La décroissance contre l’austérité, séminaire à l’Assemblée Nationale, le 27 septembre

Au cœur de mon engagement pour la décroissance, il y a la discussion (que je ne confonds pas du tout avec le débat). Au sens le plus élargi, la discussion est un partage ; mais c’est déjà bien si elle est un échange. Les modalités de la discussion sont multiples : réfléchir, écouter, écrire… sans oublier (se) rendre compte. Qu’est-ce alors qu’un « compte-rendu » ? Ce n’est pas un verbatim (surtout aujourd’hui à l’époque de la reproduction technique, où il suffit de regarder une vidéo). C’est un lieu où un participant aide un non-participant (qui était peut-être présent dans la salle) à se rendre-compte de ce qui a été dit à partir de ce dont, lui, s’est rendu-compte. La norme d’un compte-rendu n’est pas l’objectivité comme neutralité, mais l’objectivité comme intersubjectivité.

Le vendredi 27 septembre, la MCD était partenaire avec Delphine Batho, Alter Kapitae et l’Institut Momentum dans l’organisation d’un séminaire à l’Assemblée Nationale sur le thème de « la décroissance contre l’austérité ».

La journée était construite autour de 4 moments : une intervention liminaire d’Olivier de Schutter, puis 2 tables rondes (organisées sur le principe animation-interventions) et enfin un moment conclusif.

Passé une semaine, mon sentiment général est mitigé : un verre à moitié-plein est aussi un verre à moitié-vide.

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Sur le fond, les interventions ont toutes été très riches, avec beaucoup de robustesse de la part de tou.te.s les intervenant.e.s. : pas un seul temps faible.

Mais, au final, on ne peut pas dire qu’une thèse générale sur « décroissance et austérité » ait fini par émerger. Je peux me dire qu’il ne faut pas aller plus vite que la musique et qu’il faut donner davantage de temps pour cela. Et peut-être que si les actes du séminaire sont publiées, ce sera l’occasion de le faire, mais à condition que l’on sorte du verbatim – pour cela, les restitutions vidéos suffisent – et que l’on accorde à chacun.e la possibilité de préciser son intervention (à suivre).

Ouverture : la croissance, promesse ou mirage ?

Olivier de Schutter est depuis 2020 rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme et l’extrême pauvreté ; et il vient de publier au printemps 2024 un excellent rapport au titre explicite : « Éliminer la pauvreté en regardant au-delà de la croissance » (Eradicating poverty beyond growth).

Dans son intervention il a eu la prévenance et la pédagogie d’en dégager six principaux messages :

Olivier de Schutter
  1. La croissance reste prise au piège d’une approche compensatoire de la lutte contre la pauvreté : mais ces solutions ex-post, de redistribution, par un État-Providence permettent-elles réellement d’échapper à la croissance comme croissance des inégalités ?
  2. L’obsession du PIB devient contre-productive : parce que les inconvénients l’emportent sur les avantages (Herman Daly), parce que l’économie de la croissance est une économie sans joie1 (Tibor Scitovsky, 19762) et aujourd’hui une économie du burn-out3, parce que les limites de la croissance sont sociales (Fred Hirsh, 19764).
  3. Il faut dénoncer l’illusion d’un découplage entre croissance économique et consommation de matières et d’énergies. Même quand il existe il est faible, temporaire, partiel ; et surtout il met la focale sur les GES, en mettant de côté la biodiversité et les autres pollutions.
  4. Quand la hausse du PIB crée de l’activité, c’est d’abord de l’emploi, c’est-à-dire une activité a) définie par son effet qui est le revenu, b) souvent plus précaire que sensée. Or, les logiques de productivité et de numérisation (robotisation, IA) rendent compatible cette hausse du PIB avec une baisse de la main-d’œuvre en volume.
  5. Mais alors une autre approche est-elle possible, dont l’objectif serait indissolublement la réduction des inégalités et la transformation écologique ? Comment échapper à la gabegie de la consommation des plus riches, à la normativité des modes de vie, à la domination politique induite directement par le pouvoir économique, quels sont les investissements qui tiennent compte de la crise climatique ? Pour Olivier de Schutter, cette autre approche devrait reconsidérer la fiscalité (succession, patrimoines, taxations), le travail (ESS, démocratiser l’entreprise, relier salaire et utilité sociale), et la consommation (publicité, obsolescence programmée).
  6. Oliver de Schutter conclut son intervention en insistant sur le coût de la dette dans les pays les plus pauvres : aujourd’hui, le solde de cette « aide » est négatif car le total des montants alloués au service de la dette (3,2 milliards) est supérieur aux budgets de service public.

Voilà donc une solide synthèse dont l’intérêt principal est de relier de façon cohérente des critiques (objection de croissance) et une vision d’avenir (post-growth).

S’il faut formuler quelques réserves qui sont plutôt des attentes : a) la question du trajet en tant que tel (la décroissance stricto sensu) n’est pas vraiment thématisée ; b) ne faudrait-il pas distinguer plus attentivement entre pauvreté (en tant que décroissant nous la défendons quand elle est choisie et volontaire) et misère (quand le nécessaire manque), et aussi c) entre pauvreté et inégalité (car si la promesse de la croissance est une réduction de la pauvreté – puisque le gâteau va augmenter – elle ne s’occupe pas de la question des inégalités, de la justice sociale (parce qu’il y a une main invisible, et du ruissellement…).

