Décroissance et anti-nucléaire : (dans) quel sens ?

La question que je pose n’est pas de me demander si je dois choisir entre l’un ou bien l’autre ; être décroissant, c’est objecter au nucléaire. Pour une très simple raison : la voie du nucléaire est une voie absurde à cause du danger suprême que représente le nucléaire. Le nucléaire n’est pas une menace pour un mode de vie mais pour la vie elle-même.

Mais je me demande si je suis anti-nucléaire parce que décroissant ou si c’est l’inverse, anti-nucléaire d’abord et ensuite décroissant.

Je choisis la première voie pour deux raisons :

  1. je ne veux pas aller à la décroissance par la peur de la catastrophe mais par le désir d’une vie sensée. Car, politiquement, la peur de la catastrophe pourrait justifier beaucoup d’illégitimités.
  2. je veux préférer, donner la priorité, à « l’argument du quand bien même » sur « l’argument de la nécessité ». Non, je ne crois pas que le capitalisme ne peut pas ne pas échouer ; mais « quand bien même » le capitalisme serait une réussite, je m’opposerais au style de vie qu’il favorise : ses « valeurs » ne sont pas les miennes. Ce que je critique, ce n’est pas le capitalisme en crise mais le capitalisme.

Sur le site des objecteurs de croissance en IdF (lesobjecteursdecroissanceidf.org), je lis une « démonstration » qui fait un choix contraire, la voici :

NUCLEAIRE = DANGER

DONC CONSCIENCE DU DANGER = ARRET LE PLUS VITE POSSIBLE DU NUCLEAIRE

ARRET LE PLUS VITE POSSIBLE = RECOURS AUX REACTEURS FOSSILES CHARBON, GAZ, FUEL

RECOURS AUX REACTEURS FOSSILES C,G,F = LUTTE CONTRE LA VOITURE ET SON MONDE, LES MODES AGRICULTURALES ET INDUSTRIELLES ACTUELLES TOUS LES TROIS FORT PRODUCTEURS DE GAZ A EFFET DE SERRE

ET DONC MISE EN OEUVRE DE LA DECROISSANCE

Je ne suis pas d’accord et je propose une toute autre séquence :

1- Pour la première ligne : OK ; voire plus = le plus dangereux de tous les dangers.

2- Mais la deuxième ligne est plus discutable : car à gauche de l’égalité, il y a une « prise de conscience » et à droite de l’égalité, il y a un Faire. Cette égalité laisse supposer que la prise de conscience est une condition nécessaire et suffisante du Faire.

3- Serait-ce une condition suffisante ? Oui.

Est-ce une condition nécessaire ? Malheureusement non : car il peut y avoir prise de conscience sans que cela provoque un Faire.

Dans « l’idéal »,  j’aurais préféré répondre « oui » mais dans la réalité, c’est « non ».

4- C’est pourquoi il faut construire ce Faire : c’est là qu’intervient la « mise en oeuvre de la décroissance » : par des alternatives concrètes (des « uto-pistes ») qui créent des situations qui matérialisent des valeurs, qui les répètent, qui les ritualisent, qui les habituent.

5- Or ces valeurs, ces préférences, nous incitent certes à décider immédiatement à sortir immédiatement du nucléaire mais nous interdisent de revenir sans hésitation ni réticence au charbon : pourquoi ? Parce que le monde ne commence pas par une prise de conscience mais que dans le monde que nous vivons nous héritons d’un passé qu’il nous faut assumer (et dans ce passé, dans cette « histoire », il y a dorénavant un refus du charbon).

6- C’est pourquoi il me semble que la « bonne démonstration » (moins « idéaliste » mais plus « concrète ») est :

NUCLEAIRE = DANGER

CONSTRUCTION DE SITUATIONS = MISE EN OEUVRE DE LA DECROISSANCE, sans illusion, sans attendre

FAIRE LA DECROISSANCE => PRISE DE CONSCIENCE (« la décolonisation de l’imaginaire n’est pas une prise de conscience mais un Faire »)

PRISE DE CONSCIENCE = ARRET LE PLUS VITE POSSIBLE DU NUCLEAIRE dans un monde déjà plus sobre, plus efficace, plus résilient…

Bref, je suis anti-nucléaire parce que je suis objecteur de croissance et non pas l’inverse.

8 commentaires

  1. Être pour la décroissance c’est être pour la sortie du nucléaire, mais je pense que l’inverse ne marche pas forcément. C’est sans doute un peu l’idée qu’a développée Yohann.

