute qu’à son sens il n’existe aucune proposition des MOC en faveur du revenu inconditionnel qui soit en faveur de l’Etat ni du marché. Nous refusons la monétarisation. Il remarque néanmoins que la commission « Genre » a pu écrire que « la monétarisation des relations sociales peut représenter un acquis pour les femmes » et s’étonne.
Cependant la proposition qui consisterait à s’inspirer de l’économie sociale et solidaire (ESS) n’est pas bonne selon M. Lepesant. Une loi est passée en juillet 2014 sur l’ESS ; elle montre qu’en général l’ESS combine une sorte de sous marché avec un sous Etat.
Le fait même de choisir un groupe qui décide de ce qui crée de la valeur et de ce qui n’en crée parait extrêmement dangereux au MOC et cela amène le mouvement à proposer de laisser chacun libre de décider ce qu’il estime être désirable pour lui à partir du moment où ce n’est pas une activité illicite (il faudra donc cependant bien définir ce qu’est une activité illicite…). Pour le MOC, toutes les autres solutions vont être plus ou moins paternalistes. Il fait aussi remarquer que nous en appelons souvent à la démocratie quand nous sommes incapables de discerner un critère de discussion valable. Devant l’incapacité pragmatique à se mettre d’accord sur ce point, il faut accepter que personne ne va se charger de définir ce qui a de la valeur. Pour le MOC, l’accomplissement personnel est la seule valeur possible.
Quand à l’objection anticapitaliste, il s’agit pour M. Lepesant de bien faire comprendre que les décroissants ne sont fondamentalement pas anticapitalistes car la seule critique formulée à l’encontre du capital est son illimitation. Historiquement, il a existé des anticapitalistes productivistes et il semble au MOC que la critique anti productiviste est plus profonde que la critique anticapitaliste. Bien souvent, la critique anticapitaliste a véhiculé avec elle des défenses du salariat alors qu’il y a nécessairement une réflexion à conduire sur la question de savoir comment et qu’est ce que l’on produit.
Thomas Coutrot
La question essentielle est donc de savoir si l’on doit s’en remettre à des instances sociales et démocratiques pour décider de ce qui a de la valeur ou bien s’il faut s’en remettre à l’individu.
Selon Thomas Coutrot, la société n’est pas une collection d’individu et l’on ne peut pas s’en remettre à l’individu seulement. Il faut donc inventer des formes d’autogestion. Ces formes ne doivent pas être centrées uniquement sur les producteurs mais sur l’ensemble des parties prenantes.
Bertrand Bony
Dans les propositions de Réseau Salariat, il n’a jamais été question de dire que c’est l’Etat qui devait tout maîtriser. Nous devons effectivement inventer les institutions démocratiques nous permettant de nous réapproprier la propriété d’usage des moyens de production. Au niveau de l’entreprise par exemple on pourrait imaginer un conseil d’administration qui serait constitué de toutes les parties prenantes que sont les collectivités locales, les riverains, les clients éventuels, les fournisseurs… Ici tout est à inventer car tout a été abandonné aux employeurs.
Sur la question des investisseurs : un investisseur c’est un mec qui dit « je te pique, je te prête et tu me rembourse ». Il vole aux salariés le fruit de leur travail via les dividendes exigés des entreprises, il prête au nom de ce qu’il est bien nécessaire pour financer l’économie et demande le remboursement au nom de la propriété.
Aujourd’hui, une certaine valeur économique est créée. Tout le PIB n’est cependant pas distribué sous forme de monnaie, c’est pour l’essentiel l’activité marchande de biens et de services qui se présente sous forme de monnaie. On distribue cette monnaie sous forme de salaires, de cotisations… puis on cherche des investisseurs. Ce sont alors ceux qui ont amassé les dividendes qui ont été exonérés d’impôts et de cotisations qui vont pouvoir prêter.