Table ronde 1 : la fabrique de l’austérité

La première table ronde devait être à la fois historique et conceptuelle pour pouvoir dessiner à grands traits « la fabrique de l’austérité » par l’économie de la croissance.

→ Malheureusement, pour la partie historique, Christophe Bonneuil n’a pu être présent. C’est alors Élodie Vieille-Blanchard, qui animait l’atelier, qui a courageusement consacré quelques minutes pour évoquer avec clarté ce que devait être son propos.

  • Pour l’analyse des « trente glorieuses » comme passage d’une économie de stocks à une économie de flux, on peut renvoyer à : BONNEUIL, C (2021). « Comment ne pas voir les limites de la planète. Petite histoire de la mystique de la croissance indéfinie », Politiques de l’Anthropocène. Presses de Sciences Po, pp. 235-254. https://doi.org/10.3917/scpo.sinai.2021.01.0235.v

Intervention de Timothée Parrique : « contraster » décroissance et austérité

Timothée a ensuite heureusement cadré conceptuellement ce qu’il faut entendre par « austérité » en commençant par rappeler que la décroissance comme l’austérité peuvent toutes les deux « apparaître comme des politiques d’autolimitation ». Il y avait dans cette précision un potentiel conceptuel dont la suite du séminaire n’a malheureusement pas assez tenu compte : c’est d’autant plus dommage que c’était là l’entrée la plus directe pour porter une critique décroissante radicale contre l’austérité.

Pour Timothée, on peut définir l’austérité comme une « contraction expansive » – ce  qui revient à suggérer que l’austérité n’est qu’un moment compris dans un processus de croissance, et pas du tout l’arrêt de ce processus – alors que la décroissance est une… « contraction-contraction ».

Ce qu’il a étayé en rappelant que les objectifs de la décroissance ne sont pas de réduire (pour réduire) mais la justice sociale, la responsabilité environnementale et le bien-être.

Si l’on ne veut surtout pas confondre une politique (croissanciste) d’austérité avec la décroissance, alors il faut en dégager clairement :

  • Les conditions : pas de décroissance sans désamorçage de l’imaginaire de la croissance, pas de décroissance sans ralentissement, pas de décroissance sans politiques de protection.
  • Sans négliger ce que pourraient être les effets indésirables de la décroissance : sur les plus défavorisés (« il faut protéger la protection »), quant aux tensions géopolitiques, quant aux réactions des marchés, et sur le chômage.

Il y avait là beaucoup d’éléments pour alimenter une réflexion sur la différence entre la décroissance que nous prônons et la politique française actuelle d’austérité, soi-disant justifiée par un déficit budgétaire (mais qui en réalité est le résultat d’une politique déséquilibrée entre recettes et dépenses) afin de relancer la croissance.

Intervention d’Alma Monserand : la dette publique comme économie politique

Dans l’intervention suivante, Alma Monserand est intervenue sur la question de la dette (car dans le discours actuel, c’est la dette qui est la cause de l’austérité).

  1. Dédramatiser le discours (dominant) sur la dette publique. Pour Alma Monserand, « il est normal et sain qu’il existe une dette publique », autrement dit un déficit publique : pour financer sans attendre ; parce que la dette publique n’est que la contrepartie d’une richesse privée ; parce qu’une dette peut « rouler », c’est-à-dire repousser sans fin le remboursement du principal.
  2. Décrire les sources de ce discours. Dans un premier temps, on peut croire que ce discours est strictement économique et qu’il résulte d’un choix rationnel en faveur du privé plutôt que du public, du Marché plutôt que de l’État, mais en réalité il faut bien y voir une économie politique : c’est pour cela qu’Alma a bien rappelé qu’il s’agissait de rendre le financement de la dette publique dépendant des marchés (d’où une BCD indépendante qui priorise la lutte contre l’inflation à la création d’emplois, d’où l’interdiction d’une solidarité interétatique, d’où la libre circulation des capitaux). Cette économie politique est en effet au service d’une idéologie, au service d’intérêts politiques (qui sont ceux qui préfèrent la dette à l’inflation, sinon ceux qu’elle enrichit ?).
  3. Relier décroissance et protection sociale. Le temps a malheureusement manqué à Alma pour exposer vraiment clairement pourquoi à la différence de la politique actuelle – une politique de l’offre – dans une économie politique décroissante, la dette publique pourrait être profitable aux ménages : malgré une baisse de l’activité économique (et donc une décroissance ?), malgré (ou grâce à) une hausse du montant des cotisations, ce sont les ménages qui profiteraient de la plus grosse part (70%) du financement induit par la dette publique.

Là encore beaucoup d’éléments pour alimenter réflexions et discussions sur le statut politique de la dette dans une économie de décroissance : car il semble bien qu’il y ait dette, et dette, et dette, et dette. La dette roulante des pays développés en croissance n’est pas la même que la dette infâme subie par les pays colonisés par notre extractivisme (énergétique, matériel, financier, humain). D’autant que, quels rapports entre la dette dans une économie en décroissance (donc quand les taux d’intérêts sont par définition durablement supérieurs au taux de croissance) et ce qu’on pourrait appeler la dette anthropologique, cet invariant social qui a toujours archaïquement fait lien ?

