Retour d’Utopia (août 2008)

Une semaine avant les journées de l’écologie radicale à Miremont, pendant que d’autres étaient à Sainte-Croix chez les Alternatifs rouge&vert, je suis allé à l’Université d’été du Mouvement Utopia, à Vaison-la-romaine.

Utopia se présente donc comme « socialiste, altermondialiste et écologique » ; qu’en penser ?


Sur leur pratique démocratique et leur « méthodologie » :

  • A la différence de ce qui peut se passer chez beaucoup d’altermondialistes « démocratiquement-basistes » et d’écologistes « plus-décroissants-que-moi-tu-meurs », une structure à peu près « pyramidale » n’empêche absolument pas que la parole fonctionne très librement, et que l’écoute soit attentive. C’est une leçon à retenir : le débat démocratique est plus affaire de pratique que de procédure strictement respectée. Et au fond, la « pratique » l’emporte sur la « structure ». Pour le dire encore plus clairement : leurs débats ne m’ont jamais semblé menacés par « la méta-parole ».
  • Certes, ce sont toujours un peu les mêmes qui animent le débat (comme souvent, les « timides » ne se plaignent que rien ne soit organisé pour qu’ils prennent la parole qu’en dehors des débats, bref, trop tard) ; et beaucoup trop d’interventions se font sur le ton de la « leçon » et du « savoir » plutôt que sur celui de l’interrogation. Mais cela est conforme à une certaine « révérence » utopienne pour l’« expert », j’y reviendrai.

Sur le fond : 

  • D’une façon générale, on a le sentiment que les débats sont moins courageux que les textes (documentation très complète fournie en amont des « ateliers » qu’ils soient « in » ou « off ») : ce qui est assez inhabituel par rapport à une sorte de tradition à gauche pour le jusqu’au-boutisme des débats. Mais cette « maturité » a peut-être un prix idéologique à payer : les « utopiens » semblent se satisfaire très vite, trop vite, de constater l’audace idéologique dont ils font preuve par rapport aux positions du grand parti de gouvernement dont beaucoup sont membres.
  • Car on ne peut pas comprendre grand chose de leur positionnement idéologique si on fait l’impasse de l’appartenance de beaucoup au PS. D’un côté, c’est très positif, et cela donne un « sens de la communauté » « utopienne » très fort et partagé : sont largement dépassées des interrogations sur l’identité « utopienne » et c’est tant mieux car la question suivante – celle de la mise en pratique de cette identité – est toujours au centre des discussions : bref, c’est très constructif. Mais d’un autre côté, l’adhésion de beaucoup au PS peut être un facteur d’« oubli » de leur identité. Très concrètement, le débat sur la question des alliances pour déposer une motion pour le prochain congrès du PS à Reims a semblé plus dominé par des calculs stratégiques internes que par les considérations idéologiques de leur refus de la « centralité de la valeur-travail » (point 3) ou de leur défense d’un « revenu universel d’existence » (point 8).
  • Du coup, on ne peut s’empêcher de faire l’hypothèse que c’est dans ces questions de positionnement stratégique au sein du PS que se trouve l’une des raisons que beaucoup de leurs propositions sont comme « en chemin » : d’un côté, et c’est très positif, c’est l’audace de se démarquer du grand frère qui les fait se placer à la marge du parti socialiste ; mais d’un autre côté, ravis ou effrayés de cette audace, ils ne vont pas au bout de leurs « déconstructions ».

Donnons-en quelques exemples :