Réseau Salariat avance l’idée selon laquelle on pourrait élargir la cotisation sociale au moment de la production en supprimant les dividendes. Des caisses seraient alors créées, visant au financement de l’économie, dans lesquelles à nouveau il faudrait créer les conditions pour que soient représentés les producteurs que nous sommes tous, les collectivités locales, les citoyens… Il est quand même évident qu’il existe différents échelons selon les enjeux et que l’on ne pourra pas attendre de l’initiative individuelle une décision de construire une ligne de train. Il faudra aussi, pour Réseau Salariat, adapter les structures des caisses en fonction du niveau de l’enjeu : local, régional, national…
En ce qui concerne la critique productiviste, Bertrand Bony précise que dans le salaire à vie, la part monétaire ne correspond qu’à la partie marchande de l’économie. Tout salaire versé revient au sein de l’économie marchande. Réseau Salariat n’a pas soutenu qu’il ne fallait pas diminuer la part de l’économie marchande dans l’économie. Dans les droits de tirage que chacun peut avoir sur la valeur économique, une partie sera réalisée sous forme monétaire mais il y a aussi des droits de tirage sur le secteur non marchand. Le salaire universel n’a pas vocation à croitre et à prospérer, surtout pas au détriment de ce qui serait non marchand. Au contraire, la libération du marché du travail, c’est aussi la possibilité de pouvoir enfin décider de produire, ou non.
Le thème principal de la thèse avancée par Réseau Salariat est d’ailleurs principalement, au-delà de la question de la répartition des richesses, celle de sa production. Il faut en reprendre la maitrise.
Le mouvement social ne pourra se faire que sur un horizon positif.
7. Réactions de la salle
a. Intervention 5
L’intervenant souhaite insister sur le fait que certains droits existentiels doivent être reconnus comme tels et doivent relever de la gratuité (eau, énergie, éducation et autres…).
Il ajoute qu’on ne peut pas diaboliser le marché comme on a tendance à le faire. Il peut y avoir des conceptions du marché différentes de la conception capitaliste.
b. Intervention 6
L’intervenant souligne les différences entre les deux propositions. Il fait remarquer que la proposition de salaire à vie s’inscrit dans un processus historique alors que la proposition de revenu inconditionnel est plutôt a-historique, c’est-à-dire qu’elle refuse les expériences du passé considérant que ces dernières ont échoué.
L’intervenant pense que la proposition de Réseau Salariat, qui s’inscrit dans le processus historique, est plus intéressante car le passé a beaucoup à nous apprendre notamment quant à la question démocratique. Les ordonnances de 1945 et 1946 [du Conseil national de la Résistance] attribuait une place de 75% aux salariés au sein des caisses de la Sécurité Sociale. Dans les années 1960, ont est arrivé à la parité, 50% aux salariés et 50% au patronat. Dans les années 1980-1990, on a arrêté les élections à la Sécurité Sociale et on a étatisé en créant les lois de financement de la Sécurité Sociale. Parfois l’Histoire, comme c’est le cas dans cet exemple, nous montre ce qu’il ne faut pas faire.
Le débat sur la répartition du pouvoir n’est pas neuf ; tout processus révolutionnaire a eu à répondre à cette question. Depuis 1789 en France la question se pose. En nous appuyant sur l’Histoire nous ne revivons pas nos erreurs du passé mais nous les éviterons.
c. Intervention 7 :
L’intervenant souhaite faire remarquer que les propositions du salaire à vie et du revenu inconditionnel se recoupent, au moins au niveau des tâches pénibles. En effet, si chacun fait ce qu’il veut au sein de la théorie du revenu inconditionnel, il faudra toujours s’organiser démocratiquement pour décider de la qualification des tâches ingrates et de leur répartition au sein de la société. Ce qui amène de nouveau la question des institutions qui contrôlent les définitions. Le problème de fond semble plutôt être celui de la répartition du travail.
L’intervenant remarque aussi que nous manquons d’une définition claire de ce que nous pensons être le capitalisme.
En ce qui concerne la maitrise de la production, l’intervenant préconise une planification économique…
7. Conclusion
Mathieu Feldis : Des points d’accord ont émergé de ce débat notamment sur la nécessité de sortir du capitalisme et de l’urgence de la réflexion sur les moyens et les modalités d’une telle sortie.
Thomas Coutrot : Attac 19 est invité à coordonner un groupe de travail sur le thème de la libération du travail.