Le souhaitable et l’inéluctable – 2

Je poursuis – enfin – ma réflexion entamée l’an dernier sur le rôle du volontarisme dans la (décroissance) comme philosophie politique : http://decroissances.ouvaton.org/2015/01/03/lineluctable-et-le-souhaitable-1/.

La question est alors de savoir comment cette troisième source (concrète et politique) de la décroissance peut poser et affronter la question du double écueil du volontarisme (politique) et du déterminisme (écologique).

2-    Plaidoyer pour la révolution (la révolution comme objectif des partisans de la décroissance)

Je vais faire l’hypothèse qu’une des raisons de la dépolitisation des décroissants  provient de leur abandon d’un objectif révolutionnaire : de ce point de vue, la théorisation/mystification de la décroissance ne fait qu’entériner cet abandon et lui fournit a posteriori une légitimation.

2.1- Blessures et cicatrices de l’idéal révolutionnaire

Quant à la possibilité politique d’une révolution, les décroissants, comme tout une partie de la gauche et bien entendu la totalité de la droite, interprètent la « révolution » à partir du devenir de la Révolution Française en Terreur.

  • Quand Hannah Arendt en vient à comparer la révolution française avec la révolution américaine, elle en conclut que si la révolution américaine a su éviter le piège de la Terreur c’est parce qu’elle s’est focalisée sur la question politique de la liberté sans y adjoindre la question sociale – celle de l’égalité et de la satisfaction des besoins. « Toute tentative pour résoudre la question sociale par des voies politiques mènent à la terreur » (De la révolution, page 423).
  • Comme C. Castoriadius l’a montré, cette thèse arendtienne est doublement critiquable : 1/ d’abord elle laisse entendre une disjonction entre question sociale et question politique que la décroissance comme économie politique d’une autre organisation sociale a précisément pour objectif d’invalider ; 2/ ensuite, les situations pré-révolutionnaires françaises et américaines ne sont pas du tout équivalentes : c’est à une rupture avec l’Ancien Régime que s’attaque la Révolution française alors que les animateurs de la révolution américaine sont peu ou prou des défenseurs de la propriété agraire.

Il ne semble donc pas que la critique arendtienne soit assez forte pour dégoûter de la révolution (d’autant que dans d’autres textes, H. Arendt fait de la politique le lieu même du « miracle » ← or, la révolution n’est-elle pas de l’ordre du « miracle » ?).

2.2- Le retour de l’argument de la nécessité et son effet rebond

Je prétends ici que la mise en avant de l’hypothèse de la catastrophe risque de favoriser le retrait de la voie révolutionnaire : le recul de la thèse volontariste (celle de la révolution) coïnciderait avec le retour de la thèse déterministe (dans sa version écologique : celle de la catastrophe). Sauf que cette hypothèse de la catastrophe partage avec son déni la même tentation de la dépolitisation. C’est ainsi que le débat entre anti et pro de la catastrophe repose de toutes façons sur l’abandon (partagé) de la voie révolutionnaire.

  • La formulation la plus radicale de la thèse ne devrait-elle pas être : l’hypothèse de la catastrophe a pour objectif politique de se décharger du fardeau politique de la responsabilité ?
  • Certes, le « déni » de l’hypothèse de la catastrophe a pour objectif « en soi » le business as usual. Mais « pour soi », il n’est pas vécu aussi cyniquement ; il est juste vécu comme une décharge individuelle de la responsabilité. G. Anders évoque ainsi une « indifférence à l’apocalypse », doublement : tant du point de vue de la compréhension (la catastrophe dépasserait le plafond de notre compréhension → sur le modèle du subliminaire qui reste sous le plancher de la compréhension, Anders qualifie la catastrophe de « phénomène supraliminaire ») que du point de vue de la volonté (précisément !) : « face à l’idée de l’apocalypse, notre âme déclare forfait ».
  • Yves Cochet (en particulier dans sa postface au livre de Servigne et Stevens, Comment tout peut s’effondrer) en rajoute dans la non-responsabilité individuelle du déni de la catastrophe. Le déni de l’effondrement ne serait pas dans la tête de chacun mais résulterait d’un effet de système (la « spécularité ») : chacun se représente la manière dont les autres se représentent le monde. La conséquence est directe : comme chacun attend que ce soit d’abord l’autre qui dénonce la catastrophe, alors les bonnes décisions collectives ne seront jamais prises, rendant ainsi inévitable la catastrophe.
  • Ce qu’il faut se demander c’est : pourquoi les « catastrophistes » ont-ils à ce point besoin d’ajouter à leurs « constats » l’hypothèse du déni de la catastrophe ? Un tel ajout n’est-il pas, en réalité, un aveu du manque d’enjeu politique de leur dénonciation ? Car ainsi, la dépolitisation ne proviendrait pas de leur variante catastrophiste de l’argument de la nécessité mais, tout à l’inverse, de son déni. A la page 250 du livre de Servigne et Stevens, on peut même lire avec beaucoup de perplexité cette définition :  » Etre catastrophiste, pour nous, c’est simplement éviter une posture de déni et prendre acte des catastrophes qui sont en train d’avoir lieu. »
  • Comment ne pas être tant déçu par les derniers chapitres du livre de Servigne et Stevens, si faibles politiquement ?

