Le cours du monde, la course du monde

Il y a cette réplique prononcée par Alain Delon dans Le Guépard de Luchino Visconti : « ’si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change’’. Souvent répétée sous la forme : ‘’il faut que tout change pour que rien ne change’’. Et il n’est pas facile de l’interpréter.

Dans le film, elle s’adresse à l’aristocratie et elle signifie : si vous voulez conserver vos privilèges, soyez un acteur de la course du monde.

Mais en même temps, comment ne pas reconnaître qu’elle pourrait parfaitement formuler l’intention politique de la décroissance ?

  • Il y a plus de 15 ans était publié Comment ne plus être progressiste… sans devenir réactionnaire de Jean-Paul Besset.
  • Et voilà une question qu’un décroissant doit se poser : comment être conservateur sans devenir réactionnaire ?
  • Le conservateur est celui qui refuse que ce qui existe soit sans cesse balayé par le nouveau. Non, le monde ne doit pas être soumis à l’impératif marchand des soldes selon lequel « tout doit disparaître ».
  • Le réactionnaire est celui qui veut figer le temps passé, les idées du passé, les réalités du passé. Non, le décroissant ne veut ni retourner dans les cavernes, ni retrouver la vie des chasseurs-cueilleurs.

Le décroissant est d’autant moins réactionnaire qu’il veut changer le monde : en particulier, il veut abolir les privilèges. Et ce sens c’est un conservateur révolutionnaire.

Tout décroissant devrait à ce moment-là se remémorer les phrases de Günther Anders.  » Il y a la célèbre formule de Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, ce qui importe, c’est de le transformer.» Mais maintenant elle est dépassée. Aujourd’hui, il ne suffit plus de transformer le monde; avant tout, il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. »

Le réplique du Guépard peut donc recevoir deux interprétations opposées et les deux posent un défi sinon un paradoxe : pour l’une la meilleure façon de perpétuer le cours du monde est d’en faire une course ; pour l’autre, cette interprétation constitue une perversion de ce que devrait être le cours du monde.

Si la post-croissance désigne la période où, après l’époque de la décroissance, le monde trouvera la stabilité et le repos d’une « économie stationnaire », alors cette période ne désignera en rien un état figé de la vie sociale : bien au contraire.

Le cours du monde n’est pas condamné à se laisser pervertir et à se perdre en course du monde.

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