Le temps n’est-il pas venu, après celui de « la décroissance générale », temps indispensable pour les audaces de la « décolonisation de l’imaginaire » et du « mot-obus », de passer au temps des « mesures de la décroissance » : proposer sans attendre des mesures de transition, pas de quoi faire un programme 1 mais quand même de quoi décrire des conditions réalistes pour, au fur et à mesure et dans la mesure de ce qu’il est possible de Faire, commencer par la décroissance. Si la décroissance n’est pas un but, c’est tout simplement parce qu’elle n’est qu’un commencement.
Décroissance, n.f . : transition d’une société de croissance à une société d’a-croissance, celle dans laquelle l’objection de croissance sera devenue le paradigme dominant, dans laquelle l’humanité retrouverait la capacité porteuse de son écosystème naturel, transition vers une société socialement juste, écologiquement responsable, humainement décente, politiquement démocratique. A condition que cette « transition » soit « volontaire », elle est la « décroissance » 2.
Quelles pourraient être de telles « mesures de la décroissance » ?
- La réduction du temps de travail : la semaine de 4 jours, 3 jours puis 2 jours…
- Un revenu maximum autorisé.
- Une retraite unique inconditionnelle à partir de 60 ans, 55 ans… d’un montant permettant une vie décente.
- La sortie la plus rapide possible des nucléaires, civil et militaire.
- Des régies territoriales de l’énergie, de l’eau, du logement, de la santé et du foncier pour protéger/établir les gratuités.
Toutes ces mesures sont proposées en tant que contre-pouvoir/alertes, pour rappeler sans délai et sans cesse qu’il faut arrêter de composer avec l’inacceptable :
- « A la louche », la quantité totale de travail aujourd’hui nous assure une empreinte écologique de plus de 3 planètes alors qu’il faudrait redescendre vers 1 seule planète. Même en tenant compte de la « prospective de l’emploi par secteurs » inventoriée par Jean Gadrey 3, la réduction du temps de travail hebdomadaire par 2 ne semble pas irréaliste 4…
- La première des décroissances est la réduction des inégalités : c’est la condition première, nécessaire mais insuffisante, pour rendre possibles, soutenables et surtout désirables d’autres mondes. Si l’on ne veut pas réserver la simplicité volontaire à quelques-uns, il faut que, politiquement, la décroissance sache reposer la « question sociale » et la relier sans hésiter à la « question écologique » : si productivisme et consumérisme sont les « 2 farces du capitalisme » alors la décroissance ne peut espérer faire passer le moindre appel à la sobriété, au « bien-vivre », tant que les inégalités sociales fourniront directement le contexte social et économique de situations dans lesquelles sont préférés et favorisés l’envie, la rivalité, l’individualisme, l’affrontement, le chacun-pour-soi, le laisser-faire, le mépris plutôt que la bienveillance, la coopération, la solidarité, la discussion, le partage, la démocratie générale, la décence…
- Aller jusqu’au bout de la logique de ce que pourrait/devrait être une retraite par répartition : la retraite unique pour ne pas reproduire les inégalités des classes sociales et du salariat 5. Car, même en acceptant que des travaux différents puissent expliquer des écarts de salaires, on ne voit pas du tout comment pourrait être justifié la prolongation de ces écarts, quand on passe du travail au non-travail. Une telle proposition constitue le premier pas pour une revendication en faveur d’un revenu inconditionnel d’existence (RIE), revendication qui s’articule facilement avec la précédente dans le cadre de ce que les Amis de Terre nomment « espace écologique », défini par un plancher et un plafond au-delà et en deçà desquels un mode de vie est « insoutenable » 6.
- Encore plus particulièrement en France à cause de la part du nucléaire dans la production d’électricité (près de 80%) et de l’arsenal nucléaire militaire (environ 350 têtes nucléaires), la sortie des nucléaires 7 doit faire partie des premières revendications/mesures de la décroissance. Tant par le volet militaire que par le volet civil, le nucléaire impose à nos sociétés et à la nature le « monde du nucléaire ». Il n’est pas question de nier qu’une telle sortie serait – à elle toute seule – une véritable rupture et qu’en tant que telle elle aurait une portée « rêvolutionnaire » : mais précisément, quelle meilleure occasion pour redonner à un projet politique toute sa dimension démocratique et sociale ?
- Il y a dans le « mot-chantier » qu’est la gratuité de quoi assurer un socle à une véritable et exigeante démocratie sociale : 1/ le « coût de la gratuité » permettrait de reposer/repenser les questions des « communs » et de l’intérêt général : quelle souveraineté, quel territoire, quelle démocratie ; 2/ seraient combattus ensemble le totem de la propriété et le tabou de la gratuité 8 : la « question sociale » se trouverait ainsi déplacée de la question de l’appropriation à celle de l’usage 9 ; 3/ la gratuité du bon usage et le renchérissement du mésusage borneraient l’espace écologique pour retrouver la maîtrise des usages ; 4/ plutôt qu’un RIE, une dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA) ne serait-elle pas plus facile à mettre en œuvre, constituée d’une part de gratuités 10 et versée partie en monnaie locale complémentaire 11 ?
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Les notes et références
- Projet et programme : http://confluences.ma-ra.org/?p=482[↩]
- La décroissance est « un mot de transition qui bannit de son vocabulaire l’adverbe « toujours » », La décroissance en 10 questions, p.141, Paris, 2010.[↩]
- Adieu à la croissance, II, chapitre 4, Paris, 2010.[↩]
- Pour qu’une telle RTT ne reproduise pas les erreurs de la gauche, penser à relire André Gorz, par exemple : la réduction de la durée du travail¸chapitre 9 de Capitalisme, Socialisme, Ecologie, Paris, 1991.[↩]
- Une proposition du Mouvement des Objecteurs de Croissance (le MOC) : http://altergauche26.free.fr/MOC/tract-retraites_0.pdf[↩]
- http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/positionsocietessoutenables.pdf[↩]
- Sortie toute relative parce que même après la fin de la production d’électricité par le nucléaire, une société dénucléarisée doit encore, pour des générations, s’occuper des pollutions et des déchets.[↩]
- Paul Ariès, La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance, p.288, Paris, 2010.[↩]
- « Les biens communs… sont des institutions humaines. Ils sont fondés sur une propriété qui permet l’usage au lieu de l’appropriation », Geneviève Azam, Le temps du monde fini, p.175, Paris, 2010.[↩]
- DIA et RI : http://confluences.ma-ra.org/?p=78[↩]
- Mesurer les réussites, réussir la Mesure : http://monnaie-locale-romans.org/?p=770[↩]