Mais attention, adressons-nous le même type de reproche  que celui que nous sommes en train d’adresser aux partisans du catastrophisme : que la faiblesse du déni de notre hypothèse ne fournit que des arguments négatifs en notre faveur. Il s’agit maintenant de prendre parti non pas tant contre la catastrophe que pour la révolution.

Tout cela suppose que nous fassions nôtre la définition de la révolution par Castoriadis : l’auto-transformation (politique) de la société en un temps bref.

3-    Les conditions de contingence de la révolution (fonder la révolution)

De notre confrontation avec l’hypothèse de la catastrophe, tirons une première leçon : pas question de refuser que la catastrophe soit inévitable si c’est pour affirmer aussitôt que la révolution, elle, serait, inévitable.

Voici ma thèse : la révolution est contingente = elle pourrait ne pas être. Il ne s’agit alors plus de la rendre possible, il s’agit juste de ne pas la rendre impossible ; ou : de ne pas rendre son échec nécessaire.

Si nous ne pouvons ni vouloir ni subir la révolution, comment alors renverser tous les murs pour que rien n’empêche son imprévisible surgissement ?

  • Il faut l’avouer : aujourd’hui, parce que nous refusons la position du prophète, nous ne savons pas ce qu’il serait suffisant de faire pour provoquer une révolution. Tout ce que nous faisons, nous devons alors le faire d’un point de vue minoritaire, juste parce que nous sommes certains que si nous ne le faisons pas alors la révolution ne pourra ni surgir ni réussir. C’est ainsi que nous devons accepter de placer les 3 pieds de la décroissance en « mode » minoritaire.
  • Aussi bien dans les alternatives concrètes, dans nos interventions dans l’espace public de la visibilité politique que dans nos explorations conceptuelles, nous ne devons pas nous bercer de l’illusion que nous le faisons parce que, un jour, nos thèses seront majoritaires;
  • Mais alors pourquoi le faisons-nous ? 1/ D’une part pour que dans de futurs débats notre critique radicale de la croissance soit en tant que telle entendue et discutée. 2/ D’autre part – et en particulier de nos eSpérimentations alternatives – nous pouvons tirer des leçons de ce qu’il ne faut surtout pas faire si nous voulons radicalement rompre avec le système que nous critiquons.
  • Reconnaissons aussi qu’une telle démarche est psychologiquement difficile à assumer, pour maintenir intact une motivation mobilisatrice. Parce qu’il faut assumer 3 renversements théoriques/idéologiques :  1/ Ne pas placer l’écologie au coeur de la politique mais placer la politique au coeur de l’écologie. 2/ Redéfinir l’autonomie démocratique non plus à partir d’une humanisme autocentré mais à partir de la responsabilité et de la considération que nous accordons aux « non-humains » (animaux, végétaux, biodiversité..) et en ce qui concerne les humains aux « absents » (les générations futures mais aussi les générations précédentes). 3/ aborder la question sociale non pas à partir de l’individu comme ayant-droit mais à partir d’un « espace des communs » dont l’existence préexiste à l’existence individuelle.
  • Une telle démarche devra alors en tirer toutes les conséquences en matière d’économie politique pour se demander comment rompre réellement et radicalement avec la marchandisation généralisée de la vie sociale. Comment sortir radicalement du productivisme et échapper à l’argent, à la propriété privée et à la centralité du travail ? Comment démarchandiser la monnaie, les communs et les activités socialement utiles ?

 

Bon courage…

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