Pourquoi à l’époque du présentisme hégémonique, la question de la vérité devient-elle celle de la « post-vérité » et des « faits alternatifs » ? Au point qu’il faille imaginer que la question si politique de la liberté ne devienne à son tour celle de la post-liberté ?
Ces questions se posent aujourd’hui à l’occasion de la pandémie et des différentes politiques mises en place dans le monde : confinement, couvre-feu, vaccination obligatoire ou non, précipitée ou retardée… Politiques où l’alignement des maladresses en vient à mériter les mauvaises critiques qui leur sont adressées.
Mais ces questions se posent aussi pour les partisans de la décroissance, surtout si celle-ci est bien repérée comme « transition démocratique pour repasser sous les plafonds de la soutenabilité écologique » : a/ non seulement parce que la décroissance – par son rejet du monde de la croissance – est d’abord une attitude de mise en doute et de scepticisme à l’encontre de ce qui est présenté comme l’évidence de la croissance, b/ mais aussi parce que la décroissance – en tant que projet d’une société désirable – doit à son tour assumer de porter une certaine « vérité », au nom d’une certaine « liberté ».
Sauf que : cette vérité ne sera pas celle véhiculée par le complexe industrialo-techno-scientifique ; sauf que cette liberté ne sera pas celle défendue par le « bloc élitaire » (on disait « bourgeois », à une autre époque). Nous ne voulons ni d’une vérité confondue avec l’utilité ni d’une liberté réduite à l’indépendance individuelle.
Nous devons donc critiquer la vérité et la liberté, mais sans sacrifier ni la vérité, ni la liberté.
Et voilà la difficulté politique, à l’époque du présent tyrannique et du despotisme de l’instant. C’est que la possibilité même d’une alternative au monde qui nous est imposé, peut finir par saper cette possibilité. Car s’il y a un plancher en-deçà duquel l’absence de contradiction peut faire croire, à tort, que la vérité est indiscutable, il y a aussi un plafond au-delà duquel la critique permanente empêche la possibilité même d’une commun-ication et d’un partage (de la vérité comme de la liberté).
En effet, le présentisme est cette époque où le potentiel apocalyptique de la technoscience (Hans Jonas) transforme l’avenir en un horizon plus chargé d’incertitudes que de certitudes (à rebours des espoirs que la Science avait pu porter au temps des Lumières). L’Anthropocène est cette ère où la puissance des causes est totalement dépassée par l’impuissance des effets provoqués.
Mais comment dans le pur présent peut-il y avoir de vérité qui tienne, qui se maintienne, dans le maintenant ? C’est le philosophe Hegel qui demandait de relire le soir le mot écrit le matin : « maintenant, il fait jour ».
Et pourtant même au temps du présentisme, il doit bien y avoir quelque vérité, à moins d’accepter sans effroi un monde où chacun serait sa propre source de vérité. Mais quand le « à chacun son opinion » devient le « à chacun sa vérité », alors arrive le temps de la post-vérité, et c’est le Commun qui s’effondre.
En ce temps, peut-il y avoir encore quelque alternative ? Question « essentielle » pour la décroissance…