Lecture de L’obsolescence de l’homme, I

Une lecture suivie des essais qui composent le maître-livre de Günther Anders, L’obsolescence de l’homme (1956).

Le sous-titre est explicite : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle. Ce dont il s’agit, c’est de la question politique du sens ; du sens de la politique. C’est une question morale.

Günthers Anders se définit donc comme un « moraliste », celui qui lance un appel – d’abord à soi-même – pour surmonter le « décalage », celui qui résulte des produits des « hommes les plus inhumains qui aient jamais existé ». Le « moraliste » n’est donc pas là pour décrire mais juste pour indiquer ce qu’il nomme des « exercices d’élongation morale ».

Préface à la cinquième édition (1979).

Günther Anders commence par donner ses 3 thèses fondamentales :

  1. L’homme n’est pas de taille à se mesurer à la perfection de ses produits : Si « l’homme n’est plus la mesure de toutes choses » (Protagoras), alors faut-il oser penser que « toutes les choses sont à la démesure de l’homme » ?
  2. Les « produits » excèdent la capacité de représentation et la responsabilité de l’homme.
  3. Nous ne croyons que ce qu’on nous autorise à croire – ou plutôt, ce que nous devons croire, ou plutôt ce qu’il faut impérativement que nous croyions

Introduction

a) La liberté dans le monde de la technique

La technique est désormais notre destin, au sens où Napoléon le disait, il y a cent cinquante ans, de la politique, et Marx, il y a un siècle, de l’économie.

Ce qui est en jeu, ici, c’est la possibilité du choix ; que veut dire choisir – acheter ou non un écran plat ? – si ce choix nous ne le faisons qu‘en tant que consommateur.

Un individu, dans une société de consommation de masse, a-t-il encore le choix d’être ou ne pas pas être consommateur ?

Pour que soit possible ce choix de consommer ou non tel ou tel appareil, il faudrait qu’un tel instrument soit « par définition quelque chose de secondaire par rapport à la libre détermination d’une fin » (p.16). Or, ce n’est pas le cas quand ce qui ne devrait être qu’un « moyen » devient une « décision prise à l’avance », « la » décision prise à l’avance.

En effet, peu importe que l’on achète ou non tel ou tel appareil, de telle marque ou d’une autre : de toute façon, chaque instrument n’est qu’une partie d’un système : le « système des instruments ». « Ce système des instruments est notre monde. Et un monde est autre chose qu’un « moyen ». Il relève d’une autre catégorie. »

  • Non seulement, tout instrument comme partie du système renvoie à toute autre partie du système : et donc, un instrument renvoie à un autre instrument. Quand j’achète un DVD, je dois acheter un lecteur de DVD ; ou réciproquement. Et c’est ce « réciproquement » qui fait le système.
  • Mais le système de ces produits ne doit pas être analogiquement comparé à une addition mais à une multiplication. La technique est un « monde », et ce « monde est un « processus », un processus de « croissance » : « la production toujours nouvelle de produits toujours nouveaux » (p.49).

Adopter pour l’objection de croissance cette thèse de « la technique comme monde » signifie :

  • Dépasser la critique marxiste qui ne porte que sur les modes de production. Cette critique ne veut libérer de l’aliénation que le travailleur exploité.
  • « L’essentiel, aujourd’hui, ce n’est pas qui produit, ni comment on produit, ni combien on produit, mais bien plutôt ce qu’on produit » (p.21).
  • Conséquence : une « extension du domaine de la lutte ». Car chacun de nous est potentiellement un consommateur, bourgeois comme prolétaire. La lutte contre la société de consommation de masse traverse la lutte des classes.
  • Extension spatiale ou géographique : car « la radiocativité ignore les frontières ». Mondialisation des risques.
  • Extension temporelle ou historique : la gestion des produits d’aujourd’hui engage – en même temps, et ce « en même temps » est plein de sens pour la décroissance – les générations futures et la Nature.

b) Avertissement 1 : le singulier et le fondamental comme « objets » de la philosophie.

G. Anders justifie rapidement l’usage singulier qu’il fait du contingent et du particulier. Critique indirecte de l’oubli de la différence ontologique (entre l’être et l’étant) chez M. Heidegger. Car « il se pourrait bien que ce soient le spécifique, le singulier, l’occasionnel qui justement donnent le plus de fil à retordre à la philosophie » (p.26).

Il présente alors son travail comme une « philosophie de l’occasion », « quelque chose comme un hybride de métaphysique et de journalisme » (p.22).

c) Avertissement 2 : l’exagération et le décalage comme « méthodes » de la philosophie.

Nous sommes capables de détruire à coups de bombes des centaines de milliers d’hommes, mais nous ne savons ni les pleurer ni nous repentir. C’est ainsi que, dans un écart maximal, le corps humain reste à la traîne… (p.31).

Comment rendre compte du décalage prométhéen, c’est-à-dire « l‘a-synchronicité chaque jour croissante entre l’homme et le monde qu’il a produit » (p.31) ?

 »Nos âmes sont restées en très en retrait par rapport à la métamorphose qu’ont connue nos produits, et donc notre monde » (p.33).

L’exagération ne sera donc que le procédé outrancier pour exposer « ce qui a déjà été réalisé dans l’éxagération » (p.35).

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