Bilan d’étape en fin de matinée de séminaire sur décroissance et austérité

Sur la décroissance. Quitte à me répéter, mais à ne pas traiter comme un cadre analytique impératif la distinction historique et conceptuelle entre objection de croissance, décroissance et post-croissance, on se prive de clarté politique :

  • La question n’est pas de savoir si le terme de « décroissance » plaît ou non. Stricto sensu, quand on parle de décroissance on veut dire deux choses : a) que la décroissance n’est qu’une transition entre le monde actuel et le monde souhaité, conformément à nos valeurs existentielles, politiques et morales ; b) que la décroissance n’existera que tant qu’il faudra s’opposer à la croissance. Autrement dit la décroissance n’est pas un projet (ni de vie, ni de société). Le projet, c’est la post-croissance.
  • Répétons encore et encore que le « dé » de décroissance n’est pas plus « négatif » que le « dé » de décolonisation. Et que tout le monde voit bien que celui qui oserait dire que le terme de « décolonisation » est négatif voudrait en réalité dire que le terme de colonisation a quelque chose de positif. Ah bon quoi ? Idem pour la décroissance !
  • C’est pourquoi quand Timothée Parrique propose des alternatives comme buen vivir, sumak kawsay, ubuntu ou convivialisme, il faut bien préciser qu’il s’agit là de remplacer « post-croissance » et non pas « décroissance ».
  • Si besoin il y a d’un terme général pour chapeauter tout cela, à la MCD nous proposons celui de « contre-croissance ».

Sur l’austérité. Restent des interrogations :

  • Quelle différence entre « rigueur » et « austérité » ? L’enjeu c’est d’accepter que la décroissance puisse être une transition qui soit budgétairement (dépenses – recettes) rigoureuse sans être austère ; et idem pour la post-croissance.
  • Sur la dette : dette signifie emprunt, donc intérêts. a) A qui profite le paiement de la dette, le principal, comme le service? b) Le paiement d’intérêts de la dette n’est soutenable que si et seulement si leurs taux sont < au taux de croissance : mais alors comment on fait quand on décroit ? Ce qui est soutenable en croissance, devient-il infâme en décroissance ?
  • L’austérité est-elle un accident d’une économie politique croissanciste ou bien une respiration cyclique de la croissance économique ?
  • L’extrême pauvreté (la misère) n’est-elle qu’un effet pervers de la croissance ou bien un résultat assumé de l’ordre (taxis) économique dominant ? Dans ce dernier cas, une politique d’austérité n’est pas seulement une respiration, c’est aussi une aubaine pour conforter un système de domination.

Table ronde 2 : Financer les dépenses publiques et organiser le partage dans le respect des limites planétaires

Intervention de Luc Semal : la décroissance comme socialisme de demi-austérité

Luc Semal, qui animait cette table ronde, a commencé à partir d’une exigence politique de sobriété par cadrer ce que Timothée Parrique avait qualifié le matin de « contraction-contraction ». Nous étions dans le thème du séminaire.

Le problème : comment ne pas remarquer la « fermeture des fenêtres de transition » ; autrement dit, plus les économies politiques (les États, les marchés) tardent à organiser le partage des ressources et des efforts, plus le curseur de la transition va s’éloigner d’une « décroissance par anticipation » pour n’affronter qu’une « décroissance en catastrophe ».

Dire qu’il faudrait penser une forme de décroissance en catastrophe, ça ne veut pas dire qu’on n’a plus aucune marge de manœuvre et de décision. Mais ça veut dire qu’il y a des contraintes spécifiques (frontières planétaires, urgence des délais, peu de temps pour l’expérimentation, nécessité d’adaptation au réchauffement déjà amorcé, etc.) qui n’auraient pas été les mêmes si on avait choisi la décroissance dès 1972 (au moment du rapport Meadows).

La piste : politiser les limitations (rationnement, revenu maximum acceptable, sobriété), autrement dit ne surtout pas réduire la sobriété à l’individualisation des « petits gestes » mais prôner un « socialisme de semi-austérité ». A creuser.

Intervention de Farida Belkhir : plaidoyer pour les services publics

Farida Belkhir, du Collectif « Nos services publics », a prononcé un fervent plaidoyer en faveur de politiques publiques qui repartiraient des usagers, et qui réajusteraient l’évolution des moyens avec la courbe des besoins.

A rebours de la politique actuelle – dans laquelle la « divergence » entre besoins et moyens nourrit une spirale vicieuse où la réduction des moyens provoque la baisse des services rendus, baisse sur laquelle s’appuient les politiques libérales pour justifier la baisse des financements –, à rebours donc des conséquences de ces politiques (accroissement des inégalités, désocialisation croissante, dégradation du secteur public qui doit assumer  la part non rentable que le privé lucratif a délaissé, délégation sans contrôle, érosion de la confiance envers les services publics tant chez les usagers que chez les agents, inattractivité salariale, perte de sens…), Farida Belkhir a exhorté à choisir la voie de la sécurisation des moyens de financement – par l’impôt, par l’endettement – plutôt que de continuer à faire porter la responsabilité sur les individus.