    Je m’explique : le nucléaire est un danger pour la vie, j’en conviens, il est acteur dans la croissance, mais admettons que l’on arrive à trouver une autre source d’énergie, ou mieux, que l’on augmente considérablement la production d’énergie renouvelable en sortant du nucléaire…
    Quel serait le problème ? —> « Déchets, réchauffements, style de vie abrutissant », mais dans ce cas ce n’est plus le nucléaire qui est en cause, c’est le mode de vie de la majeure partie de la population.

    Peut-on vraiment le changer ? Est-ce nécessaire ? Je veux dire par là que la décroissance est-elle indispensable uniquement pour des raisons écologiques ou existe-t-il des raisons philosophiques, qui disent par exemple « On ne peut pas vivre dans une société avec une croissance infinie = le cas des spéculations », ou encore « Il faut arrêter de consommer, de ‘capitaliser’, car ce n’est pas moral. »
    Je caricature bien sûr, je dirai que je suis d’accord pour la première raison, c’est à dire décroître pour protéger la planète = écologie.
    La vraie question est alors : quelles seraient les raisons philosophiques ou politiques pour la décroissance ? En excluant l’écologie.
    Si il n’y en a pas, alors il suffit de trouver des moyens respectant l’écosystème pour continuer dans cette croissance.

    Car je ne suis pas totalement d’accord avec « Le moteur psychologique de la croissance sont les inégalités », on pourrait croître dans un système qui n’est pas capitaliste, ce qui rejoindrait la théorie Marxiste.
    La décroissance serait peut-être un retour en arrière, très difficile à mettre en place.

  2. Il est évident que le nucléaire n’est pas une énergie durable et pose quantité de problèmes à plus ou moins long terme tout comme la croissance que le capitalisme semble croire « infinie » ; mais mélanger la question du nucléaire et de la croissance ne serait-il pas une erreur? Si le nucléaire actuel n’est qu’un moyen de « transition » vers un nucléaire de fusion qui serait apparemment non polluant et plus ou moins illimité alors la croissance pourrait continuer avec le nucléaire.

    De plus est-il vraiment possible de décroître et cela est-il vraiment nécessaire pour un mode de vie plus sain, individuel et collectif?

    La croissance actuelle certes n’est pas durable mais cela veut-il dire que nous ne pouvons pas changer de type de croissance, avec une croissance plus égalitaire sans exploitants/exploités et arrivé à plus ou moins long terme à une voie de moindre violence?

    1. Author

      La croissance a besoin d’une énergie : aujourd’hui le nucléaire, demain une autre. Certes : mais même si nous trouvions une telle énergie, tous les autres problèmes ne seraient pas pour autant résolus : déchets, réchauffement, style de vie abrutissant…

      S’il est possible et/ou nécessaire de décroître : attendre quelques jours que je mette en ligne un article que je suis en train d’écrire pour répondre explicitement à cette question (mais j’attendrai sa publication pour le mettre ici)

      Le moteur psychologique de la croissance sont les inégalités : il ne peut y avoir de « bonne » croissance de « gauche » (où alors une gauche qui acceptables les inégalités indécentes).

  3. Correctif : à la place de « en ce qui me concerne je soutiendrai un régime totalitaire pour gérer la situation post-accidentelle en essayant de sauver un maximum de survivants et en demandant l’asile dans les dom-tom. »

    Lire : et qui nous obligerait à soutenir un régime totalitaire afin de gérer la situation post-accidentelle afin de sauver un maximum de gens

    Je pense notamment à la situation en URSS, si l’URSS n’avait pas été un régime totalitaire aurait-elle pu obliger 900 000 « liquidateurs » et 40 000 mineurs à se sacrifier pour sauver 130 millions de personnes en Europe de l’Est qui auraient disparues suite à la deuxième explosion qui devait se produire avec la descente de la « patte d’éléphant » du coeur enfusion dans la nappe phréatique ?

    Il faut donc tout faire pour éviter de se trouver dans cette situation corneillienne…

  4. Je rajoute le commentaire suivant qui n’a semble-t’il pas été posté :

    1) Cette vision me semble un tantinet « matérialiste vulgaire »….

    Certes la conscience vient de l’être, mais à son tour la conscience modifie l’être, il ne faut donc pas séparer l’un et l’autre, les deux sont nécessaires et les deux inter-réagissent, c’est cela une vision matérialiste dialectique…(ouf ! on croyait ce style disparu depuis les années 80, et bien non il en est encore qui osent…!).