  • Le dimanche matin était occupé par 3 ateliers sur : les retraites, la taxe carbone et la laïcité. Je n’ai pu m’empêcher d’y retrouver avec satisfaction le fil rouge de la justice sociale (retraites), le fil vert de la responsabilité écologique (taxe carbone) et le fil arc-en-ciel de la dignité (laïcité). J’ai assisté à ce troisième atelier : le moins que l’on puisse dire, c’est que beaucoup trop d’interventions manquaient de nuances (on a même eu droit au « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ») : confusions entre « nation » et « république », distinction difficilement arrachée entre « communauté » et « communautarisme », beaucoup trop d’amalgames. Sur la question (de départ) du financement des lieux de cultes : grandes déclarations de principe « plus laïque que moi, tu meurs » au nom d’une « république une et indivisible » qui pendant l’atelier ont trop longtemps oublié que (a) la « république », c’est la res publica, que cette « chose publique » n’a jamais signifié la mise sous le boisseau des « choses privées », et que la laïcité, c’est précisément une séparation de la chose publique et de la chose privée ; (b) le débat sur la laïcité a tout à perdre à se cantonner dans une opposition « républicain/libéral » (c’est le terrain de Sarkosy) et tout à gagner à s’installer dans le débat « républicain/socialiste » : car alors peut être posée, au nom de l’égalité et de la justice, la question des conditions matérielles et concrètes de l’exercice de la liberté de culte ; question dont une bonne réponse ne peut jamais être l’égalitarisme abstrait qui semble incapable de tenir compte des différences entre la France d’aujourd’hui et une mythique France éternelle (qui daterait d’ailleurs de la 3° république). Toutes ces considérations devraient être intégrées dans la réflexion « utopienne » sur la laïcité : on éviterait ainsi l’argument jeu-de-mots selon lequel il ne peut pas exister d’intégrisme laïcard : car des « laïcards dogmatiques » il y en avait dans la salle, en particulier quand on entend le pseudo-contre-argument « Le Pen » en réponse à une interrogation sur la tolérance pour ceux qui ont une spiritualité différente de la majorité ; une belle preuve (intégriste ! sans aucun doute) de la confusion entre religieux et politique !
  • Partie des débats du lundi matin était consacrée à savoir si Utopia devait devenir la 821° association à adhérer au réseau Sortir du nucléaire. Là aussi, la position d’Utopia est « en chemin » : ne permettant pas de distinguer vraiment clairement entre « décider de sortir immédiatement du nucléaire » et « décider immédiatement de sortir du nucléaire ». A la suite d’un débat sans réel enjeu, décision a été prise de ne pas adhérer au réseau. D’un côté, leurs communiqués récents enjoignent le PS à « se prononcer pour la sortie du nucléaire » mais d’un autre côté comment comprendre que la salle admette sans broncher que la demande 2.1 de la charte de « sortir du nucléaire » : « arrêt des projets d’enfouissements de déchets radioactifs » soit interprétée comme une demande de « laisser les déchets à l’air libre » ? Est-il intellectuellement honnête de donner à entendre que pour les membres du réseau, ni l’art ni la culture ne pourraient faire partie de ce qui est « utile à la survie de l’espèce humaine » ? Quand Jacques évoque l’impossibilité pour l’O.M.S. de publier certains rapports sans autorisation préalable de l’A.I.E.A., l’argument ne suffit-il pas pour prouver les lacunes démocratiques du choix pro-nucléaire ? Enfin, une demi-heure d’échanges sans jamais évoquer la question de l’E.P.R.
  • Le samedi soir était prévu un film sur « croissance-décroissance » afin de « dépasser le dilemme croissance/décroissance ». Mais la « décroissance » – surtout pour les décroissants – est loin d’être le contraire de la « croissance » et c’est enfoncer une porte ouverte par les seuls productivistes que de confondre « décroissance » et « régression ».
  • Sur d’autres thèmes abordés pendant cette université d’été – Guy Debord, la double face de la monnaie, les retraites – nous avons souvent eu ce sentiment qu’Utopia constatait trop facilement que sa réflexion était en construction (et en démarcation par rapport au PS) pour justifier en réalité qu’elle s’arrêtait trop vite en chemin. Derniers exemples : proposition est faite par l’atelier-retraite d’une « retraite égalitaire » ; mais comment l’articuler avec cette autre proposition fondamentale d’Utopia d’un revenu universel d’existence ? L’intérêt de Guy Debord ne doit-il être réduit qu’à ce qu’il aurait pu écrire sur le travail ? La « société du spectacle » n’est-elle pas au cœur des interrogations utopiennes des « aliénations » ? La rhétorique debordienne (pour laquelle c’est « le vrai qui devient un moment du faux ») ne permet-elle pas d’échapper vraiment à la dialectique marxiste (pour laquelle c’est « le faux qui est un moment du vrai » – ce qui a toujours permis de justifier la pire violence) ?

Pour construire :

Sur ce chemin de réflexion qu’Utopia explore avec beaucoup de démocratie et de volontarisme politique, il me semble qu’Utopia gagnerait : 

  • A se doter des outils informatiques pour construire collaborativement leurs textes (par exemple les C.R. des « ateliers ») : un WikUtopia serait particulièrement le bienvenu sur leur site. C’est un outil facile à mettre en place, très participatif et avec tout un système de « permissions » qui garantit le sérieux des discussions (sur le modèle du wiki des alter ekolo ).
  • Enfin, tout au long de ces 2 journées, impasse m’a semblé trop souvent faite sur les rapports entre politique et science, entre pouvoir et savoir. Certes, il est non seulement exagéré mais faux de traiter tous les scientifiques de « bouffons » mais cela ne devrait jamais dispenser d’un sain scepticisme dirigé contre les tentations dogmatiques (= « scientistes ») d’un grand nombre de scientifiques. Certes, il n’y a aucune raison à accorder une prime de légitimité à l’incompétence mais de là à sans cesse en référer aux « experts » et à leurs « expertises », c’est passer à côté de ce que la science – depuis sa naissance grecque – partage avec la démocratie (et avec la philosophie !) : non pas la recherche de la vérité mais un « esprit critique ». Ainsi, pendant l’atelier-laïcité, c’est très bien d’en appeler aux risques que fait peser sur notre conception de l’homme le dangereux retour du « créationnisme », mais il aurait fallu aussitôt au moins évoquer le difficile statut épistémologique de la théorie de l’évolution. L’enjeu de toutes ces questions, c’est, bien au-delà du rapport à la science, celui du rapport à la technique, au mythe du progrès, et corrélativement, à celui, productiviste, d’une croissance sans fin : on est bien là au cœur de la démarcation utopienne.

Bref, deux journées absolument satisfaisantes à cause de la richesse de ces interrogations, du courage rencontré de les affronter, et aussi du plaisir des échanges et discussions. Les « utopiens » sont des esprits ouverts, qu’ils le demeurent, toutes les « gauches » ont en vraiment besoin.

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