D’où vient la dynamique altermondialiste ? Et où va-t-elle ?

A propos des Clés de lecture de L’altermondialisme, de François Polet. (CETRI, Bruxelles, 2008) Travail réalisé dans le cadre du projet « Mémoire » du Forum social européen.

Peut-on s’orienter dans la galaxie altermondialiste ? Oui, pense François Polet, « en privilégiant une entrée particulière – la manière dont les différentes forces perçoivent le phénomène de la mondialisation économique » et les propositions qui en découlent.

Bien sûr, la grille qui constitue toute sa première partie : « pluralité des démarches altermondialistes », peut apparaître un peu schématique, « idéal-typique » mais il reconnaît lui-même que « la réalité est plus flottante, moins tranchée » (p.43).

L’altermondialisme est un « mouvement de mouvements » : mosaïque, foisonnement de mouvements (développement, travail, droits sociaux, condition féminine, écologie, tiers-mondisme) qui se retrouvent dans un combat commun, une convergence inédite (chapitre I.) dont les 3 ressorts sont :

  • La défense des « perdants » de la mondialisation néolibérale par ceux qui sont plutôt des « membres par conscience » du mouvement que des « membres bénéficiaires » : d’où la nécessité pour l’altermondialisme de réussir son « élargissement social ».
  • Un nouveau cadre d’action politique unifié de fait par le refus commun du néolibéralisme qui rend le mouvement altermondialiste « attractif » pour toute une série de causes marginalisées et en mal de reconnaissance (il faut « en être »).
  • L’importance accordée aux modalités innovantes de prise de décision : « réseau », « organisation ouverte », « consensus », etc.

Les droits comme socle commun (chapitre II.)
Une majorité d’organisations altermondialistes accorde une priorité à la « thématique des droits au sens large » (p.13) : « à l’évidence imposée que la seule manière acceptable pour organiser une société c’est la régulation par le marché, nous pouvons opposer la proposition d’organiser les sociétés à partir de l’accès pour tous aux droits fondamentaux » (Gustave Messiah).

  • D’un côté cette thématique constitue un socle commun à des organisations ayant des références et des traditions différentes, voire contradictoires : sans avoir besoin d’une théorie commune de la dignité ou sans disposer d’un « grand Récit », ce socle est suffisant pour orienter la recherche d’objectifs concrets communs : non seulement ajouter aux droits civils et politiques les droits économiques, sociaux, culturels (alimentation, santé, logement…) et les droits des peuples mais aussi étendre la notion de droits à d’autres aspects de la vie collective indispensable à la dignité humaine (droits environnementaux, droits sexuels, droit à la paix…).
  • D’un autre côté, ce socle commun n’interdit pas à une partie plus radicale de n’y voir qu’un leurre et une abstraction juridique « bourgeoise ».

Il n’empêche qu’il ne faut pas surévaluer ces tendances centripètes. Certes, il peut y avoir concurrence des visions alternatives (chapitre III.), due à la pluralité thématique et aussi à la pluralité idéologique (chrétiens de gauche, marxistes, tiers-mondistes, écologistes, libertaires, etc.), « il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de questions peuvent être considérées comme transversales » : débat sur le niveau pertinent d’action (mondial, régional, local, individuel), question du rôle de la société civile, comment enfin conjuguer le renforcement des droits universels négligés par les pouvoirs économiques et le nécessaire respect de la diversité des déclinaisons culturelles de l’accès à ces droits (p.19).

Néanmoins d’où peuvent venir les divergences sur les alternatives à opposer à la mondialisation néolibérale ? Dans « les interprétations divergentes de la mondialisation économique ». Clivage entre les « réformistes » qui s’opposent seulement au recul du politique face à l’économie et les « anticapitalistes » qui ne peuvent concevoir un autre monde possible à l’intérieur de la société capitaliste. Clivage aussi entre « modérés » et « radicaux » : faut-il modérer ou rejeter les institutions de la mondialisation néolibérale ?

Mais le clivage essentiel porte sur ce que l’on entend par autre mondialisation (chapitre IV.) : plus ou moins de mondialisation ?

  • Plus de mondialisation_1 : remplacer la mondialisation néolibérale par la mondialisation politique. Voyant dans la mondialisation au sens strict un processus séculaire, « il s’agit d’élaborer les principes et les mécanismes d’une mondialisation autre ».
  • Nouvelle architecture institutionnelle internationale posant les bases d’une démocratie mondiale : de la réforme des institutions existantes, de la subordination des institutions financières (G8, OMC, FMI, BM) aux organismes onusiens orientés vers le développement et le respect des droits à la création de nouvelles institutions internationales (à l’exemple du Parlement mondial de l’eau).
  • A partir de la notion de « biens publics mondiaux », fonder une citoyenneté mondiale entendue comme l’accès de la population mondiale à des biens (eau, air, climat, connaissances, etc.) relevant d’un patrimoine commun de l’humanité.
  • Mise en place d’une fiscalité internationale.
  • Développement durable, économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé.
  • Plus de mondialisation_2 : réorganisation équitable du commerce mondial (Oxfam International) qui dénonce moins le libre-échange en tant que tel que son intrumentalisation dans les discours des pays du Nord pour forcer l’ouverture des marchés du Sud.
  • Moins de mondialisation_1 : souverainisme de gauche (B. Cassen). La mondialisation actuelle, qui dissout les souverainetés nationales au sein d’entités non responsables devant les peuples, doit céder la place à un internationalisme exprimant une solidarité politique entre des Etats constitués en entités indépendantes. Les Nations unies fournissentle cadre pour une coopération entre ces Etats.
  • Moins de mondialisation_2 : le tiers-mondisme. En poursuivant le mouvement historique de la décolonisation, il s’agit (« déglobalisation » chez Walden Bello ou « déconnexion » chez Samir Amin) de réorienter les économies de la production pour l’exportation à celle destinée aux marchés locaux.
  • Moins de mondialisation_3 : par la relocalisation de l’économie. Non seulement au nom d’une préoccupation démocratique : relocaliser le contrôle démocratique puisque l’économie locale est la base de la subsistance. Mais aussi au nom d’une préoccupation écologique : refuser l’utilisation intensive des ressources naturelles et des modes de vie au profit de leur reproduction durable. Proposer une alternative écologique à la mondialisation néolibérale (« Earth democracy » de Vandana Shiva). Oser imaginer un « après-développement » (François Partant).