    En l’occurence la multiplication des accidents, relatifs à la concentration nucléaire en France (le dernier en date étant le stockage de filtres contaminés au tritium dans une entreprise à St Maur…) doit nous pousser à mettre en avant la dangerosité du nucléaire, qui devient de plus en plus incontrolable. Avec 59 réacteurs, une multitude d’installations nucléaires de base, des dépots miniers dispersés partout, des centres d’irradiation des aliments, les sites militaires, les centres d’essais des armes à uranium appauvris, etc…) nous nous trouvons face à une accumulation quantitative radioactive qui ne peut déboucher que sur une augmentation de la contamination des populations.
    Il existe déjà les contaminations « légales » des sites, mais aussi on se heurte à la diffusion du nucléaire due à la malveillance, à la malhonneteté ou bien à l’erreur humaine, en attendant l’accident d’un réacteur…à cela il faut ajouter la gestion aberrante du nucléaire et de son monde, c’est à dire de la société. La mise en avant de l’aspect économique avant la santé, ‘idée dominante que l’industrie et son monde tels qu’ils existent aujourd’hui sont NATURELS, le trucage des normes, l’accumulation législatif qui restreint nos libertés, la concentration de tous les pouvoirs nucléaires dans les mains d’un seul homme, etc…;il s’agit d’une « SITUATION » comme tu dis, elle doit nous amener à prendre conscience, mais encore faut-il que les groupes antinucléaires soient conséquents et logiques : en mettant en avant la catastrophe économique, sociale et politique du nucléaire et de son monde, ils doivent mettre en avant des solutions de sortie réalistes, pragmatiques et les plus rapides possibles….

    2) Par ailleurs, comme tu l’as écrit toi-même il ne faut pas séparer l’apparition électorale, du projet et des expérimentations.

    Les trois doivent avancer de concert…

    Dans ces conditions, comment peut-on soutenir les luttes de type « contre-pouvoir » comme celles du rezo ou j’espère bientôt de « stop-nucléaire » et en même temps dire qu’il faut d’abord soutenir les expérimentations AVANT les contre-pouvoirs ?

    3) Quant au charbon c’est un faux débat, le nucléaire produit beaucoup de gaz à effet de serre. Au Niger AREVA a été obligée de construire un réacteur à Charbon pour faire fonctionner son complexe minier. Ensuite on achemine le minerai par camion, puis par bateau, etc…beaucoup de gaz à effet de serre….

    Enfin, comme je l’ai déjà souvent dit, la production d’électricité dans le monde contribue peu à la production de gaz à effet de serre, environ 13 %. Or, le nucléaire français ne représente que 5,5 % de la production d’électricité dans le monde, donc le remplacer par du Charbon n’engendrerait que 5,5 % * 5O% de CO²*13 % en plus, soit : 0,035 % de CO² en plus (car le CO² ne compte que pour 50 % des gaz à effet de serre, et le plus dangereux c’est le méthane, vient ensuite la vapeur d’eau et les nuages), mais en fait si on fait des calcluls plus sophistiqués (en incluant les GES dus à la production, transport du charbon) on n’arrive qu’à moins de 2 % de gaz à effet de serre en plus. Par ailleurs, dans le reste du monde la majorité des pays étant pauvres ne peuvent pas se permettre de se payer des réacteurs nucléaires et donc 70 % de l’électricité est produite par du charbon dans le monde. Voudrais-tu qu’ils retournent à la bougie ? qu’ils investissent massivement dans le renouvelable ? mais alors comment vont-ils faire tourner des grandes unités de conso comme des conurbations ou des usines, entreprises ? à part l’hydraulique qui peut donner des grosses unités de production d’électricité l’éolien c’est du petit petit, comme le photovoltaique…Enfin, que faire avec les terres rares nécessaires à la production du photovoltaïque ?
    Non la solution passe d’abord par le refus de la voiture (20 % des gaz à effet de serre), de l’agriculture productiviste (20 % des gaz à effet de serre) donc de notre façon de produire et de consommer, mais dans le cas de la France qui est une exception dans le monde à cause de la part du nucléaire et bien il nous faut repasser par la case départ et faire comme les autres repartir du charbon pour aller vers la décroissance et non l’inverse….et donc arrêter le nucléaire le plus vite possible…

    Tiens un truc bizarre : trouves-tu normal que la France exporte ses réacteurs thermique charbon à LFC (qui permettent de réduire la production de NOX d’environ un tiers…) à la Chine, Brésil, etc… et qu’elle ferme tous ses réacteurs à cause d’une stupide réglementation européenne qui vise à bannir ce type de réacteur d’ici 2015 ? (d’ailleurs si la France importe de plus en plus d’électricité, il s’agit d’électricité charbon venant d’Allemagne et celle-ci nous important de l’électricité nucléaire….ainsi va l’Europe et ses contradictions…..et je ne vois pas comment la CE pourra obliger l’Allemagne à fermer ses réacteurs à charbon….

