Quel avenir construit-on ensemble ici ?

Interview écrite de Michel Lepesant pour le journal municipal de Dieulefit (Hiver 2021-2022).

Michel Lepesant, philosophe, partisan et artisan de la décroissance, était à Dieulefit le 18 septembre 2021.

Dans le cadre de la Fête des Possibles, il animait la conférence- débat « Quel avenir construit-on ensemble ici ? », à laquelle une centaine de personnes ont participé. Nous avons souhaité l’interviewer pour le journal municipal afin de faire connaître ses réflexions aux Dieulefitois qui n’auraient pas pu assister à sa conférence.

Quels sont les ingrédients d’un avenir désirable ?

Si on veut que l’avenir soit rempli avec des possibles, alors au lieu de tenter un impossible inventaire des ingrédients, il vaudrait mieux ne pas se tromper de « désir » et préférer ce qui attire plutôt que ce qui repousse, et donc être plutôt dans une attitude de projet que de rejet, dans le pour et le vers plutôt que dans le contre et l’anti.

En même temps, l’idéologie de la croissance, du toujours plus, a tellement envahi nos imaginaires au point de coloniser même ce qui ne devrait jamais être quantifié, mesuré : le bien-être, le sens, et même le bonheur… Contre une telle emprise, ne va-t-il pas falloir en passer par une période de sevrage, mais sera-ce désirable ?

Que veut dire la décroissance pour les gens qui la vivent déjà (difficultés quotidiennes, factures qui s’envolent, tenue du budget) ?

Dans ces cas-là il ne faut pas parler de décroissance mais faire la distinction entre ce qui est subi, et qui renvoie à la souffrance, au mépris, à la domination et ce qui est choisi et qui relève de l’émancipation. En réalité, il ne pourra y avoir de décroissance que si elle est démocratiquement, collectivement, acceptée. Au mieux aujourd’hui il y a des oasis d’émancipation, des confettis d’autonomie mais cela ne constitue pas du tout un Commun, au mieux un « archipel » mais pas un continent. Si c’est de démocratie dont on a besoin, il n’est pas sûr que ce soit en la bricolant chacun dans son coin qu’on fasse reculer son oubli.

On est une commune rurale de 3000 habitants, qu’avons-nous à faire, concrètement, maintenant ?

La taille humaine de Dieulefit est un atout considérable parce qu’elle facilite et renforce toutes les interdépendances qui doivent exister entre le niveau individuel et le niveau collectif. C’est plus difficile de trouver du sens dans les métropoles.  Ce sens ne devrait-il pas toujours consister à renforcer ce qu’on pourrait appeler l’ossature politique de nos engagements, à savoir de viser à retrouver tout ce qui fait du Commun. Ce n’est pas de faire ceci qui vaudrait mieux que de faire cela, c’est que tous ces faire acceptent de se réinscrire dans une démarche politique de réappropriation de l’essentiel, qui est pour nous les êtres humains de vivre socialement. Donc concrètement, politiser tous les faire.

Des exemples d’action collective inspirants pour notre territoire ?

Il existe beaucoup de façons « alternatives » de « faire » : dans la production, dans la consommation, dans la culture, dans l’éducation, dans la santé, dans l’habitation… Elles sont nécessaires parce qu’elles nous renforcent individuellement et collectivement. Mais l’essentiel ce sont leurs interdépendances. L’essentiel est donc dans le discuter ensemble. De ce point de vue, le plus inspirant se trouve dans tous ces lieux dont l’objet principal est l’expression commune, type café associatif, forum citoyen… Là on doit prendre le temps de repérer les difficultés et de les problématiser, de définir les mots échangés, on doit controverser.

Je ne crois pas qu’on puisse accompagner de façon permanente la baisse intellectuelle du niveau d’expression publique et de réflexion collective et se plaindre en même temps du succès grandissant des simplismes politiques.

Dieulefit (Drôme)

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