Les décroissants ne peuvent que partager ce diagnostic dans la situation actuelle, c’est-à-dire critiquer un état des choses soumis politiquement (le néolibéralisme) à la fois à l’impératif de la croissance économique et à une réduction voulue des moyens dédiés aux services publics. Mais dans ce cas, nous ne sommes pas en décroissance mais seulement dans un monde de croissance sans croissance. Mais qu’en serait-il dans un monde post-croissance ; et comment y aller, comment décroître ? Les questions restent posées…

Intervention de Mathilde Viennot : le partage plutôt que l’endettement

Dans l’intervention suivante, Mathilde Viennot, cheffe de projet à France Stratégie, spécialiste des enjeux sociaux de la transition écologique, va beaucoup plus faire attention à tenter de se situer dans le cadre sinon d’une décroissance stricto sensu mais au moins d’une absence de croissance ; ce qui pourrait rendre ses analyses plus adaptées soit à la situation actuelle (économie de croissance mais croissance atone) soit à la post-croissance.

Pour cela elle va s’appuyer sur le rapport publié en mai 2022, « Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique »5. Elle va s’y appuyer, mais sans le reprendre complètement.

En effet, quand on lit le rapport, on y voit un double diagnostic, un objectif, et deux « voies principales » :

  • 1) Un monde de la croissance économique avec une croissance essoufflée : « l’alliance entre croissance économique et progrès social semble aujourd’hui avoir atteint ses limites. La croissance a structurellement ralenti dans le monde occidental. » 2) Mais essoufflée ou pas, ce monde de la croissance a abouti à un monde en « triple crise, écologique, sociale et démocratique ». « L’humanité est confrontée à une série de défis interdépendants qui peuvent être analysés comme autant de « conflits de soutenabilités ». »
  • « Comment rénover la fabrique de l’action publique pour faire face à ces défis croisés ? » « Comment sortir de ce qui apparaît de plus en plus clairement comme une impasse ? »
  • Les deux voies principales – croissance verte et sobriété – de la recherche d’un progrès au contenu plus respectueux des écosystèmes et des personnes sont sans doute à explorer de concert et à articuler. »

Dans son intervention, Mathilde Viennot ne va pas reprendre la voie de la croissance verte (même si le rapport ne fait l’impasse ni sur l’impossible découplage, ni sur les risques de rebonds provoqués par « l’innovation verte »). Elle ne va pas se contenter de constater la perte de croissance, elle voit bien que la décroissance va être un ralentissement, autrement dit qu’il va falloir sortir d’un paradigme dans lequel le financement du modèle social résultait du partage des surplus. Autrement dit, ce qu’il faut partager, ce sont des pertes !

Il va donc y avoir un choix politique à assumer : entre la baisse de la couverture sociale, le renvoi au marché privé et la socialisation et la mutualisation (des risques sociaux et climatiques). Pour Mathilde Viennot, c’est la voie du partage (plutôt que celle de l’endettement).

Pour reprendre une distinction du matin, il faudrait alors se demander de quel partage il peut s’agir ? D’un partage ex post par la fiscalité : il y a de la richesse et il y a même des riches et le financement se fait en aval de la distribution par une politique de redistribution compensatoire (on prend aux riches). Ou bien d’un partage de la richesse ex ante, ce qui suppose un tout autre modèle social, précisément celui de la post-croissance6.

Intervention de Mathilde Szuba : le rationnement comme politique publique

L’intervention de Mathilde Szuba a inscrit explicitement la proposition du rationnement et des quotas dans le cadre du partage ex ante.

Même si son plaidoyer peut s’appuyer sur des exemples historiques de rationnement (en temps de guerre, lors des chocs pétroliers), elle ne cache pas qu’il n’existe pas d’expérience de sobriété à grande échelle : parce que la décroissance, on n’a jamais essayé ! Alors que nous pouvons déjà affirmer que l’organisation du partage, à partir du monde actuel de la croissance, sera « quelque chose d’hyper-conflictuel », avec des gagnants et des perdants.

D’où l’intérêt de s’appuyer comme elle l’a fait sur l’enquête « Empreinte carbone » (ADEME, juillet 2023) qui a étudié « les variables influant sur le niveau d’empreinte carbone individuelle »7.

En voici les premiers résultats qui « indiquent que l’empreinte varie peu entre régions administratives mais sensiblement en fonction du revenu, tout en indiquant les principaux secteurs d’émission carbone :

  1. Homogénéité régionale : l’empreinte carbone semble assez uniforme au sein des différentes régions administratives de France, avec quelques variations expliquées principalement par les conditions de logement. A l’intérieur d’une région en revanche, l’empreinte carbone peut varier plus nettement selon les conditions de vie et les lieux.
  2. Influence majeure du revenu : les personnes à revenu plus élevé ont une empreinte carbone supérieure, surtout dans les derniers déciles de revenu. Ainsi, pour les revenus mensuels inférieurs à 750 €, l’empreinte individuelle adulte serait de 7 tonnes par an et pour les revenus supérieurs à 6 500 €, elle serait de 12 tonnes.
  3. Leviers de décarbonation : les principaux postes de consommation contribuant à l’empreinte carbone sont les transports (25%), l’alimentation (23%), le logement (18%) et les services sociétaux (18%). C’est notamment presque exclusivement sur le transport que les revenus les plus élevés creusent l’écart en matière d’empreinte carbone, ce domaine représentant jusqu’à 39% du total des émissions des personnes dont le revenu du foyer est supérieur ou égal à 6 500€. Pour autant, les transports est le domaine d’action pour lequel les répondants ont le sentiment d’agir le plus aujourd’hui. »