    4) [Construire ce « faire »] : ça mettra beaucoup plus de temps que de créer un front antinucléaire et de l’arrêter le nucléaire….je ne le crains, surtout quand on voit la victoire d’EE et du DD annoncée…..et l’état psychologique de nos concitoyens….or du temps on n’en a pas…je le répète un ACCIDENT de réacteur peut arriver n’importe quand…si La Hague explosait (équivalent de cinq réacteurs dans la piscine de La Hague) et bien la moitié ou peut-être la totalité de la France serait rendue inhabitable : dans ces conditions : ou serait ta construction de situations ? dans les nimbes…en ce qui me concerne je soutiendrai un régime totalitaire pour gérer la situation post-accidentelle en essayant de sauver un maximum de survivants et en demandant l’asile dans les dom-tom.
    Il faut donc promouvoir ce faire comme tu dis, mais aussi, mais surtout tout faire pour arrêter le nucléaire….

    En France je suis objecteur de conscience d’abord parce que je suis antinucléaire…..

  5. 1)Transformer le monde ?
    Est-ce que l’enjeu ne serait pas plutot d’essayer d’en construire un autre à côté ? C’est en tout cas le sens de sécession et ce que j’ai compris de ta démonstration.
    2) Il faut que les gens sachent ?
    Bien sûr et la thèse est que si les gens voulaient savoir et bien ils sauraient, car les informations sont abondantes et rarement occultées en ce qui concerne le nucléaire. Par exemple la loi du 30 Octobre 1968 qui prévoit que l’ACCIDENT est possible (avant les écolos) et qui en exonère l’Etat et Edf de toutes responsabilités a été publiée au JO : et bien aucun mouvement soit-disant antinucléaire n’a pris la peine de la publier pour montrer que OFFICIELLEMENT, l’ACCIDENT est possible, car ils ont longtemps cru que l’enjeu du nucléaire était ailleurs : réchauffement des eaux, déchets, etc…
    3) Pédagogie concrète : why not ? Ma thèse est simplement de dire qu’il n’y a pas opposition, mais complémentarité… Mais dans les deux cas, nous nous trouvons face à un monde totalement anesthésié, et addict à la consommation, au mythe du Progrès et contre ça on n’a pas encore trouvé de réponse adéquate (voir les réflexions sur ce sujet dans « Villes en Transition »…) : nous allons avoir beaucoup de mal, il est fort peu probable que nous l’emportions, mais ça ne doit pas nous empêcher d’essayer….

  6. Author

    Tout ce que tu écris est « vrai » mais là n’est pas (du tout) la question quand il s’agit de transformer le monde plutôt que de le comprendre.

    Ton raisonnement a pour structure : « Ah si tous les gens savaient ce que je sais alors ils en tireraient les mêmes conséquences pratiques/politiques que moi ».

    Je suis d’accord avec : « si tous les gens savaient alors… » mais avant d’en tirer ces conséquences, il faut d’abord que les gens savent.

    Première objection : Et là comment tu fais pour le faire savoir ? LA est la question que je te pose.

    Et ce n’est pas en alignant des pages et des pages sur ce qu’il faudrait savoir que tu résoudras la question préalable : comment tu fais pour le faire savoir ?

    Toutes ces pages, tous ces chiffres, tous ces raisonnements pourraient tous être parfaitement vrais – et pour moi, ils sont vrais – ils ne seront vrais que pour ceux qui savent.

    Et deuxième objection : quand bien même les gens sauraient, ce n’est pas une raison pour croire qu’ils modifieraient et leurs pratiques et leurs cohérence globale.

    C’est pourquoi je propose de se remettre les pieds sur terre : et de commencer par le Faire des alternatives concrètes et des expérimentations sociales : c’est la seule pédagogie qui ait un avenir.

    Et en plus, c’est la seule qui ne traite pas les adultes comme des enfants. C’est donc une pédagogie décente qui ne court jamais le risque de devoir un jour soutenir un « régime totalitaire ».

    Objecteur de croissance : oui. Donc, anti-nucléaire.

  7. Je crois qu’il y a confrontation entre deux temps : le temps géologique du nucléaire et le temps historique de la décroissance.

    Le temps géologique du nucléaire nous oblige paradoxalement à le prioriser, à l’arrêter le plus vite possible pour éviter des catastrophes à l’échelle géologique.

    Le temps historique de la décroissance, nous oblige moins, car s’il est moins long dans ses conséquences il est trop long eu égard à la possiblité de la survenue d’une catastrophe nucléaire et à ses conséquences… géologiques et non plus historiques.

    Autrement dit le nucléaire remet nécessairement en cause l’histoire avec les conséquences sur nos choix, alors que la décroissance pourrait remettre en cause le nucléaire ouvrant ainsi une multitude de possibilités historiques, notamment la décroissance…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.