Retenons de cette première partie que malgré des divergences « le besoin de créer un autre rapport de force à l’échelle mondiale a jusqu’à présent permis des alliances autrefois impossibles à concevoir, certaines positions critiques radicales reconnaissant que le court terme passe par les réformes, à condition de ne pas s’y arrêter » (François Houtard, cité p. 23).

La seconde partie, consacrée aux « nouveaux dilemmes de l’altermondialisme » vise à « décoder les tiraillements qui travaillent le mouvement altermondialiste face aux mutations en cours du processus de mondialisation.

  • Devant le discrédit de l’architecture institutionnelle néolibérale et la crise du « consensus de Wahington », nul ne peut plus contester des infléchissements dans la mondialisation (chapitre VI.). Mais cette reconfiguration est ambivalente :
  • D’un côté, le grippage des mécanismes multilatéraux de régulation imposés par les pays riches ouvre un « nouveau champ des possibles en termes de stratégie de développement et de projets d’intégration durables (p.51).
  • D’un autre côté, la nouvelle situation fait la part belle aux relations bilatérales directes entre nations dans lesquels les rapports de force jouent à plein en faveur des pays les plus riches.
  • Lutte contre la pauvreté : mieux que rien ou plus du même ? (chapitre VII.) Après la disparition des PAS (politique d’ajustement structurel) et l’adoption en 2000 des 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD), le mouvement altermondialiste se trouve devant 2 positions relativement divergentes :
  • Appuyer les OMD sur un mode critique par la société civile : Coalition « 2005, plus d’excuses ».
  • Critiquer radicalement les desseins géostratégiques qui sous-tendent les OMD au lieu de presser les gouvernements à tenir leurs promesses.
  • Le déclin de l’OMC, et après ? (chapitre VIII.) Quel sort réserver à l’OMC et plus généralement quelle réponse à la question de la régulation du commerce international.
  • Réformer l’OMC, certes de fond en comble, mais la remettre en place pour s’opposer au nom du multilatéralisme à la multiplication des accords bilatéraux de libre-échange ; accords bilatéraux qui sont fatalement plus déséquilibrés que les accords multilatéraux.
  • Ne pas se leurrer : « la réforme est une stratégie viable lorsquele système en question est fondamentalement équitable mais a simplement été corrompu » précise Walden Bello (cité p..59). Plutôt que d’essayer de sauver l’OMC qui est systématiquement inéquitable, il vaut mieux contribuer à l’avènement d’un monde réellement multipolaire en renforçant les institutions internationales plus démocratiques que sont la CNUCED, l’OIT, etc., et en appuyant le développement des dynamiques Sud-Sud.
  • Le nouveau dynamisme Sud-Sud et les paradoxes de l’option régionaliste (chapitre IX.). Comment interpréter le développement d’espace régionaux qui comportent tantôt une dimension purement commerciale (réduction des tarifs douaniers) tantôt des mécanismes politiques de coopération (Mercosur, Asean, SADC, SAARC) ?
  • Le régionalisme Sud-Sud (l’une des 6 priorités de la CE pour axer son aide au développement) n’est-il pas en fait instrumentalisé par les pays industrialisés comme l’antichambre de la mondialisation ?
  • Les pays les plus pauvres n’ont-ils pas des raisons d’assimiler les stratégies des pays continents (Brésil, Inde, Chine) à une forme de « sous-impérialisme », destinées avant tout à installer leurs propres multinationales sur des marchés régionaux « protégés » ?
  • Un nouveau modèle de développement en gestation ? (chapitre X.) A partir de la notion de « marge de manœuvre nationale » (policy space), les projets ouvertement patriotiques du Venezuela (Chavez), de la Bolivie (Morales) et de l’Equateur (Correa) participent incontestablement d’un mouvement général de reconquête de souveraineté en matière de développement et marquent un recul relatif de la logique des marchés au bénéfice du politique. Cependant, ne peut-on exprimer trois réserves d’un point de vue altermondialiste ?
  • La question de la gouvernance globale : les Etats du Sud doivent-ils s’en émanciper ou au contraire s’y impliquer pour la réformer en profondeur ? Les organisations féministes, écologistes et syndicales bataillent plutôt pour qu’un certain nombre de normes internationales s’imposent aux Etats du Nord comme du Sud.
  • La question démocratique : remarquons simplement qu’une bonne part de la société civile du Sud qui est opposée aux conditionnalités économiques pour l’aide au développement est favorable à une conditionnalité démocratique réelle.
  • La question écologique : la poursuite d’un monde multipolaire sur les plans économique et politique peut-elle se faire au détriment de la responsabilité environnementale ?

Quel avenir pour cette fragile coexistence de sensibilités altermondialistes ? Selon l’auteur, ce qui est certain, c’est qu’une volonté d’amener l’ensemble du « mouvement » à un agenda politique clairement défini déboucherait sur la fin de la dynamique actuelle.
Faut-il alors envisager déjà le « post-altermondialisme » ?

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