C’est donc comme politique d’abord fléchée contre les hauts revenus (voilà les « perdants ») qu’il faut penser la solution du rationnement. Et si cette politique doit être ex ante, il ne va pas suffire de le faire au nom de la convivialité – qui une condition indispensable pour s’assurer de la volonté individuelle mais qui ne peut pas être collectivement suffisante – alors il va falloir penser le rationnement comme « intervention de politique publique », comme quota. C’est dans cette voie que Mathilde Szuba a conclu son intervention en suggérant que pour notre 21ème siècle, la voie du rationnement devrait passer par un « budget carbone annuel » : autrement dit une politique d’autolimitation personnelle dans laquelle un cadre public n’empêche pas les arbitrages individuels.

Intervention de Jézabel Couppey-Soubeyran : la voie de la « monnaie-subvention »

Dans la dernière intervention, Jézabel Couppey-Soubeyran va creuser la question du financement en en faisant celle de la monnaie.

Disons d’emblée qu’il est heureux t’entendre cette proposition car elle nous éloigne des fariboles – régulièrement entendues chez certains décroissants – d’un monde sans argent. La monnaie n’est pas seulement un outil facilitateur des échanges8, c’est une institution9, un système.

« La monnaie fait société », et réciproquement car il n’y a pas plus de projet de société sans projet de monnaie que de monnaie sans vision de société10. « Pas de bifurcation sociale sans bifurcation monétaire ». C’est pourquoi l’intervention de Jézabel Couppey-Soubeyran a commencé par un survol historique pour montrer que chaque changement de société (tribale, agraire, féodale, capitaliste) s’est accompagné d’un changement monétaire.

Et voilà comment la question monétaire devient une question politique : quelle monnaie pour quel projet de société ?

Pour répondre à ces questions, Jézabel Couppey-Soubeyran doit résoudre deux problèmes décisifs pour la décroissance. Le premier est général, économique : comment financer le long terme, ce qui n’a pas de rentabilité immédiate, l’investissement social et écologique (désartificialisation des sols, dépollution des eaux, collecte des déchets océaniques, création de réserves de biodiversité, rétablissement de petites lignes de chemin de fer, aides aux ménages pour accéder à la transition) ? Le second est plus politique quand il s’agit de refuser les solutions classiques du financement public : la dette et la fiscalité. Car ces deux « solutions » supposent ce avec quoi la décroissance veut précisément rompre : la dette suppose des créanciers qui s’enrichissent du remboursement des emprunts ; l’augmentation de l’impôt suppose de continuer à faire croître l’économie au détriment des limites planétaires.

« Techniquement, rien n’empêcherait la banque centrale d’émettre de la monnaie légale sans dette ni achat de titres, simplement en l’inscrivant sur le compte d’une société financière publique.

Celle-ci la mettrait en circulation non pas en la prêtant mais en l’allouant sous forme de subventions (c’est-à-dire sans contrepartie financière, mais sous condition de réalisations d’objectifs de développement durable) à des projets d’investissements sélectionnés en fonction de leur impact sur l’environnement ou le tissu social et de leur profil de (non-) rentabilité financière. Et ce quel que soit le statut du porteur de projet (entreprise de l’économie sociale et solidaire, PME, associations, ménages, office HLM, collectivités locales, hôpitaux, universités, etc.) »11.

Cette voie d’une « monnaie volontaire » ou « monnaie-subvention » a le grand intérêt de replacer la question de la monnaie au cœur d’une économie qui voudrait sortir de la croissance. Elle ouvre au moins deux grands champs d’interrogations. Le premier est celui de son confinement, sinon de sa contention : car si au départ cette monnaie volontaire est fléchée par l’objet de la subvention, elle ne l’est plus ensuite ; et la monnaie « verte » redevient une monnaie « grise », autrement dit la masse monétaire augmente (croissance, inflation). Comment contenir cette augmentation si ce n’est par le recours à des prélèvements, autrement dit par la fiscalité (« micro-taxes » sur les rejets polluants et les prélèvements de ressources minérales, sur les stocks monétaires et les transactions financières) ? Mais alors cette solution n’est ex ante qu’en apparence, car au final c’est bien la fiscalité ex post qui va éviter un excès de monnaie disponible. Le second : cette solution suppose une rupture politique et dans ce cas est-elle valable et souhaitable en temps de décroissance et/ou en post-croissance ? Et dans ces deux cas quel type de banque centrale pour quel type de monnaie publique ?

