De la capacité individualiste à récupérer la critique contre l’individualisme

J’ai assisté hier à la présentation par l’auteure – Aude Vidal – du court essai Egologie, écologie, individualisme et course au bonheur, aux éditions grenobloise Le monde à l’envers. Le propos est alléchant quand on lit la 4ème de couverture : « Développement personnel, habitats groupés, jardins partagés… : face au désastre capitaliste, l’écologie se présente comme une réponse globale et positive, un changement de rapport au monde appuyé par des gestes au quotidien. Comme dans la fable du colibri, « chacun fait sa part ». Mais en considérant la société comme un agrégat d’individus, et le changement social comme une somme de gestes individuels, cette vision de l’écologie ne succombe-t-elle pas à la logique libérale dominante, signant le triomphe de l’individualisme ? »

Il est en effet salutaire de rappeler que le capitalisme dispose d’un incroyable pouvoir de récupération – de résilience – de tout ce qui tente de le critiquer, sinon de le dépasser.

Il est encore plus salutaire d’oser enfin écrire noir sur blanc tout ce qu’une « écologie intérieure » porte de potentiel de dépolitisation. Aude Vidal montre très bien comment ce qu’elle appelle les « alternatives écolo » – ce que les décroissants appellent les « alternatives concrètes »  – reposent si souvent sur l’individualisme du développement personnel, du do it yourself, du bien-être, de la relocalisation fermée dans l’entre-soi des bobos aisés en capital socio-culturel (plutôt qu’en capital socio-économique).

Fort bien, tout cela est plutôt pertinent et bien venu. Mais le plus étonnant n’a pas été la présentation de son livre mais la discussion qui s’en est suivie : échange entre l’auteur et les présents qui ne semble pas avoir réussi à échapper à ce qu’il faut bien nommer comme une « récupération individualiste de la critique de l’individualisme ».

Car si la plupart des interventions remerciaient l’auteure de son appel à la « vigilance » c’était contradictoirement en déclinant à tour de rôle presque tous les poncifs de l’individualisme : appel au libre-arbitre comme valeur essentielle de la personne, brouillard libéral-libertaire, relativisme du « à chacun son point de vue ».

Tout aussi surprenant, l’incapacité d’Aude Vidal – en tout cas ce soir-là – à ne pas s’en laisser compter et à oser retrouver de vivante voix toute la vigueur dont elle fait preuve à l’écrit ; même la lecture de la dernière phrase de son essai est quasiment passée comme une lettre à la poste, chacun finalement faisant comme si celui qu’il fallait critiquer c’était toujours « l’autre », mais jamais soi. « Le bonheur de pourceaux élevés en plein-air et au grain bio, tout occupé.e.s de leur épanouissement personnel pendant que, plus loin, la guerre fait rage, voilà l’autre image des joyeuses « alternatives » ».

Il faut donc se demander ce qui dans l’argumentation d’Aude Vidal s’émousse si facilement devant cette souplesse « colibri » à finalement bien digérer une critique de l’individualisme.

  • Sa critique n’est pas assez fondée idéologiquement : il ne faut pas dire qu’elle réduit l’individualisme à sa dimension psychologique néanmoins elle n’a pas creusé assez profond pour tirer toutes les conséquences sociales et politiques de son refus pourtant affiché de définir la société comme un « agrégat d’individus ».
  • Car c’est bien la fable de la société comme somme des individus qui fonde depuis quelques siècles toutes les autres fables du libéralisme concernant en particulier l’argent, le travail et la propriété.
  • Fables dont la réussite ne se mesure jamais aussi bien que quand on constate qu’elles peuvent être reprises par toute une tradition qui se présente pourtant comme « anticapitaliste » : pensons par exemple à la place que le « travail » conserve encore aujourd’hui dans la mythologie de la gauche de la gauche…

Ces limites dans la radicalité se perçoivent plus particulièrement quand Aude Vidal suggère que la dépolitisation qui menace les écologistes se verrait particulièrement dans leurs refus du négatif et de la violence des luttes. Comment en ce moment ne pas penser à NDDL quand la « victoire » de l’abandon d’un nouvel aéroport va se payer au prix fort de l’extension de l’actuel aéroport : comme s’il semblait impossible à beaucoup de prétendus insoumis qui luttait « contre l’aéroport et son monde » de s’apercevoir que l’aéroport actuel appartient déjà au même monde que l’aéroport avorté de NDDL.

Je ne dis rien de sa critique contre le « revenu garanti » car là, de toutes évidences, ses informations étaient obsolètes et approximatives.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.