Bilan d’étape en milieu d’après-midi

Que retenir formellement de cette table ronde très élargie ? Car sur le fond, les notions qui y ont été abordées sont décisives : sobriété, services publics, partage, rationnement, quota, monnaie, dette, fiscalité…

Mais il n’a pas toujours été facile de savoir à quel type de temporalité ce qui était discuté renvoyait. Y a-t-il des politiques publiques qui pourraient d’ores et déjà, ici et maintenant, sans attendre, être mises en place et qui pourraient ensuite se maintenir et pendant le trajet de décroissance et pendant le projet de post-croissance : les fameuses « préfigurations » (celles qui au bout de l’essaimage ou de l’agglutination finiraient sous la pression de la « masse critique » par provoquer la « bifurcation » et/ou le « basculement ») ? Sinon, quelles politiques publiques ciblées pour quelle étape précise : en particulier, quand la décroissance est comprise comme un « mot-échafaudage » on peut parfaitement accepter que dans une transition il y ait des politiques transitoires, mais alors lesquelles ?

C’est pourquoi tant qu’une rencontre autour de la décroissance s’interdira de cadrer historiquement et conceptuellement ce dont il s’agit alors il ne faudra pas s’étonner si le terme de décroissance en reste à n’être qu’un mot-agrégat dans lequel, faute d’un commun conceptuel et définitionnel pour discuter et controverser, on n’y trouvera finalement qu’une juxtaposition d’analyses dont l’élan commun est manqué, et au mieux remis à plus tard.

Tentative de synthèse finale

Nous avions prévu de conclure cette journée de séminaire par une tentative de synthèse sur décroissance et austérité. Ça aura été le moment le plus frustrant de la journée. Pourquoi ?

Parce que l’idée première – moment-bilan puis moment-perspective – n’a pas été suivie. Car pour cela il aurait fallu que nous, Vincent Liegey, Delphine Batho, Agnès Sinaï, Gabriel Malek et moi, nous retrouvions en situation a) de tenter, fût-ce en mode survol, de présenter ce que nous avions retenu de cette journée ; b) d’échanger entre nous, fût-ce pour repérer des points de discussion et de controverse.

Ce qui n’a pas été le cas. Au lieu de cela, faute d’auto-organisation, il n’y eût qu’une juxtaposition d’interventions pour lesquelles il est judicieux de se demander en quoi elles tenaient toutes explicitement compte des riches contenus fournis tout au long de la journée.

Car après tout, c’était bien la fonction de ce dernier moment que de tenter une vue d’ensemble sur décroissance et austérité.

  • Il est toujours bon de ne pas réserver la décroissance à un cénacle et donc d’être capable d’en faire une présentation audible pour inciter des critiques de la croissance à franchir le pas de la décroissance (le trajet) et de la post-croissance (le projet). Autrement dit, il est bon que la décroissance ait une « vitrine » la mieux achalandée possible. Mais a) attention à ne pas se raconter que nous avons en magasin l’offre la plus alléchante, et qu’en réalité la décroissance serait le paradigme le plus désiré sur le marché de l’avenir. Quand, même dans un séminaire explicitement consacré à la décroissance, le terme est écarté, critiqué voire tout simplement omis, on doit pouvoir en déduire que « ce n’est pas gagné ». b) Attention aussi à ne pas montrer en vitrine que les plus beaux fruits, en mettant sous le tapis que la décroissance est plus aujourd’hui un corpus de « problèmes » que de « solutions ». Autrement dit, une « vitrine » n’a de sens politique que si elle est ouverte sur la « cuisine » : pour que chacun.e puisse y voir que le pessimisme de l’intelligence n’est absolument pas politiquement démobilisateur. c) Enfin, pourquoi ne pas faire de la modeste visibilité de la décroissance dans le débat public une aubaine pour pousser le plus loin possible la radicalité de la critique, c’est-à-dire pour remonter le plus en amont possible dans la critique des causes ?
  • Il est heureux que la décroissance ait aujourd’hui en France un mouvement politique qui en fasse son drapeau. Surtout quand le terme de décroissance n’y est pas esquivé et qu’il signifie des réductions de la production et de la consommation, et que ces réductions ne constituent pas un but en soi mais bien une première étape. Mais si on ne veut pas tomber dans les apories des éléates qui, à force de chercher l’étape qui devait précéder l’étape précédente, finissaient pas en déduire que le mouvement n’existe pas et que la vraie réalité est Immobile alors il faut effectivement se lancer dans un « programme de première étape qui soit crédible ». C’est pourquoi à la MCD, qui n’est pas un parti politique mais juste un mouvement de théories et de critiques, nous réfléchissons, non pas à un programme, mais à ce qui pourrait en être le « cadre » idéologique. C’est dans ce but qu’aujourd’hui nous défendons la notion de « matrice » et que pour le moment nous en avons repéré au moins trois : l’autolimitation (plancher-plafond), la part et le lieu.
  • Il est toujours intéressant de rappeler l’historique intellectuel de la décroissance, de Georgescu-Roegen à la revue Entropia mais un recul historique n’a de sens politique que s’il est mis en perspective d’une espérance. Certes, il est essentiel de rappeler que nous vivons aujourd’hui dans le momentum du Délai mais, politiquement, surtout à l’issue d’une journée consacrée au thème de l’austérité et de la décroissance, pendant laquelle Timothée Parrique avait rappelé qu’il fallait les « contraster », et que Luc Semal n’avait pas rabattu toute la décroissance par anticipation sur la décroissance en catastrophe, il faut se demander quelle place il faut accorder à la volonté : parce que nous avons en effet à penser des filets de sécurité qui soient décolonisés de l’imaginaire de la croissance. Car il n’y a pas de sens politique sans optimisme de la volonté. En ce sens, difficile de penser que cet optimisme pourrait trouver place dans un Destin, à moins, façon stoïcienne, de faire de la volonté le simple patient de la fatalité.
  • Il est essentiel quand on veut communiquer de ne pas oublier les destinataires et donc de savoir clairement à qui tel ou tel message, avec tel ou tel code, dans tel ou tel contexte est adressé. Mais pour autant, attention à ne pas oublier la leçon de Mac Luhan quand il nous mettait en garde parce que, dans la communication, le medium prend le pas sur le message. C’est d’autant plus frustrant que l’antonyme de l’austérité est la « prospérité » : et qu’il eût donc été particulièrement intéressant de montrer en quoi une rigueur budgétaire n’est pas synonyme d’austérité mais est parfaitement compatible avec une décroissance prospère.
  • Intervenant le dernier lors de cette « synthèse », je me suis contenté d’ouvrir quatre pistes. 1) Se rappeler que la première politique d’austérité fut celle du Chancelier Heinrich Brüning (République de Weimar, 1930) et qu’elle ouvrit la voie à la victoire du nazisme (et que c’était aussi une victoire du « grand capital »). Et qu’aujourd’hui en France, la cure d’austérité sous surveillance de l’extrême-droite nous place effectivement dans un « état d’urgence » politique (Delphine Batho). 2) Comprendre que dans une économie politique de croissance, l’austérité n’est pas un moment de crise mais tout au contraire de respiration (la « contraction expansive » rappelée par Timothée Parrique) ; et même une aubaine pour des politiques néolibérales qui y voit une bonne opportunité de pousser un cran plus loin des programmes de privatisation, de marchandisation, de compétitivité, de « libéralisation »… Cela correspond à ce qu’Onofrio Romano nomme une politique de « précarisation mobilisatrice », politique qui consiste à orienter les mobilisations individuelles uniquement vers la part servile de nos activités, aux dépens donc de la part souveraine qui ne peut être que commune. 3) S’apercevoir que le terme de décroissance s’est quand même beaucoup enrichi, et même rempli, par rapport à sa première occurrence (qui au fond ne résultait que d’une contingence de traduction pour éviter de traduire decline par « déclin »). Que l’on est loin du « mot-obus » quand on en fait un « mot-échafaudage » ! Car alors on peut prendre au sérieux et le préfixe et le radical : et faire de la décroissance une opposition à la croissance, une opposition politique ; et surtout porter l’interrogation sur cette « croissance » à laquelle on s’oppose. Car si dans un premier temps, elle semblait n’indiquer qu’une orientation économique, depuis Serge Latouche, on sait qu’elle est aussi une « colonisation de nos imaginaires ». Aujourd’hui, la MCD rejoint d’autres penseurs méditerranéens de la décroissance pour en faire aussi un « régime » politique. 4) Voir donc dans l’austérité une économie au service d’une politique. Or la politique n’a jamais eu qu’un seul but : la puissance (ou le pouvoir). On le sait depuis Machiavel mais c’est Hobbes qui a le mieux montré que si on définit anthropologiquement l’homme par le « désir de désirer sans cesse » alors il faut mettre « au premier rang » le désir de pouvoir. La clef du pouvoir est la division : le fameux « diviser pour régner ». Par conséquent, quand on voit dans une politique d’austérité une bonne occasion pour l’oligarchie (suivant l’expression répétée de Vincent Liegey) d’augmenter son pouvoir, alors elle ne va pouvoir s’effectuer qu’en divisant encore et encore. Et où une telle division va-t-elle trouver son terminus ad quem ? Comme toute division, elle ne peut trouver un cran d’arrêt que quand on ne peut plus diviser, quand on a atteint l’indivisible, l’atome : l’in-dividu. On comprend alors le sens politique de l’austérité en économie de croissance : accroître l’individualisation, et donc l’atomisation ou la désintégration, de la vie sociale. Le « régime de croissance » consiste précisément dans l’institution imaginaire de l’individu. Voilà pourquoi une économie politique de la décroissance doit à la fois s’opposer aux politiques d’austérité et d’individualisation / privatisation.

Au bilan

Quelles leçons tant formelles que de fond peut-on tirer de cette « frustration » ?

  • Tant sur le fond que sur la forme, c’est le rapport à la pluralité au sein même d’une mouvance qui reste trop souvent impensé. Car une mouvance c’est à la fois une diversité et une unité ; mais si l’un des deux manque, alors la mouvance se caricature en multitude ou en unitude. Il y a multitude quand il y a ce que le sociologue Bernard Lahire nomme de « la diversité désordonnée ». Il y a « unitude » (le mot est de Francine Bavay) quand l’unité prétend résulter du seul appel à l’unité pour l’unité. Pour renvoyer dos à dos ces deux simplifications, il faut comprendre qu’il ne peut pas y avoir de variations sans invariant. « Que sont des variations sans invariants ? » ; « les variations ont-elles un sens indépendamment des invariants à partir desquels elles se déploient ? » se demandent Bernard Lahire. Au sein d’une mouvance, cela devient : quelle pluralité sans commun à partir duquel les différences peuvent se déployer et faire richesse ? Ce « commun » ne peut se réduire ni à un slogan (le « mot-obus ») ni à un programme, parce que ce commun est idéologique ; parce qu’il renvoie à une « conception », à une vision systémique et de la critique et des objectifs. A la MCD, nous défendons cette idée que l’on ne peut pas mettre la charrue de la popularité avant les bœufs de la théorie critique. Sinon, la décroissance va finir par se caricaturer elle-même soit en bulle noire (en réduisant la stratégie décroissante en scénario effondriste), soit en bulle rose (en réduisant la décroissance en une version ChatGPT compatible). Mais une bulle, ça enferme avant d’éclater.
  • Sur la forme. Est-ce que tou.te.s les intervenant.e.s étaient des « décroissant.e.s stricto sensu » ? Il est évident que non mais que a) tou.te.s partageaient une critique de l’économie politique telle qu’elle prétend aujourd’hui justifier une cure d’austérité et que b) la plupart étaient des critiques de la croissance. Mais faut-il que dans une rencontre décroissante, tous les intervenants soient des décroissants pur jus ? Évidemment non ; mais à une condition : que la mise en perspective soit décroissante : sinon ce n’est tout simplement pas une rencontre… décroissante. Voilà pourquoi il est frustrant que cette remise en perspective n’ait pas été effectivement tentée par tou.te.s les participant.e.s du dernier moment du séminaire. Autrement dit, d’accord pour ne pas rester dans l’entre-soi et pour « s’ouvrir », mais pas d’accord pour ne pas en profiter pour mettre en perspective cette ouverture.
  • Sur le fond. En définissant la décroissance comme opposition politique à la croissance, la MCD se trouve dans l’obligation idéologique d’étendre le domaine de la « croissance » : qui n’est pas qu’une « boussole », qui n’est pas qu’un « monde » et un « imaginaire » mais qui est aussi un « régime ». Et ce régime politique peut facilement être identifié comme le libéralisme (redéfini comme « institution imaginaire de l’individu »).
    • Il faut d’ailleurs remarquer que la critique du libéralisme était parmi les intervenant.e.s peut-être plus partagée que celle de la croissance.
    • Et c’est là qu’il reste un nœud à trancher ; car qu’est-ce que la croissance, au sens le plus large possible, sinon une promesse adressée à l’individu ; celle de lui garantir le maximum de moyens au service de ses fins privées, afin que chacun se croit libre de fabriquer sa vie comme il l’entend. Il faut lire et relire le prologue du Vocabulaire pour une nouvelle ère. « Trouver seul le sens de sa vie est une chimère ».
    • C’est là qu’il ne faut cesser de se répéter la formule ironique de Bossuet (et déformée) à propos de Dieu qui se rit de ces gens qui maudissent les effets dont ils chérissent les causes. Mais, certes, nous ne sommes pas des dieux…
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Les notes et références
  1. DAVOINE Lucie. L’économie du bonheur Quel intérêt pour les politiques publiques ? Revue économique, 2009/4 Vol. 60, p.905-926. DOI : 10.3917/reco.604.0905. URL : https://shs.cairn.info/revue-economique-2009-4-page-905?lang=fr.[]
  2. https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1980_num_31_2_408530_t1_0378_0000_001[]
  3. Rapport publié en juillet 2024 : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/210/40/pdf/n2421040.pdf[]
  4. https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/182-les-limites-sociales-de-la-croissance.html[]
  5. https://www.strategie.gouv.fr/publications/soutenabilites-orchestrer-planifier-laction-publique[]
  6. Ajoutons qu’il existe aussi deux façons de penser ce partage ex ante : est-ce la rareté ou bien l’abondance qu’il faut partager ? A la MCD, nous défendons la seconde : parce que nous ne défendons pas le partage à reculons, à cause de la rareté. Nous renversons la perspective : plutôt que de faire de la rareté la condition du partage, il est plus juste de faire du partage la condition de l’abondance. Mais qu’on le pense par l’aval ou par l’amont, ce partage doit s’articuler avec une reconsidération des limites et une réhabitation démocratique des lieux. C’est pourquoi, « à la MCD », nous essayons de penser ensemble les notions d’autolimitation (plancher-plafond), de part et de lieu ; notre façon de tenir ensemble des objectifs écologiques, sociaux et démocratiques.[]
  7. https://presse.ademe.fr/2023/09/repartition-de-lempreinte-carbone-des-francais.html[]
  8. Comme le répète « la fable du troc ».[]
  9. Sur cette question j’attends avec impatience la publication par Jean-Michel Servet de son prochain « Institution monétaire de l’Humanité ».[]
  10. Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, Le pouvoir de la monnaie, Transformons la monnaie pour transformer la société (2024), Les Liens qui libèrent.[]
  11. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/28/jezabel-couppey-soubeyran-emettons-de-la-monnaie-sans-dette-pour-financer-les-investissements-non-rentables-de-la-transition-ecologique_6196988_3232.html[]

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